Vendre des livres africains en Occident

Entretien de Taina Tervonen avec Mary Jay (ABC)

Octobre 1999
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Créé en 1989, ABC African Books Collective rassemble plusieurs éditeurs africains, surtout de l’Afrique anglophone, dont il diffuse les ouvrages en dehors de l’Afrique. L’organisme est basé à Oxford, en Angleterre. Les livres de jeunesse ont une place importante dans son activité. Entretien avec sa directrice.

Depuis quand les ouvrages de jeunesse sont-ils inclus dans votre catalogue ?
Depuis le début de notre activité en 1990. Nous en avions alors 24. Chaque année, nous recevons une trentaine de nouveaux titres. Notre catalogue compte aujourd’hui 231 ouvrages de jeunesse. Ce chiffre inclut aussi quelques livres en swahili. Pour ceux-ci, le marché est très petit en dehors de l’Afrique, mais nous avons tout de même identifié une demande constante aux Etats-Unis. Nous avons donc un certain nombre de livres en swahili en stock, et nous avons un contrat avec un distributeur de livres multiculturels américain. Il s’agit d’un projet-pilote pour voir si cela est viable pour nous.
Pourquoi cette demande aux Etats-Unis ?
Le swahili doit être la lingua franca la plus répandue en Afrique, de la Tanzanie et du Kenya jusqu’en Mozambique, en Ouganda et au Congo. C’est aussi une des plus grandes langues africaines aux Etats-Unis.
Avec quels pays travaillez-vous en Occident et en Afrique ?
Nous sommes une structure qui est la propriété d’éditeurs africains. Nous avons les droits exclusifs pour la diffusion hors du continent africain. Nous n’avons pas de but lucratif et nous recevons quelques aides, ce qui permet aux éditeurs de bénéficier de tarifs assez avantageux. Nous nous occupons surtout des Etats-Unis, de l’Europe et des pays non-africains du Commonwealth. Au besoin, nous diffusons aussi en Afrique, surtout en Afrique du Sud, mais ce n’est pas notre activité principale.
Cependant, nous avons un projet avec Book Aid International, appelé Intra-African Book Support Scheme. Il s’agit d’un réseau de dons de livres constitués uniquement de productions africaines. Le choix des livres est fait à partir de notre catalogue par les partenaires africains qui reçoivent les livres et qui disposent d’un montant annuel pour les commandes. Une place importante est dédiée aux ouvrages de jeunesse dans ce projet, qui forme d’ailleurs la majorité de nos ventes dans ce domaine. Sans ce genre de projet, les livres circulent très peu en Afrique.
Quels sont les titres les plus demandés ?
Les clients cherchent des histoires qui captivent l’imagination de l’enfant, la qualité dans la production et dans l’illustration. Nous avons beaucoup de mal à mettre nos ouvrages en vente chez les libraires occidentaux, à cause de la qualité de la production et le prix. Les éditeurs africains ne peuvent souvent pas faire de gros tirages en raison d’une demande limitée. Le prix reste donc élevé par rapport aux ouvrages occidentaux. S’y ajoute le coût du transport jusqu’en Angleterre et le pourcentage imposé par les frais que nous avons à ABC.
Dans le cas des Etats-Unis, il existe une forte demande pour des ouvrages africains, mais quand ils reçoivent les livres, ça ne correspond pas à ce qu’ils cherchent : l’expérience noire américaine. Pour d’autres, l’image de l’Afrique semble se résumer à la tradition orale, qui a bien sûr sa place, mais qui n’est pas la seule facette de l’Afrique moderne.
Quelle place ont les ouvrages de jeunesse chez les éditeurs africains ?
On manque sérieusement de livres de jeunesse en Afrique, même si les besoins de l’éducation sont énormes. Beaucoup d’écoles et de bibliothèques ont très peu de moyens et sont totalement dépendantes d’aides extérieures. Les éditeurs sont pris au piège : ils peuvent produire mais ils n’arrivent pas à vendre leur production. Il existe cependant des projets intéressants, comme le Children’s Book Project en Tanzanie. Il s’agit d’une structure qui, par des ventes fermes financées par des aides, permet à l’éditeur dont le livre est choisi de couvrir les frais d’impression. Le livre sera ensuite distribué par cette même structure qui s’est révélée un élément très motivant pour les éditeurs.
La situation a-t-elle changé depuis les dix années que vous existez ?
Plusieurs structures se sont formées : ABC, APNET… Mais les choses n’ont pas forcément changé sur le terrain. Les éditeurs concentrent souvent leurs maigres ressources sur la production de matériel scolaire afin de pouvoir utiliser les bénéfices de cette activité pour la production d’ouvrages de fiction et de jeunesse. Mais il s’agit d’un processus très long. Le marché nigérian s’est totalement effondré. L’arrêt d’un organisme canadien qui vendait du papier à un prix modique a touché la production zimbabwéenne. Aujourd’hui, il semblerait que les choses s’améliorent : après une réduction du nombre de titres, nous recevons de nouveau plus de livres.
On dit qu’il n’y a pas de marché pour les livres en Afrique. Qu’en pensez-vous ?
Il suffit de voir le projet de Intra-African Book Support Scheme pour affirmer que ce n’est pas vrai. Nous recevons des demandes de bibliothèques africaines toutes les semaines. Nous devrions nous inquiéter bien plus si les jeunes ne voulaient pas lire quand ils disposent de livres dans les bibliothèques. Ce n’est pas le cas. Evidemment, le pouvoir d’achat est limité. De fait, les éditeurs ont des contraintes, le prix du livre reste élevé et la distribution à l’intérieur du pays est difficile. Surtout, les éditeurs ne sont pas capitalisés et ne peuvent pas accéder à des emprunts à cause des taux d’intérêt trop élevés. Mais l’idée qu’il n’existe pas d’intérêt pour le livre en Afrique est totalement fausse.

African Books Collective (ABC), The Jam Factory, 27 Park End Street, Oxford, OX1 1HU, UK.
Tél. +44 (0)1865 726686, Fax +44 (0)1865 793298 ou +44 (0)1865 709265
[email protected]
www.africanbookscollective.com///Article N° : 1058

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