Contes à régler avec le théâtre

Par le théâtre, la survie du conte…

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Si la création théâtrale africaine souffre d’un manque endémique de moyens, elle est riche en revanche d’une tradition narrative qui nourrit son théâtre et permet de développer une dramaturgie du conte à l’adresse d’un public indifférencié de toutes cultures et de tous âges. D’ailleurs la création africaine ne s’interroge pas beaucoup sur l’horizon d’attente du jeune public. Pourtant, en Afrique comme ailleurs, la jeunesse est gagnée par la mondialisation et la culture médiatique, cette culture de l’image. Depuis la fin des indépendances, le conte a tendance à se perdre, car il ne se transmet plus par la voie de la tradition orale. Grands-mères et grands-pères ne vivent plus au village et la vie urbaine ne laisse plus l’espace temps nécessaire à la veillée de contes, bien sûr concurrencée par la télévision.
Il y a donc là un vrai défi pour le théâtre africain, celui de transmettre à nouveau la tradition du conte, de lui redonner un espace d’existence et d’épanouissement et bien sûr de réinjecter cette culture du conte dans les consciences acculturées ou simplement de la raviver en utilisant les techniques de la scène. Contes à régler avec le théâtre, contes à sauver pour la jeunesse ! Et les recherches dramaturgiques sont dans ce domaine très vivantes aujourd’hui en Afrique, d’autant que le conte peut s’aborder avec très peu de moyens techniques.
Le travail des Articuleurs du Village Ki-Yi en Côte d’Ivoire s’appuie sur de grandes marionnettes et une représentation des situations du conte et de ses personnages ; les situations sont en somme dramatisées et transcrites à la scène, comme dans L’enfant Mbénè. (cf. Africultures n°2) Mais d’autres approches sont beaucoup plus basiques, comme celle du Camerounais Binda Ngazolo qui choisit la sobriété et le dépouillement : aucun décor, un récitant qui joue sans musique, sans artifice si ce n’est celui de la parole et de la musicalité qu’elle véhicule. D’autres approches esthétiques passent par un éclatement de la voix narrative et l’incarnation des personnages comme le Ymako Téatri en Côte d’Ivoire avec Kaidara d’après le conte d’Amadou Hampâté Bâ ou le théâtre Wassangari au Bénin avec Atakoun de Florisse Adjanohoun dont le spectacle était présenté à Limoges pour cette 16e édition du festival.. Cependant, le théâtre Wassangari va plus loin dans la recherche dramaturgique. Le conte s’invente au fil du récit. Les quatre conteurs dramatisent les situations de parole et non pas seulement les situations du récit. Ils travaillent sur l’énonciation même et introduisent hésitation, tergiversation, contestation… qui donnent vie à la parole et donnent aussi l’illusion que l’intrigue et le fil de la diégèse ne sont pas arrêtés, mais que le fil n’est pas unique et que l’intrigue peut dévier de sa trajectoire. La parole circule entre les conteurs et eux-mêmes deviennent des personnages de la situation d’énonciation. Intéressant aussi le travail de la Compagnie Côté Jardin au Sénégal qui utilise l’univers des clowns occidentaux pour inventer une esthétique singulière au carrefour de l’Occident et de l’Afrique et dont nous avions pu voir l’an dernier au Festival International des Francophonies Les Aventures de Dada 1er (cf. Africultures n°12).
Ce théâtre narratif qui puise aux sources du conte et des traditions du griot en Afrique de l’Ouest ou du mvett en Afrique équatoriale et qui est loin de s’adresser seulement à la jeunesse est particulièrement courtisé par les diffuseurs européens qui achètent ces spectacles essentiellement pour un jeune public occidental en mal de récit et de merveilleux. Forme théâtrale légère, peu onéreuse, le conte africain séduit les festivals et autorise de longues tournées en Europe, comme Kaidara du Ymako Téatri, présenté au festival des Francophonies de Limoges en 1996 et qui tourne encore aujourd’hui !

///Article N° : 1065

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