Quelques nouvelles de l’édition de jeunesse à l’île Maurice

Print Friendly, PDF & Email

Spécialiste de bandes dessinées, Christophe Cassiau-Haurie publie également régulièrement sur la littérature de jeunesse en Afrique. De passage à Maurice, il nous livre un article sur les nouveautés de l’édition de jeunesse de ce petit pays, surtout réputé pour ses plages et ses écrivains.

L’année 2011 et le début d’année 2012 constituent de beaux moments pour la littérature mauricienne. La sortie d’Une interminable distraction au monde de Bertrand de Robillard (mars 2011) puis En chute libre de Carl de Souza (2012) ont permis au public européen de retrouver deux écrivains qui ne s’étaient plus manifestés depuis plusieurs années (1). Ces deux sorties furent complétées par la sortie du dernier ouvrage de Ananda Devi, Les Hommes qui me parlent, beau récit autobiographique publié en décembre 2011. Un autre ouvrage vient compléter cette série : Une destinée bohémienne de Sylvestre Le Bon, publié en 2011 chez L’Harmattan. Les sorties annoncées du prochain ouvrage de Barlen Pyamootoo (Éditions de l’Olivier) et de celui d’Amal Sewtohul (Made in Mauritius chez Gallimard) viennent confirmer la richesse du réservoir littéraire mauricien.
Mais si changement il y a, on le constate également en matière de littérature de jeunesse.
En effet, celle-ci fut longtemps le parent pauvre de l’édition mauricienne. En l’absence d’éditeurs prêts à investir dans ce domaine, la production d’ouvrages pour l’enfance et la jeunesse a longtemps été limitée à la sortie annuelle des aventures de Tikoulou (depuis 1998).
Le succès de cette série a donné des idées. Depuis deux ou trois ans, une série d’ouvrages destinés à cette tranche d’âge a fleuri sur les étals des librairies du pays. L’auteur de ces lignes a déjà évoqué cette situation dans deux articles précédents (2). Mais les six derniers mois ont également apporté son lot de nouveautés bouleversant encore un peu plus le paysage éditorial local. Il est clair maintenant que la littérature de jeunesse n’est plus le parent pauvre de l’édition mauricienne.
Les dernières nouveautés de la fin d’année 2011 et du début d’année 2012 le démontrent aisément.
Dans mon soubik, vol. 2, publié par Epsilon à La Réunion, contient une très belle histoire de Shenaz Patel, magnifiquement illustré par Laval Ng. Le texte constitue une nouvelle version de « La Queue de bœuf de Petit-Jean » (Tizan), conte qui figurait dans Le Folklore de l’île Maurice, recueil de légendes, contes et chansons créoles, ouvrage publié à Paris en 1888 par Charles Baissac. Il s’agit quasiment d’une grande première, serait-on tenté de dire pour le bédéiste Laval Ng, peu utilisé dans son propre pays en matière de littérature de jeunesse, hormis Oh, La, La !!! Que Me Contez-Vous Là ? (également avec Evan Sohun et Thierry Permal), un recueil de contes publié par l’Alliance française de Maurice et datant de 2004. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Laval Ng s’empare du personnage de Tizan. Il avait déjà illustré le personnage dans le premier des deux disques du groupe Abaim, Tizan (2005) et Rekreasyon (2008) sur lesquelles il a travaillé et illustré une de leurs chansons.


ABAIM best of Rekreasyon + power point laval NG par filoumoris

Un an après la sortie de La Toile bleue, Shenaz Patel confirme son réel talent pour écrire des histoires pour enfants. Son texte, limpide, est très beau et colle bien aux illustrations. Certains extraits, très poétiques, montrent tout le talent de cet auteur multifacettes qui vient de traduire en créole un second volume des aventures de Tintin, toujours chez Epsilon. Dans mon soubik contient également Petit Jean joueur de cartes d’Anny Grondin et Sully Andoche, également (magnifiquement) illustré par Laval Ng.
– Avec Tikoulou en Inde, Henry Koombes signe les illustrations de son troisième ouvrage en moins de deux ans. Avec Le Pays d’en bas la mer, sorti en septembre 2011 chez Orphie (Réunion), il abordait avec la Seychelloise Colette Gillieau, le thème du handicap dans un bel album jeunesse adapté aux déficients visuels. Tikoulou en Inde pour sa part traite d’une campagne de vaccination contre la poliomyélite en Inde. Soutenu par le Rotary Club, suite à la visite dans ce pays de 10 rotariens mauriciens venus participer à la journée nationale de vaccination, l’ouvrage est vendu également dans la grande péninsule. L’album est sorti en deux versions : une édition normale et une édition Rotary. Les fonds récoltés par cette dernière serviront à l’achat de vaccins pour la jeunesse. Fait rare dans la série Tikoulou, une page du livre est d’ailleurs consacrée au travail que les clubs Rotary mènent dans l’État du Bihar, en Inde.
En mars 2012, Henry Koombes sort chez Vizavi Les Contes de Morne plage, contes pour grands et petits enfants, une adaptation illustrée de contes inédits de Malcolm de Chazal datant des années cinquante, et dont l’édition a été en partie soutenue par la Fondation Malcolm de Chazal.
S’il avait laissé trois recueils de conte, Les Contes de Morne Plage est le seul qui soit consacré à des contes fantastiques pour enfants. L’histoire de ce texte est d’ailleurs étonnante. Suite à la parution de deux inédits de Malcolm de Chazal aux éditions L’Harmattan, Martine Hatswell, fille d’une ancienne compagne de Malcolm, contacta Robert Furlong président de la fondation pour lui proposer d’éditer des textes qu’elle avait retrouvés dans les archives de sa mère décédée. Cet échange déboucha sur l’édition de ce livret illustré par Koombes dans des styles très différents de Tikoulou, beaucoup plus proches de son travail de peintre.
Le Flamboyant de Amarnath Hosany et Véronique Massenot, sorti chez Bartholdi en décembre 2011, est la première collaboration du Mauricien Amarnath Hosany, seul écrivain spécialisé dans la littérature de jeunesse de l’île (3), avec une illustratrice Française (4). Déjà auteur du roman pour la jeunesse, Longue vie au prince, paru en mars 2011 chez Orphie (Réunion), Le flamboyant est donc sa deuxième publication de l’année. L’ouvrage raconte l’histoire de Tian, petit garçon vivant dans un quartier défavorisé qui participe à un concours de costume de père Noël. Avec l’aide sa mère, il fabrique un costume qui sera malheureusement volé la veille de Noël… Tian va alors avoir une belle surprise… L’un des rares albums du cru à parler de Noël… Et tout cela de la plume d’un auteur tamoul ! Ce genre de choses ne se voit quasiment qu’à Maurice…
Deux albums pour la jeunesse ont été conçus dans des conditions similaires. La Légende du trou aux cerfs a été écrite, illustrée et éditée par les adhérents de l’association Friends in hope qui vient en aide aux personnes souffrant de troubles psychiatriques. Superbement illustré, l’ouvrage mêle histoires légendaires autour du trou aux cerfs, un ancien cratère éteint situé dans la ville de Curepipe, au centre du pays et le fameux dodo, réserve inépuisable d’histoires pour les enfants depuis Lewis Carroll et son Alice au pays des merveilles. L’association La pointe Tamarin a publié, deux ans après Poutou ek Poutann (qui nous faisait découvrir une histoire d’amour entre une princesse et un marchand d’ananas), un livre de coloriage agrémenté d’une histoire en trois langues (anglais, français et créole), fruit de l’atelier d’écriture encadré par Brigitte Masson et consacré aux salines de Tamarin. Les illustrations de l’ouvrage avaient fait l’objet d’une exposition en décembre.
Les classiques africains, éditeur mauricien installé au pays depuis maintenant quatre ans, édite surtout pour le continent. Cependant, l’un de leurs livres, sorti en 2011 et destiné aux écoles chrétiennes d’Afrique est vendu sur place dans les librairies. Il est vrai que La Noël ou l’histoire de la naissance de Jésus a été écrit par Yvan Martial, célèbre journaliste aujourd’hui retraité et Thierry Permal, illustrateur, tous les deux Mauriciens. L’histoire n’a pas besoin d’être racontée puisque nous la célébrons abusivement chaque année en décembre.
Titine la petite guenon, livre-CD de Martine Charrié, illustré par Joëlle Leclézio, traite d’une petite guenon vivant dans la forêt des macchabées (située sur les hauts plateaux, celle-ci abrite les derniers restes de forêts primaires du pays). Très attachée à son grand-père, elle ressent un grand vide quand celui-ci meurt. Surmontant son chagrin, elle réussit à faire son deuil.
Jo, les grands bois d’Adolphe Vallet, illustré par Françoise Grange, publié aux éditions du Corsaire, évoque le parcours sur une année d’un cerf à travers toute l’île. Écrit par un amoureux de la nature, l’ouvrage constitue également un plaidoyer pro domo de la chasse aux cerfs. Cependant, la lecture de l’album permet de voyager sur toute l’île et la découvrir sous un aspect assez peu connu : la nature et les grands espaces.
Deux autres ouvrages, peu ordinaires, viennent compléter cette série. Le premier a été publié par Orphie en 2011. Il s’agit d’un abécédaire en anglais, Little dodo’s ABC book, écrit par la Mauricienne Priya N. Hein, déjà auteur de deux ouvrages sur le dodo aux Éditions de l’Océan Indien (EOI) en 2010 et qui continue courageusement son chemin dans l’édition. Enfin, Sarah de Maurice a publié L’Île aux vacances de Ti-dou et de Mimi Chamarel, ouvrage hybride à la fois carnets de vacances, calendrier ludique et recueil de poèmes.
L’énumération de ces quelques titres peut paraître un chiffre assez faible à certains. Il s’agit pourtant d’une réelle évolution positive dans un pays qui jusqu’en 2005 ne comptait pas plus d’une trentaine de titres pour la jeunesse depuis l’indépendance.
Cela démontre une fois de plus, que l’édition, en particulier le secteur de la jeunesse, se développe rarement par hasard. Il lui faut des conditions indispensables à son éclosion : un certain dynamisme économique, une prise de conscience des besoins de l’enfant, des structures d’édition et d’impression et aussi, et surtout, des écrivains. Mais ce dernier aspect, on le sait, est ce qui manque le moins à ce petit pays…

Lire également sur le même sujet, du même auteur :
« Tikoulou, le phénomène éditorial mauricien » : [article 10438]
« La toile bleue comme un point d’orgue à la montée de la littérature de jeunesse mauricienne » : [article 10165]
« La littérature de jeunesse francophone dans le contexte multilingue mauricien » in L’Édition de jeunesse francophone face à la mondialisation, sous la direction de Jean Foucault, L’Harmattan, 2008. ISBN 978-2-296-11192-9
« Panorama de l’édition de jeunesse francophone de l’océan Indien » in Situations de l’édition francophone d’enfance et de jeunesse, sous la direction de Luc Pinhas, L’Harmattan, 2008. ISBN 978-2-296-05799-9

1. L’homme qui penche de Bertrand de Robillard, chez le même éditeur, date de 2003. Ceux qu’on jette à la mer de Carl de Souza de 2001.
2.  » La toile bleue comme un point d’orgue à la montée de la littérature de jeunesse mauricienne  » en mai 2011 et  » Tikoulou, le phénomène éditorial mauricien « , reprise réactualisée d’un article de 2008 en octobre 2011.
3. Cf. l’entretien avec l’auteur de cet article : [article 9934]
4. Voir son site [www.veroniquemassenot.net]
5. Un petit dodo appelé FenoFeno le
 petit dodo et Le Pique-nique sous la pluie
13 avril 2012, Erstein.///Article N° : 10700

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
© Epsilon jeunesse
© Friends in Hope





Laisser un commentaire