Bamako : toujours capitale africaine de la photographie ?

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Depuis les premiers pas de la biennale africaine de la photographie de Bamako, en 1994, la capitale malienne porte le titre élogieux de « capitale africaine de laphotographie ». Pour accompagner cette grande rencontre, Bamako a été choisie par la France pour abriter, depuis 2004, celle qui était appelée à devenir la plus grande institution photographique du continent : la Maison africaine de la photographie (MAP). Mais la biennale de la photo et la présence en terre malienne de la Maison africaine de la photographie ont-elles eu un impact visible sur les populations maliennes ? Y a-t-il entre le Malien et la photo un rapport nouveau, qui soit différent de celui qu’il entretenait déjà avec l’image, lui qui aime se parer de ses plus beaux habits pour se faire photographier, à l’occasion d’un baptême, d’un mariage ou d’une fête ? La Biennale et la Maison africaine ont-elles révolutionné le monde de la photographie au Mali en produisant plus de photographes de talent et de grande renommée ?

À Bamako, on n’a pas besoin d’être un devin ou un expert en photographie pour savoir que la capitale malienne n’a pas un atout particulier en tant que capitale africaine de la photographie. Parmi les jeunes photographes bamakois ambulants ou de studio, nombreux sont ceux qui ne savent rien ni des Rencontres de Bamako, ni de la MAP et qui se battent comme ils peuvent dans un monde très peu organisé – malgré d’innombrables associations – pour tirer leur épingle du jeu. Et les quelque huit cents photographes recensés (1) au Mali n’ont, pour la plupart, aucune formation sérieuse en photographie qui puisse leur ouvrir les portes de compétitions internationales.
Cependant, il me semble que l’organisation de la 8e édition des Rencontres africaines de la photographie devenues alors Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie (2), sous la responsabilité du directeur du Musée national du Mali, au nez et à la barbe de la Maison africaine de la photographie, a fouetté des orgueils et suscité des ambitions au sein de la maison de Moussa Konaté, le directeur de la MAP. Ainsi, depuis l’entame de l’année 2010, cette maison vit au rythme d’un activisme photographique salutaire pour les hommes et les femmes de la profession.
Il fallait donc que ses responsables soient ignorés, minimisés, humiliés par le ministère malien de la Culture et CulturesFrance (devenu depuis lors l’Institut français), pour qu’ils se réveillent et prennent subitement conscience de leur rôle qui est, entre autres, d’impulser une vraie dynamique de création photographique, de découvrir et d’accompagner de jeunes photographes de talent ou débutants. Tant mieux. Cela n’avait que trop duré. Mais la route reste longue pour que l’institution dirigée par Moussa Konaté mérite son caractère panafricain car, pour le moment, elle fonctionne comme une petite boîte locale à travers quelques activités ponctuelles de formation et des expositions.
Si la vocation de la MAP se limite à ce qu’elle a fait jusqu’ici, on pourrait dire que la Fondation Zinsou du Bénin est alors plus qu’une Maison africaine de la photographie. Parce que cette dernière organise et cela, assez régulièrement, des méga-expositions d’artistes de tous les pays du continent, de la diaspora et d’ailleurs. Et elle s’efforce de créer un réflexe photographique chez les jeunes et les élèves à travers des visites guidées, des concours photos et des activités de sensibilisation en milieu scolaire, ne serait-ce qu’à Cotonou. Si une structure privée peut faire une telle démonstration de capacité d’imagination et de mobilisation pour la promotion de la photographie, pourquoi pas la MAP, créée pour renforcer les compétences des photographes du continent, est-elle restée si longtemps endormie et peine encore à s’ouvrir vraiment à tout le continent ?

D’autre part, on peut se demander ce que deviennent les « produits » maliens des Rencontres photographiques. Ces jeunes révélés avec enthousiasme au monde de la photographie, que deviennent-ils une fois éteints les lampions de la cérémonie officielle ? Au-delà des euros glanés ici et là, à la faveur d’expositions itinérantes, quelles opportunités leur sont offertes pour continuer à créer sans relâche, pour parfaire leur démarche photographique et affiner leur esprit critique et d’analyse ? Étant donné que nous sommes dans un monde globalisé, où les artistes qui peuvent se vendre le mieux sont ceux qui sont capables de construire autour de leurs créations des discours intelligibles et cohérents et dont le charme des œuvres n’est pas le fait d’un accident, mais relève d’une démarche bien pensée, l’idée du délégué général des Rencontres d’organiser, à côté de l’exposition internationale, une exposition nationale avec seulement des œuvres de jeunes hotographes maliens, est à saluer et doit être soutenue et améliorée.
Cela pour dire que les Rencontres de Bamako sont, en soi, une importante manifestation, mais qu’il y a plus à faire pour capitaliser le succès de ces jeunes que l’événement propulse au-devant de la scène photographique du continent, et même orienter ceux qui se nourrissent de la photo sans en savoir grand-chose. Parce qu’il faut le dire, ils sont nombreux ceux qui sont venus à la photo par accident et à qui les choses réussissent par accident. Tous ceux-là ont besoin de formation soutenue pour comprendre l’art photographique qui va au-delà des prises de vue standards ou stéréotypées ou de l’exécution de commandes extérieures. Ils doivent savoir qu’au-delà de la photographie alimentaire qu’ils pratiquent sur les lieux de mariages ou de baptêmes où ils ne sont pas toujours attendus, il y a une dimension artistique qu’ils peuvent apprendre et approfondir et qui peut faire d’eux des créateurs comme le sont les peintres et les sculpteurs, par exemple.
La nécessité de former et d’avoir une vision
Je suis convaincu qu’il existe des talents au Mali. Mais ces talents ont besoin pour la plupart d’être canalisés, guidés, soutenus à travers des espaces d’apprentissage sérieux et dynamiques. C’est ainsi qu’on pourra arracher la photographie des jeunes africains à l’emprise inhibitrice d’un formalisme creux et insipide pour lui offrir le vaste champ de l’imagination, de la conceptualisation et de la création.
Grâce aux instituts nationaux des arts, l’Afrique a aujourd’hui des personnes qui excellent en peinture, sculpture, musique, danse. Des artistes qui, en plus de leurs talents, ont du mordant et sont capables de parler avec sérénité et enthousiasme de leurs œuvres, de leurs projets. Alors je me demande pourquoi il ne faut pas « intellectualiser » la photographie aussi, en créant des écoles de formation comme en Europe.
Helvetas Mali, une ONG suisse (devenue depuis peu Helvetas Swiss Intercoopération), avait vu juste en créant en 1998 un centre de formation en photographie (CFP), justement pour former les jeunes disposant déjà de connaissances de base en photographie afin de les rendre capables de répondre aux différents appels à candidatures dans le cadre des Rencontres et pourquoi pas au-delà. Depuis 2005, l’association de droit malien Cadre de promotion pour la formation en photographie (CFP), qui gère ce centre, brave tous les obstacles pour prolonger cette vision initiale. Cette structure, très peu connue au Mali, connaît cependant une certaine renommée à l’extérieur, parce qu’il reste, quoi qu’on dise, le seul espace de formation permanente en photographie d’art en Afrique francophone. Grâce à ce centre, plusieurs jeunes photographes ont connu le bonheur de recevoir une distinction (citons Fatoumata Diabaté, prix Afrique en créations en 2005 ; Adama Bamba, prix de la Fondation Jean-Paul Blachère en 2007 ; Salif Traoré, prix Élan de l’Agence française de développement en 2009). Mais au-delà de toutes ces récompenses, il y a toujours une nécessité d’approfondissement, d’encadrement et d’orientation pour aider ces jeunes Maliens à maintenir le cap et les pousser vers de nouveaux champs d’expression photographique et de nouveaux horizons artistiques. Ainsi, leurs distinctions n’auront pas le goût de mérites fortuits, mais seront considérées comme les résultats d’une quête et d’une démarche volontaires et assumées. Car le plus important, quand on est photographe, ce n’est pas la reconnaissance, mais de pouvoir rester constant dans la production d’œuvres de qualité, d’avoir une vision qu’on peut défendre envers et contre tout. Et cela ne va pas sans une formation méthodique et soutenue qui ne se limite pas à des stages ou ateliers aléatoires et circonstanciels. Les efforts du CFP devraient être encouragés et soutenus par l’État malien. Il n’en est rien.
Et pourtant, le Mali a besoin de plusieurs Harandane Dicko (3), c’est-à-dire de photographes qui ne sont pas que des chasseurs d’images, mais aussi des concepteurs, des créateurs d’images qui peuvent tracer des sillons nouveaux pour de nouvelles générations. Il faut que l’on sorte au Mali du culte béat de figures fortes comme celle de Malick Sidibé pour se tourner vers demain, en préparant le terrain pour des jeunes qui pourront lui succéder, afin que le futur au Mali ne soit pas vide et désolation.
Malgré son dynamisme et sa renommée, le CFP a été confronté, depuis 2007, à une sérieuse difficulté budgétaire. Cela entravait son fonctionnement et la réalisation de ce qui constituait sa mission de base : la formation. Ainsi, pendant deux ans, le Centre n’a plus lancé d’appels à candidatures pour son cycle de formation longue. Pour combler ce vide, des sessions de deux semaines, niveau 1 (débutant) et niveau 2 (avancé), ont été régulièrement organisées en 2008. Au total, seize jeunes élèves d’établissements scolaires de Bamako ont bénéficié de cette initiation à la photographie. L’objectif était de retenir les meilleurs parmi ces nouveaux stagiaires pour la formation longue, s’ils y étaient favorables et si les conditions financières étaient satisfaisantes. Malheureusement, il n’y eut pas d’éclaircie budgétaire, malgré les démarches auprès de certaines institutions.
Loin de baisser les bras, le responsable du centre, Youssouf Sogodogo a continué à chercher des soutiens ici au Mali et ailleurs. C’est la rencontre avec le journaliste photographe danois Morten Nilsson qui va déclencher l’idée d’une nouvelle orientation des activités du centre : la formation en photographie conceptuelle dans une perspective commerciale. C’est ainsi que, depuis janvier 2010, le CFP a ouvert un nouveau cycle de formation prévu sur deux ans. En dehors des frais d’inscription qui s’élèvent à 20 000 FCFA (4) l’année, la formation est gratuite et assurée par un e équipe dynamique d’enseignants nationaux et étrangers, soutenue par des encadreurs de l’école danoise de photographie Fatamorgana.
Voilà une nouvelle initiative à saluer, parce qu’il s’agit de préparer le terrain pour une nouvelle forme de photographie, sinon inconnue, du moins mal exploitée par les photographes du continent. Ainsi, des jeunes, pendant deux ans, vont apprendre à réfléchir sur l’acte photographique, à penser leurs images, à écrire des scénarios, à choisir des mannequins en fonction des thèmes qu’ils veulent traiter, à déterminer un espace adéquat pour le travail et y amener leurs sujets et, s’il le faut, à faire une mise en scène, avant de passer à la prise de vue. Une démarche d’autant plus intéressante qu’elle tranche avec l’habitude d’aller vers l’image, de la trouver là où elle est et de la capturer.

Depuis avril 2011, le CFP, en partenariat avec Unicef Mali, l’Association des enfants et jeunes travailleurs du Mali (AEJT), l’Organisation néerlandaise pour le développement (la SNV) et la multinationale japonaise Sony, forme en photographie numérique et argentique, vingt enfants (dont dix filles) âgés de 11 à 18 ans.
Le CFP a reçu un lot de vingt-cinq appareils photos numériques et de douze ordinateurs multimédias fournis par Sony. Un premier résultat du travail des enfants a été exposé au Palais de la Culture de Bamako à l’occasion de la Journée de l’Enfant africain, le 16 juin 2011. Une autre grande exposition – Les enfants au cœur d’un monde durable – a eu lieu en novembre 2011, dans le cadre des 9es Rencontres de Bamako.
Comme le Burkina Faso pour le cinéma avec le Fespaco, pour ne citer que ce pays qui abrite un grand événement culturel institutionnel qui influence une bonne frange de sa population, le Mali pourrait se positionner comme leader continental en matière de photographie.
Les seuls noms de Seydou Keita et de Malick Sidibé ne doivent pas suffire à rendre les dirigeants fiers d’eux quant à l’organisation des Rencontres de Bamako et à la présence en terre malienne de la Maison africaine de la photographie. Et si le Mali dort sur ses lauriers, d’autres pays africains pourraient très vite lui ravir ce titre de capitale africaine de la photographie. On parle déjà de la biennale des arts visuels au Cameroun (depuis 2005) et au Bénin (depuis 2010).

Mon souhait, c’était que les premières Rencontres de l’après-cinquantenaire donnent la preuve que le Mali peut enfin se dégager du joug français pour concevoir et organiser entièrement en terre malienne « sa » biennale africaine de la photographie et que la Maison africaine de la photographie peut retrouver sa place au cœur d’un événement qui justifie sa création et son existence. Hélas ! Malgré tous les discours laudateurs autour de l’événement depuis que les lampions se sont éteints sur les 9e Rencontres de Bamako (5), une réalité ne peut être occultée : toujours pas d’affluence dans les lieux de vernissage officiels. Si des passants peuvent s’arrêter et s’extasier devant d’immenses portraits accrochés sur des murs et à des grilles, les salles où les images sont exposées demeurent inaccessibles au public malien ordinaire. Ce sont des lieux intimidants, supposés réservés à des fama (terme bambara pour désigner des personnes détenant l’autorité et, par extension les personnes instruites et d’un niveau de vie élevé). Même si cela n’est pas vrai, rien n’est fait pour organiser des visites de masses dans ces lieux. Les politiciens remplissent facilement des bus d’hommes et de femmes qu’ils vont déverser sur les stades pour les applaudir contre du thé et du sucre. Pourquoi des hommes de culture qui disposent de grands budgets ne pourraient pas faire autant, pour faire profiter à des couches variées de la société, la beauté des travaux exposés ?
Combien d’écoles sont sensibilisées sur la nécessité d’organiser des parcours pédagogiques sur ces lieux pour nourrir l’esprit des élèves des messages forts que livrent des images saisissantes sur la réalité d’un monde fragile et l’improbabilité d’un monde durable ? Combien de services publics ont été encouragés à effectuer en « convoi » un tour au Musée national du Mali, rien que pour apprendre que, grâce à la photographie, on peut aussi, sinon construire, du moins envisager cet autre monde possible ? Pourquoi les organisateurs ne pensent-ils pas à aller vers les populations avec les images, ne serait-ce que dans les écoles ? Je suis conscient que s’ils ne le font pas, ce n’est ni faute de moyens, ni faute d’esprit d’initiative. Ils savent même que cela ferait un grand effet et serait salué par tous !
Mais la photographie, toujours considérée comme de l’artisanat, n’est peut-être pas la priorité des responsables de la culture au Mali, malgré tous les discours. Or, dans le domaine de la culture comme dans tous les autres domaines du développement humain, tout est question de vision. Et cela manque encore ici par rapport à la photographie.
Les politiques doivent pourtant savoir qu’aucune action, si grande, si bonne soit-elle, ne peut être pérenne et utile si, à la base, il n’y a pas cette vision profonde qui explore le futur et le prend en compte, en allant même jusqu’à chatouiller avec orgueil le rêve humain de l’éternité. Nous avons les moyens humains, intellectuels et financiers pour une telle vision. Seulement voilà, la photographie semble ne pas mériter le déploiement de ces moyens ! Tant pis.

1- D’après Le Répertoire photographique du Mali, publié en 2010 à Bamako par la MAP.
2- Elles ont eu lieu du 7 novembre au 7 décembre 2009.
3- Harandane Dicko, né en 1978 à Tonka, dans la région de Tombouctou, au Mali, intègre le Centre de formation en photographie de Bamako (CFP), après des études de sciences humaines. Depuis, il a participé à de nombreuses expositions et projets de résidence au Mali et à l’étranger.
Harandane Dicko travaille présentement à Ségou où il représente le Padesc (programme d’appui pour le développement économique, social et culturel), un programme de financement des initiatives culturelles de l’Union européenne.
4- L’équivalent d’environ trente euros.
5- La semaine professionnelle de la 9e édition des Rencontres s‘est tenue du 1er au 6 novembre 2011.
///Article N° : 10817

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