Rivière Noire : rencontrer l’Afrique mère

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Africultures a rencontré trois artistes de talent, réunis sous le projet Rivière Noire. Leur album sortira à la fin de l’année. Mais de passage en France, Orlando Morais, le chanteur brésilien, le guitariste français Pascal Danae et le réalisateur Jean Lamoot nous livrent l’histoire de cette rencontre musicale aux multiples influences. Enregistré pour partie dans les studios de Salif Keita au Mali, avec nombre d’invités du continent noir, Rivière Noire métisse les sons pour un voyage musical inoubliable.


trois rivières par afriscop-africultures

Ambiance feutrée. À la rencontre de ces trois hommes, une étrange sensation d’harmonie, de légèreté mais aussi de partage se dégage. À leur contact, le silence n’est pas synonyme de gêne ou de vide mais bel et bien d’une forme de discours. Le silence est d’ailleurs constitutif de leur rencontre : « Nous nous sommes rencontrés dans un studio. Nous n’avons pas parlé. Nous avons commencé à jouer. Cette première nuit-là nous avons composé trois chansons », raconte, encore étonné, Orlando Morais, compositeur-interprète brésilien. « Avec la musique nous nous sommes dits beaucoup. Une fois que nous savions qu’en faisant de la musique nous nous étions compris, les mots étaient accessoires. Nous savions que cela marcherait », enchaîne Pascal Danae, guitariste, chanteur, compositeur pour des artistes comme Morcheeba ou Youssou N’Dour. Ses pas ont croisé ceux du réalisateur et bassiste Jean Lamoot et celles d’Orlando Morais, lorsque ce dernier a exprimé son désir de faire dialoguer ses influences brésiliennes et la longue histoire musicale du continent noir.
« Nous n’avons pas cherché à faire de la musique africaine »
De leur rencontre naît le projet Rivière Noire, dont le premier album devrait sortir avant la fin de l’année. Rivière Noire, du nom d’une des premières chansons disponibles sur Internet et qui retrace la destinée d’une rivière. « La raison d’être d’une rivière est de rencontrer la mer à un moment donné. Malgré les obstacles, avec une sorte d’obstination, elle avance », explique de manière poétique Orlando. La fluidité de la rivière à l’image de la fluidité de leur rencontre, de leur osmose musicale. Mais pas seulement. « Il y a comme une espèce de désir commun, qui était là, inconsciemment, depuis des années, de rencontrer « l’Afrique mère ». Moi en tant que Guadeloupéen, Orlando en tant que Brésilien et Jean par rapport à son enfance. À l’image de la rivière qui retourne dans la mer, c’est peut-être le destin de tous les hommes de retrouver leurs racines, qui ils sont. Peut-être que c’est ce que nous avons fait de manière inconsciente en se réunissant », tente d’analyser Pascal Danae, tout en insistant avant tout sur la spontanéité de leur travail commun.
L’Afrique est en effet présente en toile de fond dans la vie personnelle des trois artistes. Jean Lamoot y a grandi avant de revenir au Mali pour produire le dernier album de Salif Keita. Pascal Danae a travaillé avec nombre d’artistes africains, comme Morcheeba et Asa. En tant que Brésilien, Orlando Morais, qui a par ailleurs chanté avec Youssou N’Dour, a été très influencé par les musiques venues d’Afrique, même si le Mali fut une réelle découverte pour lui. À l’écoute de Salif Keita ou encore d’Ali Farka Touré, la puissance et la particularité de la musique malienne se révèlent à l’artiste brésilien. C’est dans le studio malien de Salif Keita qu’il écrit la chanson phare de leur trio, Bate Longue, sur une musique composée en live par Jean Lamoot et Pascal Danae. Le griot Kassémady Diabaté, présent pour cette première journée, enregistre avec eux. Le clip disponible sur Internet est le fruit de ce travail d’une spontanéité exceptionnelle. Une chance dont Jean Lamoot vante en grande partie le talent d’écriture d’Orlando Morais : « J’ai travaillé avec des griots en Afrique, que ce soit Kase Mady ou Bako. Orlando a cette chose commune avec eux, ce don de pouvoir tout de suite mettre les mots en musique. Il a cette magie où les mots lui viennent très poétiques. C’est ce qui permet de faire des choses instantanément et de les fixer dans leur fraîcheur première »

C’est Jean Lamoot qui a conduit Pascal et Orlando vers le Mali, une terre qu’il côtoie depuis des années, notamment auprès de Salif Keita dont il a réalisé le dernier album. Pour Jean, c’est au Mali que « se trouvent les racines du blues ». Orlando Morais, lors de son premier séjour sur place, reconnaît avoir été totalement transporté : « Il y a une tristesse, une profondeur, une sincérité dans la musique malienne. C’est vraiment du blues. Jamais je n’ai entendu une chose comme telle. Au Mali c’est différent de tout ce que j’ai connu dans ma vie. Il y a un silence, une émotion qui touche au fond du cœur. Il y a une rivière, un serpent, qui bouge en silence ».
Toutefois, ils insistent tous les trois : « Même si nous avions tous ce désir d’Afrique, nous n’avons pas cherché à faire de la musique africaine ». Jean Lamoot parle de « pop métissée » refusant le cadre péjoratif de la world music. « Mais en effet on ne peut avoir un groupe plus world dans le sens où Orlando chante en portugais, le nom du groupe est en français, Pascal vient de la Guadeloupe et on se mélange avec des musiciens maliens. Donc, oui pour le terme world dans son internationalité. J’adore le métissage. Pour moi c’est l’avenir. Le mélange des influences est une réelle richesse ».
C’est donc tout naturellement que les trois artistes ont invité une dizaine de musiciens et chanteurs de tous horizons pour les accompagner, à l’instar de Madou Diabaté avec sa kora et Régis Gizavo à l’accordéon, mais également le joueur de calebasse Mamadou Toné et le chanteur Bloffou. Façonné à leur image, Rivière Noire est un exceptionnel espace de liberté pour le trio dont la carrière de chacun n’en est plus à ses débuts. Pascal Danae y trouve l’essence même de son art « comme si toutes les années de pratique de la musique ressortent et prennent du sens », en ajoutant qu' »il y a une espèce de lâcher prise et d’abandon qui est total dans Rivière Noire ». Jean Lamoot poursuit en décrivant « un sentiment de plénitude. J’ai l’impression d’arriver à quelque chose que j’ai toujours voulu faire ». Un vent de liberté et de légèreté souffle sur ce projet. « Il n’y a pas beaucoup de situations dans l’art où tu peux juste fermer les yeux et redevenir un bébé, c’est-à-dire désapprendre tout ce que tu as appris, laisser venir l’essentiel, prendre le temps de le faire », conclut Pascal.

En attendant l’album prévu pour décembre 2012, découvrez le DVD du concert de Rivière Noire à Brasilia, dès la rentrée.///Article N° : 10858

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