À la Goutte d’Or : Trésors et surprises du marché Dejean

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Après le succès de la série d’Été d’Africultures.com sur [le quartier de Belleville], partons ensemble à la découverte d’un espace qui vit des migrations historiques, qui bouillonne de créativité et de métissages. Plongée subjective et non-exhaustive à travers les regards d’habitants de la Goutte d’Or (Paris XVIIIe).

À la Goutte d’Or, la rue est un espace de vie essentielle où les trottoirs servent de stands pour de multiples vendeurs à la sauvette. Quotidiennement, le marché Dejean s’y installe, lui aussi. Ouvrez tous vos sens pour cette plongée au marché !
Samedi matin, 9 heures. La rue Dejean est encore relativement calme. À la terrasse du Titanic, Philippe sirote son petit crème, en fumant une cigarette roulée. Depuis 1998, il habite la rue de Panama au cœur de la Goutte d’Or (Paris XVIIIe), où il a acheté son appartement. Le marché, il le préfère le matin : « Plus tard, c’est le Bronx. Parfois, je mets une demi-heure pour aller de chez moi au métro ! ». Ce quartier, pour lui, c’est un mélange d’amour et de déception : « J’aime le côté village et le plongeon dans la culture africaine. Mais le stade de l’amitié est très difficile à franchir. En quinze ans, je n’ai pas réussi à me faire un seul ami noir. Chaque communauté reste assez fermée, l’entre-soi est réel », regrette-t-il.
Alors qu’il se livre, policiers et vendeurs à la sauvette jouent au chat et à la souris. Ces derniers déballent bijoux dorés, DVD, boubous et lunettes de contrefaçon sur des tables de fortune, en carton. Les policiers sont postés au coin de la rue, près de leur fourgonnette. Dès qu’ils amorcent un mouvement, la rue se vide. Résignés, les policiers ne peuvent que constater les cartons renversés au sol, sachant que les vendeurs attendent leur départ, quelques rues plus loin, pour recommencer.
Je quitte Philippe et sa terrasse baignée dans les effluves du poissonnier tout proche, pour zigzaguer entre les vitrines de bouchers. Pâtes de porc et tripes odorantes se disputent le premier rang. Au coin de la rue, Le Cochon d’or, l’une des boutiques les plus anciennes du quartier, propose sa fameuse viande séchée. Mais à la Goutte d’or, on peut aussi acheter sa volaille vivante. À La Ferme Parisienne, en pleine rue Myrha. Monsieur Zakari est marchand de volaille, comme l’était son père. « Je n’ai rien inventé. Autrefois, ça se faisait beaucoup sur les quais de la Seine et de la Mégisserie, au niveau de Châtelet. Des éleveurs venaient de la campagne aux alentours de Paris, et vendaient leur volaille vivante ». Aujourd’hui, Monsieur Zakari profite de la mode du bio : « On vend beaucoup à des gens qui ont des pavillons, des villas. Ils viennent acheter des poules pondeuses pour avoir des œufs frais chez eux tous les matins ». C’est le cas d’une famille chinoise qui repart avec une petite canne dans son carton. C’est la petite fille qui l’a choisie. »Les meilleurs pâtissiers de Paris viennent me chercher des œufs bio tout juste pondus pour leurs desserts ». Monsieur Zakari est amoureux de ses Cous-nus, ses Coucous de Rennes, ses Sussex, ses Gauloises, nourries au grain et à l’amour. Dans la boutique, il n’en a que soixante-dix. Le reste gambade dans sa ferme à Bézu, dans l’Eure.
C’est déjà l’après-midi, et la rue Dejean s’agite. Il fait très chaud. Devant une enseigne de produits togolais, un homme me fait signe. C’est Alex, chef cuisinier depuis 20 ans dans un restaurant à Saint-Michel. Il fait ses emplettes, et me tend une canette de cocktail de fruits pétillant, spécialité togolaise, tout en me présentant ses produits préférés : le Gari, semoule de manioc séchée, qui se cuisine salée ou sucrée. Les croupions de dinde découennés frits avec des épices, l’Akassa, pâte de maïs fermenté à cuire à la vapeur, entourée dans des feuilles de banane, l’Agouti, sorte de ragondin vivant dans les roseaux, et la peau de vache fumée. Sans oublier les haricots rouges à préparer avec l’huile de palme pimentée. « Au Togo, c’est un plat populaire, que l’on cuisine pour la fête des jumeaux ». Alex est arrivé en France au début des années quatre-vingt, simple passeport en poche et il a suivi une formation de cuisinier. Sa famille, les Sitti, est une grande famille togolaise : « Mon grand-père a beaucoup fait pour le gouvernement, il a travaillé avec les Allemands, est parti en Angleterre et il a eu soixante-huit enfants. Le jour où il est mort, ça a été jour férié au Togo. Sur Facebook, j’ai trouvé des Sitti en Indonésie, en Arabie Saoudite, et même aux Comores. Un jour, je voudrais créer un musée pour raconter l’histoire de notre famille ».
La journée touche à sa fin, et je quitte Alex pour retourner vers le métro. Rue des Poissonniers, deux drapeaux bleu et or pendant sur une devanture blanche attirent mon attention. On peut lire un mot, « Kata ». J’entre. Magie de Château-Rouge, trésor caché. Un grand rideau rouge, des dorures, de luxueux balcons perchés cohabitent avec des cartons en pagaille et des ballerines à dix euros. Derrière le rideau de l’ancien cinéma, une peinture dévoile un immense tracto-pelle déversant ses cargaisons de chaussures. Un magasin de chaussures dans un ancien cinéma, pourquoi pas ? Je ressors, abasourdie, flânant devant les vitrines et leurs boules de cristal, crèmes éclaircissantes et lotions pour le bain pour le retour de l’être aimé. Évitant les flyers des guérisseurs et voyants extralucides, je m’engouffre dans la bouche du métro.
Sur le quai, je suis la seule blanche.

///Article N° : 11000

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© Noémie Coppin





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