« La culture française a besoin de s’irriguer en banlieue pour rester vivante »

Entretien d'Anne Bocandé avec Jérôme Bouvier

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Journaliste tous azimuts, Jérôme Bouvier a fondé en 2007 l’association Journalisme et Citoyenneté tout en assurant le rôle de médiateur à Radio France. Homme de terrain, il milite pour une valorisation des territoires populaires dans la culture française. Rencontre.

Qu’est ce qu’un citoyen selon vous ?
Un individu pensant qui agit dans la société dans laquelle il vit. On me dit souvent que c’est un terme ringard mais dans la fabrication de l’information il s’agit de sortir du lecteur-consommateur qui induit une notion purement marchande, et du lecteur-public qui évoque la passivité. Or, le produit, l’information, que je lui propose, que je lui offre à une capacité d’influencer ses choix, de l’aider en tout cas à faire ses choix.
Journaliste chevronné à l’international vous vous êtes engagés depuis plusieurs années, avec l’association Journalisme et Citoyenneté sur un questionnement de la pratique journalistique. Pourquoi cette trajectoire ?
Je suis un enfant de Radio France, du service public, depuis 1982. J’ai également produit des émissions sur Arte relatives à la citoyenneté. J’ai ensuite véritablement pris le tournant du militantisme en présidant la société des journalistes de Radio France (1). Mais j’ai créé l’association Journalisme et Citoyenneté qui organise les Assises internationales du journalisme chaque année après 2005 pour faire se rencontrer les citoyens, journalistes et éditeurs.
Comment avez-vous vécu, en tant que journaliste, les émeutes urbaines de 2005 ?
Je n’ai pas découvert la banlieue en 2005. J’ai vécu plus de vingt ans près de Marne-la-Vallée. J’ai créé des radios et télévisions de proximité en banlieue parisienne. À la fin des années quatre-vingt-dix, j’ai découvert Clichy-sous-Bois dans le cadre d’une émission pour France Culture. J’ai été suffoqué par les difficultés conjuguées de cette ville, par l’enclavement et la pauvreté de ce territoire. J’ai alors rencontré Claude Dilain, président du Conseil général de Seine-Saint-Denis. Un personnage avec qui j’ai créé une vraie relation d’amitié. Puis, il y a eu 2005 et la mort de Zyed et Bouna. À ce moment-là, j’étais libre de mes mouvements. J’étais donc à Clichy-sous-Bois sans caméra et sans micro. Cela m’est rarement arrivé d’avoir cette prise de recul sur la profession. Il y avait des centaines de journalistes qui débarquaient à quinze kilomètres de Paris comme on arrivait à Kaboul ou à Pristina en temps de guerre. Et le gouvernement n’a pas su répondre autrement qu’en déclarant l’État d’urgence comme à l’époque de la guerre d’Algérie. Comment peut-on continuer comme cela ?
D’où la création de Journalisme et Citoyenneté mais aussi plusieurs projets de valorisation de la banlieue et de ses habitants.
Le traitement médiatique des émeutes a révélé que les journalistes ne connaissaient pas ce territoire, qu’ils l’avaient abandonné, qu’ils n’avaient plus de sources d’informations. Face à la critique générale d’un manque d’informations honnêtes sur les banlieues j’ai créé le blog Vues des quartiers : un journaliste parrainait un jeune des banlieues qu’il accompagnait dans la rédaction d’un sujet. Pour plusieurs raisons cela n’a pas tenu sur la durée. Nous avons aussi questionné avec des photographes et la population : « Et pour toi c’est quoi la France ? ». Puis avec Claude Dilain, nous voulions contrer l’image des émeutes par un autre regard sur Clichy-sous-Bois. Des photographes du monde entier ont alors passé plusieurs jours en immersion. Ils sont arrivés avec leurs préjugés, leurs bagages pour parler en photos, avec les habitants, de Clichy sans clichés. En 2008 nous avons renouvelé l’expérience avec des écrivains et toujours les habitants pour publier Nouvelles de banlieues, Clichy mot à mot. Il est évident que la culture française a besoin de s’irriguer là-bas pour être encore vivante.
Que pensez-vous de la création de plusieurs médias dits de « quartier » à l’échelle de l’Ile-de-France ?
Concrètement l’identité francilienne n’existe pas. Nous le voyons avec les radios de proximité de France Bleu. Il est possible de rassembler et d’unifier sur un média les problématiques bretonnes ou basques mais pas franciliennes. Il n’y a pas d’appartenance commune. Personne ne se revendique francilien.
Quel regard portez-vous sur le journalisme depuis 2005 ? Pensez-vous que le traitement médiatique a réellement changé ?
Oui, les sujets sur la banlieue avancent. Un reporter ne part plus à Clichy comme il partait en 2005 avec un sentiment de danger et avec des fixeurs. Et puis Luc Bronner, spécialiste des banlieues pour Le Monde est quand même devenu rédacteur en chef. Quand à la télévision, c’est plus complexe. On critique toujours l’objet qu’on déteste le plus. C’est une relation ambiguë.
Ne pensez-vous pas qu’il serait possible d’aller plus loin pour rétablir la confiance entre les citoyens et les journalistes ?
La confiance du public est majeure. Pour cela je fais partie des personnes qui ont milité dans l’association pour la préfiguration d’un conseil de presse en France. Regardez d’abord ce qu’il s’est passé du côté des mouvements écologiques. La seule manière de démarrer les actions et les projets concrets a été d’inscrire dans la Constitution le droit à un air et une eau de qualité. J’aimerais qu’il y ait un droit à une information de qualité. De plus, à l’image de l’alimentation après les crises sanitaires de la vache folle, la seule manière de rétablir la confiance des consommateurs a été d’imposer la traçabilité. Ainsi pour l’information, le journaliste ne prétend pas détenir la Vérité mais explique sa démarche de recherche et de vérification de l’information pour laisser libre le citoyen de juger de l’interprétation qu’il veut en faire.
Quels sont vos projets désormais ?
La Tour Médicis ! Fin 2008, j’ai appris qu’une des tours de Clichy-Montfermeil allait être détruite et j’y ai fait le rêve d’une villa Médicis à l’image de Rome. C’est-à-dire investir ce territoire délabré pour y construire un espace de dialogues culturels avec de réels moyens.
Quand je crois en quelque chose, j’ai du mal à imaginer que cela ne puisse pas se faire. J’ai alors convaincu les acteurs locaux, les décisionnaires politiques puis rencontré Frédéric Mitterrand. L’État a racheté le terrain en décembre dernier. Nous attendons la reprise du dossier par Aurélie Filipetti…
Jérôme Bouvier en quelques dates.
Depuis 1997 : Journaliste à Radio France puis directeur de France Culture et Radio France Internationale.
2006 : Création de Journalisme et citoyenneté et des Assises internationales du journalisme
2006 : Publication de Clichy sans cliché avec douze photographes  [www.clichysanscliche.com]
2008 : Publication de Clichy Mot à mot – Des nouvelles de banlieues avec onze écrivains

1. ndrl : le principal syndicat de journalistes///Article N° : 11134

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