Moziki littéraire 13 : ya ofele

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Moziki ya ofele (1). Trois auteurs kinois ont choisi de se rejoindre sur notre pont littéraire sur un thème de leur choix, de composer un Moziki « gratuit ».

Eleki !
Ce matin, je suis allée sur ces réseaux sociaux ; j’ai lu la colère et la désolation de tout un peuple, j’ai pu ressentir l’indignation face à l’humiliation que subit toute une nation.
J’ai pu capter dans ma chair et dans mon âme l’amour de ce peuple pour sa patrie, mais surtout la révolte face à cette impuissance à laquelle il est soumis.
Tous éparpillés à travers la planète devant leur machine, PC, ordinateur, lap-tops de fortune, cybercafé sans électricité à connexion à nul débit ou devant son iPad à luxe débit. Tous, exprimant la même chose : « on en a marre, il faut que ça cesse ! »
Les uns priant Dieu sur le net, heureusement que, depuis, Le Très-Haut s’est mis lui aussi à l’heure de la technologie sinon quel gâchis ! Et oui si vous ne le saviez pas, Dieu exauce maintenant les prières même à partir des iPhones ! Faut juste voir s’il est connecté ou pas ! o tempora ! o mores !
Les autres par contre se déchaînant sur ces autorités accusées de laxisme et de trahison.
Ma page d’accueil n’a jamais fait défiler autant d’actualité de la sorte, minutes par minutes avec une célérité démontrant la gravité de la situation.
Qui parlera vraiment de tes morts ? À côté du refus de Fillon d’accepter la vice-présidence à lui proposée par Copé pour la direction de l’UMP ? Monsieur, ne confondez pas les urgences dis donc !
À se demander si ce pays existe – vaut-il quelque chose – ou si ce n’est qu’une cartographie de réserves des richesses pour la villégiature des aventuriers à la veste pendante, à la langue fendue et à la kalache facile !
Les images qui défilent sont insupportables, comme celle que vient de poster mon vieux Bofane des mathématiques congolaises. Un homme démembré, dépiécé et lâché en pleine rue, tout simplement de la chair laissée à la solde des vautours… mesdames et messieurs je parle de la chair humaine s’il vous plaît, et ce, solennel !
Je parle du petit Mutoto qui a le même sourire que votre petit Maximilien de 7 ans qui rêve de devenir pompier, je vous parle de La Mort par machette de la petite Usafi qui rêvait de devenir top modèle comme ta Mathilde qui roule à vélo dans ce parc du roi Baudouin.
Je te parle de l’éventrement de Da Jeannine, vendeuse des patates douces qui rêvait comme toi, Christelle, de se marier en décembre avec son Kirongozi de fiancé.
Alors ça ne vous dit toujours rien, même toi qui as la peau noire comme mon père et qui as fait les mêmes études que lui, ça ne te dit rien, toi pour qui bêtement nous nous sommes sentis fiers et frères, ah bon !
Oui dis moi, tu trouves que j’exagère, c’est ça ? que ma littérature est misérabiliste ? que mes écrits sont tapageurs et trop sombres ? Mais je ne connais que ça, même si je passe plusieurs semaines sous la couverture de votre lumière de pays, mon âme elle, n’a point connu la lumière, je vous parle à vous, oui vous ! Je n’attends peut-être rien de vous.,
Mais je ne veux pas non plus me taire, je ne veux par perdre ma voix avant que l’on ne me l’étouffe car si celle de l’urne qui est même inscrite et cochée n’a pas été prise en compte et celle du verbe qui s’envole qui y prêtera attention !
Mais je ne me tairais point ! Six millions de morts, c’est l’équivalent de la disparition de toute la population de la Belgique… Qui pourra se taire face à cela, alors qu’ailleurs tous les médias sont prêts à se mobiliser pour la disparition d’un seul ! Et près de neuf cent mille déplacés internes, c’est beaucoup !
Oui je sais ce que tu penses de moi, que j’ai fait la guerre des chiffres, foutaise ! Laisse-moi te dire que le mot génocide n’est pas la panacée que d’un certain peuple et non d’autre, sinon détruisez la communauté des Nations !
Je veux que l’écho de ma voix résonne jusqu’aux confins de l’univers et crier mon ras-le-bol face à une injustice notoire !
Oh ! détrompez-vous ! je n’ai point envie de mourir ya ofele ! oui c’est ça ofele, on fait de ma terre une terre de ya ofele, on y vient ya ofele, on y puise ya ofele, on y tue ya ofele, et on y repart ya ofele…
Silence « ici on tue gratuitement… kiékiékié »
Oui ! clame tout haut peuple meurtri ; le klaxon de cette mort gratuite pi pi pi ya ofele, pipipi ya ofeleeee, okoti obomi ya ofele, pipipi ya ofele, okoti oyibi ya ofele, pipipi…
Le poète parlera et témoignera toujours, pour que s’éveille une conscience et se lève un peuple.
Pour que s’éduque cette jeunesse, et se bâtisse un pays de conscients et de déterminés. Comme le dit le jeune slameur de mon pays ; fier de l’être. Oui ! Même dans le Roc nous taillerons notre chemin, oui dans le sang nous bâtirons un pays plus beau qu’avant
Et oui même si ma chère patrie semble faible today, mais elle n’en demeure pas moins bête et idiote.
À toi Patria ! Use de la sagesse et de l’intelligence, souviens-toi que c’est par l’intelligence et la ruse que la gazelle échappa des griffes du méchant léopard.
Puisque tu n’arrives pas à sécuriser tes frontières par tes fantassins, construis-toi un Mur, avec des vraies pierres, des graviers, du calcaire et de l’eau que t’ont légué tes ancêtres puis électrifie-le ! Un mur ce n’est pas honteux, mais c’est efficace, surtout que c’est ya ofele. C’est cela ton effort de guerre, use de la main-d’œuvre de ta jeunesse, utilise sa force pour construire ce mur qui clôturera notre frontière, au lieu d’utiliser cette jeunesse comme chair-à-canon
Oh mère patrie, il n’y a pas de honte à cela : la Chine l’a fait contre les multiples incursions japonaises ; l’Israël redoutable puissance militaire l‘a fait ; les USA, l’ont fait contre l’immigration clandestine mexicaine… Fais-le !
Ne discute pas ta gueule ! Ne pose de questions à personne, pour le bâtir tu n’as pas besoin d’une réunion de conseil de sécurité, de l’union africaine, ni de l’avis de cette floue présence des éléments des nations unies de je ne sais où ;
Fais-le, pour que ton peuple ne meure plus ya ofele, fais-le pour que ton destin ne soit plus que ya ofele ;
Fais-le pour que ton histoire ne reste plus que celle de la honte et de l’humiliation ;
Fais-le pour qu’à jamais le regard porté sur tout ne soit plus celui de la commisération et de la gratuité
Mais plutôt celui de la dignité et de la grandeur !
Fais le Merde ! Sinon tu disparaîtras !
T’en fais pas pour les traîtres, leur sort est connu dans l’histoire.
Alors, fais-le !

Papy Maurice Mbwiti (Berlin – Allemagne), novembre 2012
Soliloque II pour saxophone alto
Les enfants de nouveaux riches m’exaspèrent avec leur argent qui pue les minerais. On les remarque par la façon dont ils s’expriment en français. À vrai dire, ils parlent le français-français. Ils ont un faible pour le gérondif. Ils ne connaissent que le subjonctif plus-que-parfait. Ils utilisent à l’excès les adverbes de lieu. Comme si cela ne suffisait pas, ils nous poursuivent partout : dans nos restaurants, nos cinémas, nos bordels, nos églises, nos fumoirs, nos bars, nos cités… Et moi qui longtemps croyais qu’ils resteraient dans leur villa clôturée par des murs aussi épais que celui de Berlin !
La goutte d’eau qui fait déborder la vase est qu’ils veulent faire le Tintin au Congo lorsqu’ils viennent dans nos cités : ils nous narguent, n’ont d’yeux que pour nos femmes, crachent sur les serveuses et les aides-serveuses, mettent les pieds sur la table, critiquent le DJ, réclament la rumba de leur choix ou la salsa alors qu’ils ne savent même pas danser, radotent qu’ils appartiennent à la famille présidentielle, refusent de payer lorsqu’ils partent avec nos prostituées, insultent le barman (et sa mère décédée dans les années soixante-dix), provoquent des bagarres, prétendent que le lingala est une sous-langue, chient dans les WCs du bar sans verser de l’eau, exhibent leur sexe-machine, déclarent que leurs chiens sont mieux nourris que nous autres, rabâchent que nous souffrons de malaria et de petite vérole, se plaignent de nos moustiques, donnent de l’argent au barman pour qu’il nous foute à la porte, défilent dans leurs costumes d’apparat, promettent de revenir le lendemain avec des policiers et disent tout le mal qu’ils pensent de nos bidonvilles comme si nous vivions dans deux pays différents, comme si vivre dans un bidonville ne dépendait que de nous, comme si jongler avec la merde était de notre bonne volonté…
Il faut voir comment ils débarquent. Ils arrivent dans des grosses caisses, klaxonnent, s’arrêtent et démarrent en trombe. On dirait un Paris-Dakar en miniature. D’abord, parce qu’il pleut toute l’année et que par la force des choses, nos routes-non-goudronnées sont des lagunes et ensuite, parce que l’urbanisme étant un leurre, nous construisons anarchiquement, chacun au gré de sa folie. Le rêve de tout habitant de bidonville étant de dormir dans les gratte-ciel qui s’érigent de l’autre côté, tout le monde veut que sa cabane ressemble à tel ou tel immeuble. C’est donc entre ces routes-lagunes et ces cabanes-gratte-ciel à deux étages que les enfants de nouveaux riches slaloment avec leurs grosses guimbardes, la musique à fond, mâchant du chewing-gum, décidés de nous fatiguer avant de nous poursuivre dans l’unique bar et d’insulter le barman (et sa mère décédée dans les années soixante-dix) et de cracher sur les serveuses et les aides-serveuses et de pisser leur diarrhée dans les latrines du bar sans verser de l’eau et de rabâcher que nous souffrons d’une pathologie très rare et d’exiger de nos prostituées le sexe à plusieurs, sans condoms et des séances de strip-tease à ciel ouvert et de menacer qu’ils reviendront le lendemain avec des policiers et des chiens méchants, « des chiens qui grognent OU-OU-OU » comme ils le disent à qui veut l’entendre, bouche sale, sordide et lugubre, exhalant l’odeur fétide des chiottes du bar.

Fiston Nasser Mwanza (Graz – Autriche), novembre 2012
Rapports de force…
Entre policier et civil. Entre le politique et le social. Entre vendeur et acheteur. Roulage et conducteur. Automobilistes et piétons. Gouvernants et gouvernés. Chrétiens et païens. Voiture personnelle et taxi-bus. Époux et épouse. Père et fils. Homme et femme… Toujours des rapports de force. Baignés dans des odeurs et du bruit. Celui de la circulation et des klaxons. Le tintamarre des vendeurs, la course aux voleurs ou aux transports, les longues discussions politiques et religieuses.
En un mot, le refus du silence ! Car il tue la marge entre le personnel et le reste. Chaque existence devient alors une place publique où chacun a son mot à dire. Place publique, vie publique, confidences publiques. Par peur du silence, cette bête qui tue… ?
Place publique, vie publique, confidences publiques, compréhension publique, justifications publiques, téléphone publique, conversations publiques, cabine publique, injustices publiques, faim publique, appel public, réponse publique, questionnement public, déshumanisation publique, regard public, femme publique…
Culture publique du silence !
Ma culture est celle du bruit. Le silence me gêne. Il me pèse. Comme s’il cachait quelque chose, comme un porteur de mauvaise nouvelle… C’est pour ça que les coupures d’électricité sont calamité, parce qu’elles me plongent dans le silence. Or, quand tu regardes les gens vivre, tu te rends compte de ce refus du silence.
Je suis Kinshasa, la belle…
Moi, je n’ai pas de maison. Enfin, si ! Le boulevard du 30 juin, dans le centre-ville.
La maison dont je rêve devra avoir surtout de l’espace. J’en ai besoin. De l’espace pour recommencer ma vie à partir de mon enfance. Je me reverrais bien à six mois dans une trotteuse pour apprendre à marcher vite.
Là, à deux ans, en train de courir derrière un ballon. « Goal ! »
J’aurais précédé les Zidane et compagnie. Douze ans, je fais du basket, je smache comme tous les grands, surtout comme Jordan, mon idole. J’ai tout un tas de ses posters découpés des magazines vendus par terre au marché et en ville. Cet espace-là, dans cet angle, c’est pour les filles… J’ai des rencarts, et des parents qui veillent que je ne déconne pas trop.
Des parents !
Une maman. Ouais, j’aurais eu un espace rien que pour elle, ma maman…
Je ne sais même pas qui elle est, ni où elle se cache, encore moins si c’est elle-même qui a décidé de se séparer de moi ou si c’est un coup du sort ou du hasard.
Je rêve d’espace. De l’espace dans la tête, pour grandir, pour étudier, pour exister.
De l’espace. Je n’en ai jamais eu.
Shégué est mon nom. Le boulevard, c’est ma maison et en même temps mon garde-manger.
Je veux dire, c’est là que j’opère. J’ai mes petits et on fonctionne en réseau. Ma cible préférée ? Les femmes. Parce qu’elles ont les plus beaux téléphones portables et parce qu’elles ont du mal à nous courir après, mes petits et moi. Les mecs, c’est des costauds. Tu lui piques son téléphone, un truc démodé en plus, eh ben le gars te rattrape, c’est un sportif, et en bonus tu reçois une bonne raclée dont tu te souviens longtemps. Pour un téléphone démodé !
Les plus coriaces, ce sont les fonctionnaires de l’état. Ils ont une de ces poignes. Je crois que refuser son salaire à une personne, ça lui donne les dents et les muscles dans la vie.
Qu’est-ce qu’ils sont forts dis !
J’ai réussi à lui piquer son téléphone, à la dame. Comme dans une course à relais, mon petit au coin de la cabine l’a récupéré, l’a passé à celui qui se tenait vers la terrasse. Celui-là est passé comme un éclair devant la vendeuse de pagne pour me le refiler… Et moi, j’ai sauté dans le premier taxi-bus venu juste pour quitter le secteur, ça craint. Avant que le receveur ne commence à demander le ticket, hop, j’ai sauté sur la chaussée piétonne du boulevard où l’équipe m’attend déjà.
Tout le monde est essoufflé, surtout les plus âgés, normal avec tout ce qu’on fume pour meubler nos maisons ! Ce sont les plus jeunes qui gardent le sourire. À ma descente du bus, je les trouve faisant des bonds comme des gamins saluant le retour de leur maman du marché : ils savent qu’il y a forcément des sucettes pour eux. Les gens qui attendent leur transport ou ceux qui cherchent à traverser le boulevard, les conducteurs au volant de leurs véhicules, tout ce monde ne comprend rien de rien. Étonnés, ils regardent. Nous, on a faim de se faire valoir, on a faim d’enfance, et leurs regards, on n’en a rien à foutre.
Je saute donc du bus et mes gars, qui m’accueillent, savent que la cueillette a été bonne. Ensemble on déballe nos « emplettes »… Ils attendent tous mon déballage, qui se fait en dernier… Suspens… Pour les passants, gros point d’interrogation sur ce qui se passe… Pour nous, le plaisir de capter des regards un peu déstabilisés… Alors ? Le téléphone de la dame
Siaaaa ! Un truc simple sans les gadgets !
Mauvaise affaire…
Et moi qui rêvais d’un téléphone doté d’intelligence. Pour discuter. Pour le vendre au prix le plus fort. Un téléphone de fille complètement VIP, avec Bluetooth, appareil photo numérique, caméra numérique, jeux machins. Un téléphone qui pourrait même avoir des réponses à mon besoin d’espace.
À défaut d’argent, moi, ce que je veux, c’est des réponses…
Je suis un enfant de la ville, je suis un enfant du bruit. Je suis une cabine téléphonique.
J’aime la foule quand ça grouille, j’aime les rires et les cris et les disputes et les discussions.
Y’en a tout le temps ! Je mentirais si je dis que je n’écoute pas. Je suis une place publique et ces histoires deviennent des histoires publiques qui me touchent, qui me concernent un peu…
C’est comme ça.
Je veux que ça claque et que ça sonne, je ne veux pas que des vies sages pour mon bizness. Celle-là par exemple, elle a rendez-vous avec deux mecs qu’elle étale sur une heure. La fameuse phrase a fusé dix fois : « Allô ! Tu es où ? » Véritable inquisition, les mots tombent comme un couperet. « Tu es où ? » Il m’arrive de la deviner, la phrase, avant qu’elle n’arrive, et c’est souvent les femmes qui la posent. Ces deux autres, ici, n’ont pas l’air d’accord. L’une veut qu’elles rechargent leur téléphone et passent le coup de fil bien plus tard. L’autre veut appeler de la cabine pour masquer l’appel, et se renseigner également sur le modèle de sa batterie. Discussions.
Arrive un mec. Appeler ou discuter ou acheter ne l’intéresse pas.
Il veut juste un renseignement : où trouver un bar pour s’offrir une bière bien fraîche sous cette canicule ! La fille aux multiples rendez-vous a dû être jongleuse dans une vie antérieure parce qu’elle se propose d’accompagner le monsieur…
Les deux autres arrêtent de se disputer pour bien jauger « dame renseignement bière » qui n’a pas sa langue dans sa poche : etali bino ? Deux minutes après, elle se fait piquer son téléphone. Elle est en cris et en larmes…

Bibish M-L Mumbu (Montréal – Canada), novembre 2012

1. Ofele (qui signifie gratuitement) serait une déformation de la troisième personne du singulier du verbe ouvrir (offert) ou de l’expression au frais de…///Article N° : 11189

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