La Chinafrique ou le dragon jaune et la faible proie noire

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Jusqu’à une période récente, pour les Chinois, l’Afrique était « Le continent qui n’existe pas », un mépris ou une indifférence à peine croyable. Pendant longtemps, les Chinois ont royalement ignoré les Africains, excepté lors de la période coloniale et des luttes d’indépendances. Mais l’entreprise était plus idéologique qu’économique. À présent qu’ils ont renoué avec l’Afrique pour ses matières premières et son marché, ils se cherchent des liens de parenté avec les peuples du continent noir.

En fait les contacts entre la Chine et l’Afrique remontent à l’époque de la dynastie Han vers 206 av. notre ère. Mais c’est sous la dynastie des Ming (1368-1644), que de véritables périples maritimes chinois, ont été entrepris sur les côtes africaines par le navigateur Zheng He. Nous devons cette ouverture à Yong Le, troisième empereur chinois de la dynastie Ming. C’est lui qui, en 1409, avait transféré la capitale chinoise de Nankin dans le Sud, à son emplacement actuel c’est-à-dire Pékin. Contrairement à ses prédécesseurs qui étaient presque tous isolationnistes, Yong Le avait ordonné que de gigantesques expéditions maritimes puissent explorer des pays étrangers. Une chose, peu connue, est que les Chinois détiennent la plus vieille représentation cartographique de l’Afrique. C’est une carte baptisée Da Ming Hun Yi Tu qui veut dire la carte du grand empire Ming. Elle est datée de 1389 et fait apparaître le Nil et les montagnes du Drakensberg en Afrique du Sud. Zheng He ne naviguait donc pas à vue. C’est ainsi que le 11 juillet 1405, sa grande armada, baptisée La Flotte des Trésors, larguait les amarres depuis l’embouchure du Yang Tsé Kiang pour un long périple dans les mers du Sud. Cette expédition comprenait environ 30 000 hommes et 200 bateaux à voiles. En plus des marins, Zheng He avaient aussi embarqué des interprètes et tout un groupe de scientifiques, des commerçants et des artisans. Zheng He a été le premier à franchir le détroit de Magellan et longer la côte orientale de l’Afrique. Puis au retour il franchira aussi le premier, le Cap de Bonne Espérance et les côtes de l’Afrique australe. On retrouve des poteries chinoises datant du XIIIe siècle dans la province du Limpopo (au nord de l’Afrique du Sud) et des inscriptions en caractères chinois dans la province du Cap. On a également retrouvé des tessons de céramiques chinoises dans les ruines du Grand Zimbabwe. C’est au cours de l’une de ces expéditions, celle de 1417, qu’on offrit aux Chinois un « Ki-Lin » c’est-à-dire une girafe, des zèbres et des lions qu’ils ont ramenés en Chine. En fait c’est cette série d’excursions de Zheng He vers l’Ouest, qui avait permis d’établir la route maritime de la soie, reliant la Chine, les pays d’Asie, et d’Afrique. Maintenant que les Chinois ont cruellement besoin du continent noir, ils affirment, à qui veut l’entendre, qu’ils avaient précédé les Européens en Afrique, mais le motif économique de leur passage était évident. Ils rappellent que le but principal n’était donc pas expansionniste et n’a jamais esquissé un début de colonisation. Alors que la réalité est toute autre…
Esclavagisme et passif colonial des Occidentaux ou le faux cheval de Troie chinois
Les Chinois n’oublient jamais de rappeler qu’ils avaient laissé à l’Afrique, dans le passé, le souvenir d’un peuple pacifique qui ne s’est jamais imposé par la force. Subtile insinuation pour dire que contrairement aux « méchants esclavagistes et colons occidentaux », la Chine n’a aucune responsabilité dans le douloureux passé des peuples noirs. Ils affirment qu’à l’inverse des expéditions européennes de l’époque, celles de Zheng He n’étaient pas destinées à étendre la souveraineté de la Chine au-delà des mers. Avant son départ, l’empereur Yong Le lui avait fait des recommandations bien précises. Il devait nouer des amitiés et créer des opportunités d’échanges commerciaux avec les pays étrangers, en recherchant une coopération mutuelle, d’approfondir les connaissances géographiques et des avantages réciproques. En fait, s’il est facile de comprendre l’effectif des interprètes, commerçants et autres chercheurs qui composaient l’expédition de Zheng He, les historiens chinois n’arrivent pas à justifier le reste, à savoir environ 25 000 autres hommes embarqués. Il s’agit vraisemblablement d’une armée solide, dont la mission était loin d’être pacifique. En fait la possibilité de faire de l’Afrique orientale une colonie de la Chine ne fut écartée que sous la pression des tendances isolationnistes, qui dominaient à la cour de Pékin durant les années du milieu du XVe siècle. La Chine ne s’est refermée sur elle-même que parce la pression des tendances isolationnistes, qui dominaient à la cour durant les années du milieu du XVe siècle, avait fini par triompher. Leurs arguments étaient convaincants : à savoir qu’il était très imprudent d’envoyer des milliers de soldats occuper des territoires loin de l’Empire du Milieu, en laissant ses arrières dégarnis et à la merci des redoutables ennemis mongols revanchards. Les isolationnistes avaient ainsi réussi à gagner à leur cause, le successeur de Yong-Le, Hong-Hi, qui sera défavorable à ces expéditions. L’empereur suivant, Huan Tö, donna des instructions précises pour arrêter la construction des navires pour aller dans les « pays barbares ». Et bien qu’il ait admis l’ultime croisière de Tcheng Ho en 1431, il n’envoya plus personne par la suite dans les mers occidentales. Puis après la mort de l’amiral Zheng He, Pékin renonça définitivement à ses ambitions maritimes et de conquêtes. Autrement dit, comme le note Rémi Kauffer, « Il s’en est fallu d’un cheveu que l’Afrique soit chinoise ». Les Chinois ont aussi une façon très subtile de passer sous silence leur implication avérée dans les tragédies des peuples noirs. Déjà, une inscription trouvée à Java et datée de 860 de notre ère, identifie sur une liste de domestiques des Zendjs, originaires d’Afrique orientale vendus en Chine. Une autre inscription javanaise mentionne d’autres esclaves noirs, offerts par un roi javanais à la cour impériale de Chine. Les Javanais avaient envoyé plus de 30 000 esclaves noirs à la dynastie des Ming. Puis à l’époque Song, fut écrit le Tchou-Fantcheu (description des peuples barbares), un ouvrage compilé en 1226 sur la base de sources antérieures par un nommé Tchao-Jou-Kou. L’auteur était inspecteur du commerce extérieur de Ts’iuen-tcheou (port de la province de Fou-Kien). L’ouvrage parle de plusieurs pays africains, dont l’Égypte, il y est question d’Alexandrie et de son phare. L’ouvrage cite aussi Wou-sou-Li, c’est-à-dire Misr, la Libye, le Maroc, Mo Kie La : « Maghreb el agsa ») et les pays de la côte orientale comme Ts’eng-Pa qui est Zanzibar et Kan-Mei, probablement Les Comores. Deux régions européennes sont mêmes citées : la Sicile (Sen-Kia-li-ye) et la côte méridionale de l’Espagne (Mou Lan-P’i), de l’arabe Mourabit, pays des Almoravides. Les îles de K’oun-Loun Ts’eng-K’i, qui correspondraient à celles de Pemba et de Madagascar dans le Tchou-Fan-tcheu sont désignées. Des passages provenant du Ling-wai-Taita, un autre ouvrage écrit en 1178 par Tcheou Kin-Fei, indiquait que des milliers de Noirs provenant de K’ounLoun (donc Pemba ou Madagascar) étaient vendus comme esclaves en Chine. On les appelait notamment He-hiao-seu (serviteurs noirs) ou Ye-jen sauvages, ou encore Kouinou (esclaves ressemblant à des démons). Dans le P’ing-tcheou K’o T’an, l’auteur Tchou You déclare que « dans la province de Koangtcheaou (Kouang-Tong), la majeure partie des gens riches possédait de ces « esclaves ressemblant à des démons (Koui-nou) ». Ils étaient ainsi appelés à cause de leur aspect jugé repoussant par les Chinois ou encore traités de sauvages (Ye-jen). L’histoire atteste qu’il y avait bel et bien des esclaves noirs sous les Song, en Chine du Sud. Les Occidentaux ne sont donc pas les seuls acteurs ou bénéficiaires de la traite et de l’esclavage des Noirs. Ces nombreux témoignages nous enseignent que l’odieux trafic humain des Noirs – inauguré par les Arabo-musulmans au VIIe siècle – aurait même commencé en direction de la Chine avant que le premier captif africain ait été embarqué en direction du Nouveau Monde. Des siècles avant que Français, Anglais ou Portugais aient déporté un seul Africain, les Chinois en asservissaient des milliers chez eux et dans un mépris total. Mais très habiles, les dirigeants de l’empire du Milieu ont toujours évité d’en faire état, dans les discours officiels entre délégations chinoises et personnalités africaines. Il leur est plus commode, de dénoncer et d’utiliser comme un cheval de Troie, les crimes des « horribles esclavagistes et colonialistes occidentaux », envers d’anciennes victimes, devenues aujourd’hui solidaires de la Chine-Afrique…
Le réveil d’un géant à l’assaut de l’Afrique
En s’isolant derrière sa Grande Muraille durant des siècles, l’on avait fini par croire, que la Chine avait perdu l’envie de s’ adapter aux autres civilisations ou de cohabiter avec elles. Elle a aujourd’hui compris les enjeux impliqués et s’est sans doute souvenue de cet adage de Confucius : Qui ne se préoccupe pas de l’avenir lointain se condamne aux soucis immédiats. La Chine rompt définitivement avec l’isolement passé, pour devenir un acteur à part entière de la mondialisation, en usant d’une des armes les plus redoutables et les plus adaptées à notre époque : la puissance économique. Elle s’est « jetée » sur l’agonisante proie africaine, l’œil rivé sur ses matières premières et faisant preuve d’un dynamisme impressionnant, met en œuvre une stratégie globale, pour trouver de nouvelles zones d’expansion. Sachant que le maintien de sa place dans le concert des nations, est intimement lié à sa capacité de diversifier et de sécuriser ses sources d’approvisionnement énergétiques, quitte à aller les chercher ailleurs. Forte aujourd’hui d’une population de 1 milliard 400 millions d’habitants, la Chine voit son économie propulsée à la deuxième place mondiale. Les besoins énergétiques de ses industries, lui imposent des compromis et l’abandon de positions condescendantes vis-à-vis de certains pays en voie de développement, notamment ceux du continent noir. Le discours méprisant, voire l’indifférence, a maintenant cédé la place à un activisme aussi frénétique qu’intéressé. L’Afrique, « Le continent qui n’existe pas », est devenue l’un des plus importants partenaires de l’empire du Milieu. Son pragmatisme va ainsi de concert, avec une salvatrice amnésie. Cependant, il faut dire qu’avant la grande offensive chinoise, les matières premières africaines avaient perdu près de 70 % de leur valeur dans les années soixante/soixante-dix. Cette détérioration des termes de l’échange, a bénéficié aux pays développés qui connaissaient une amélioration croissante de leur commerce extérieur, tandis que celui des Africains n’a jamais cessé de se détériorer. Dans le même temps, les politiques d’ajustement libéral, appliquées par les institutions internationales, ont eu les conséquences désastreuses que l’on sait. Elles avaient réduit les États africains à leurs fonctions strictement régaliennes. Et au final, l’hypothétique croissance attendue et qu’on faisait miroiter, n’est jamais venue, L’impasse était donc totale, parce qu’il n’existait plus de plans crédibles, pouvant permettre aux pays africains de payer leurs dettes en menant à bien, des objectifs de développement. C’est ainsi que l’Afrique devenait un continent en marge du circuit économique mondial, Mais là où tant d’Occidentaux ne voyaient plus qu’une terre de misère, un déversoir de l’aide humanitaire, la Chine était au premier rang des repreneurs. Elle avait planifié son grand retour en Afrique et n’attendait que cette occasion. Quant à l’Afrique, lâchée par l’Occident, elle a accueilli ce prédateur, en partenaire providentiel, fraternel et capable de tous les miracles. Ce brusque changement d’image, les Chinois le doivent à Deng Xiaoping. L’homme avait entrepris, sans faire de bruits – contrairement à Gorbatchev avec sa perestroïka – et dans la plus grande efficacité, la restructuration du système chinois, en imposant de nouveaux choix politiques et économiques. Là se situent le véritable tournant de la politique d’intégration de l’économie nationale chinoise au marché mondial et son ouverture à l’investissement étranger. Ceci à travers un processus fragmentaire fondé sur un célèbre mot d’ordre : Traverser la rivière en tâtonnant de pierre en pierre. Les dirigeants chinois ont en effet découvert d’une part qu’ils avaient la possibilité de promouvoir le développement de leur pays en utilisant ses propres ressources (pétrole et charbon dans les années 1970-1980). Et, d’autre part, qu’ils disposaient d’un immense marché de consommateurs, pour attirer l’aide et les investissements étrangers pour sa modernisation (1990). Le but était de mettre fin au sous-développement auquel l’avait condamné le maoïsme. Toutefois, si l’histoire ne retient aujourd’hui que le nom de Deng Xiaoping dans cette entreprise, celui qui l’a le plus marqué de son empreinte, est un génial technocrate du nom de Chen Yue. Vétéran de la lutte révolutionnaire aux côtés de Mao, l’homme était aussi l’architecte de la planification économique. Dès la troisième session plénière du 8e comité central du parti en octobre 1957, il avait déjà suggéré de réduire le poids du parti dans le processus de production, en même temps que d’adopter des mesures matérielles incitatives en direction des paysans et des ouvriers. C’est là qu’il faut trouver la source ou l’inspiration des réformes, que Deng Xiaoping devenu l’homme fort du régime entreprendra à partir de 1978. Pour le reste, il faut reconnaître à Deng, le courage d’avoir purgé du pouvoir, tous les vieux dirigeants dont la légitimité patriotique ne reposait que sur leur participation au combat révolutionnaire, qui avait amené le Parti Communiste Chinois au pouvoir. Et pour mieux affronter ces nouveaux défis qui ne pouvaient attendre pour le « réveil » de cet immense pays, il les a remplacés par une génération de technocrates plus jeunes, plus pragmatiques et souvent formés à l’étranger comme lui. Deng Xiaoping réussira ainsi à gagner son défi, en mettant en place, un mécanisme de sélection de dirigeants dotés d’une expérience de gestion concrète dans de grandes villes et provinces. L’action de Deng était déterminée à long terme et visait à hisser la Chine au sommet des puissances mondiales du XXIe siècle. Le but était de renouer avec l’Histoire interrompue au XVe siècle et de la parfaire. Et pour pérenniser son aisance naissante, la Chine a compris qu’il lui fallait sécuriser ses sources d’approvisionnement. Et l’Afrique sera un élément nécessaire à cette stratégie. L’action de Deng était déterminée à long terme et visait à hisser la Chine au sommet des puissances mondiales du XXIe siècle. Le but pour l’Empire du Milieu, est de renouer avec l’Histoire interrompue au XVe siècle et de la parfaire.
La Chine, les anciennes tutelles coloniales et le jeu de go
Avec un potentiel énergétique considérable, l’Afrique apparaît comme la source idéale, pour satisfaire la boulimie chinoise en ressources naturelles, indispensables à sa croissance économique. Le continent noir détient 10 % des réserves mondiales de pétrole. Sa part dans l’approvisionnement de la Chine en pétrole est aujourd’hui de 35 %, alors qu’il n’était que de 9 % en 1995. L’Afrique détient aussi l’essentiel des minerais stratégiques (or, titane, etc.) que l’on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud, etc.) En outre l’Afrique connaît depuis le début du XXIe siècle une croissance économique annuelle en moyenne supérieure à 5 %, ce qui influe grandement sur le reclassement géopolitique mondial en cours. Ses atouts ne se résument pas seulement à ses performances en matière de croissance. Ils sont aussi au cœur des préoccupations sécuritaires des grandes puissances ; de la recherche d’appuis dans les organisations internationales et de la compétition pour l’accès aux ressources minérales et aux hydrocarbures. Aussi, la Chine s’est employée à perfectionner en Afrique, un modèle éprouvé, initié par les anciennes puissances coloniales, mais avec un savoir-faire hérité de son passé et de ses traditions historiques. Les Chinois n’ont pas inventé les échecs. Mais depuis quatre mille ans, ils disposent, avec leur jeu de go, d’un redoutable exercice de stratégie aux règles très subtiles. Les joueurs placent leurs pions noirs et blancs sur un damier de 361 intersections. Le principe consiste à conquérir ou à contrôler le maximum de territoires. C’est à cela que jouent les Chinois en Afrique contre les anciennes tutelles coloniales. L’empire du Milieu y applique une stratégie précise et calculée au détail près, pour bouter l’adversaire occidental hors de l’espace africain. Dans la nouvelle Chinafrique, le passif colonial occidental sert de cheval de Troie. Et sur le terrain à la différence des sociétés occidentales, les entreprises chinoises bénéficient d’un soutien financier colossal. Pékin est toujours derrière, avec des réserves financières de l’ordre de 2 400 milliards de dollars. Des subventions et une main-d’œuvre bon marché placent ses entreprises en position privilégiée. C’est l’une des armes des Chinois, pour mettre en place leur stratégie d’implantation en Afrique. Leurs entreprises peuvent y réduire considérablement les coûts et remporter plus facilement les contrats proposés par les pays africains. Elles proposent des prix de 30 à 50 % inférieurs aux offres occidentales. Elles ne travaillent jamais seules et se forment en véritables conglomérats, pour offrir aux pays africains des offres complètes ou dites « packages ». Ainsi, un projet peut contenir à lui seul une station de pompage, un barrage hydroélectrique, une centrale électrique, un chemin de fer d’acheminement, une raffinerie et une station portuaire. Ce type d’offre permet de mettre en place des infrastructures complètes, cohérentes entre elles du début de l’extraction à son exportation vers la Chine. Face à cette stratégie, les géants occidentaux du BTP par exemple, ne prennent même plus la peine de soumettre des offres dans la plupart des pays africains, qui sont progressivement conquis par les grandes entreprises chinoises de bâtiment et travaux publics ou de télécommunication. Leurs coûts particulièrement bas et une attention très limitée aux prises de risque, constituent une concurrence majeure pour les entreprises occidentales traditionnellement présentes dans ce secteur. Les entreprises chinoises peuvent rapidement mobiliser des milliers d’ouvriers, pour travailler sur un projet pendant des années. Ils travaillent vite et bien et vivent dans des conditions spartiates. En outre au plan politique, leur solide ancrage dans l’univers africain, engendrera un soutien d’autant plus important, que les Chinois manœuvrent aujourd’hui, pour consolider leur position aux Nations Unies. La réforme de l’organisme et une entrée possible du Japon au Conseil de Sécurité, risquent de soulever la problématique de définition de zones économiques exclusives, qui l’opposent à l’empire du Soleil Levant en mer de Chine, sans oublier les questions de Taïwan et du Tibet. D’où la nécessité de s’allier des Africains qui comptent pour plus d’un tiers des effectifs de l’ONU.
La prédation économique par « deal non regardant »
Pour atteindre ses objectifs, l’engagement de la Chine en Afrique se fait sans état d’âme, par un immoral « Deal non regardant ». Kenneth Roth, directeur de Human Right Watch, le résume en ces termes : « La politique étrangère de la Chine est délibérément agnostique. Reflétant la manière dont elle voudrait elle-même être traitée. Pékin adhère à une politique de non-ingérence, qui lui permet de commercer et d’investir sans se soucier de savoir si son partenaire est un démocrate ou un tyran ». La Chine offre aux dirigeants africains, particulièrement aux régimes autoritaires en place, un moyen inespéré pour se débarrasser du manteau de Nessus, que représentent les conditionnalités imposées par les Occidentaux. La Chine invoque toujours un principe de solidarité. Elle présente sa coopération avec les pays africains, comme une forme de partenariat entre nations en retard et historiquement dominées. Ceci lui permet de financer plusieurs régimes ne satisfaisant pas aux conditions internationales d’octroi de prêts, et où corruption et violations des droits de l’homme atteignent des proportions jamais connues ailleurs. Mais ceci est parfaitement cohérent avec le fonctionnement de la Chinafrique. L’empire du Milieu abrite déjà chez lui des problèmes de bonne gouvernance et entretient des élites corrompues et oppressives. Ces réalités présentent une étrange similitude avec celles que l’on recueille si souvent sur les dirigeants africains et leur entourage. Non seulement les Chinois en sont familiers, mais n’ont pas mis de temps pour exporter leurs propres méthodes de corruption, sans doute plus perfectionnées, en Afrique. Ainsi sous le regard bienveillant et avec la complicité d’élites peu regardantes, la Chine achète et vend, exploite des mines et des forêts, sans se préoccuper de l’environnement et du progrès social. Elle construit des infrastructures sportives et des palais présidentiels sans transferts significatifs de technologie. Elle investit très peu dans le développement industriel. La présence chinoise sur le terrain est plus néfaste encore pour les entreprises africaines, qui se voient exclues des marchés en raison du dumping forcené des firmes asiatiques. Beaucoup d’entreprises africaines sont aujourd’hui en faillite ou sont sur le point d’y basculer. Quant au « Local Content », c’est-à-dire l’embauche et la sous-traitance locale, tous les grands projets d’infrastructures sur le continent se font essentiellement avec de la main-d’œuvre chinoise, dans des pays où le chômage peut pourtant toucher près de 70 % de la population active. Alors que l’Afrique a besoin de stratégies qui permettent de briser le cycle de la pauvreté. Et là où ils associent des travailleurs africains à leurs entreprises, la plupart des cadres chinois bafouent leurs droits les plus élémentaires. Ceci dans des États qui n’ont ni les moyens ni la volonté de les faire respecter. Les entreprises chinoises exploitent ces vides juridiques, les failles des législations nationales et la faiblesse des organismes de contrôle, pour accroître leur marge de profits. Et le choc culturel est brutal car depuis la nuit des temps, pour une certaine philosophie asiatique du travail : « S’il n’est pas productif, l’homme n’est pas plus utile que l’algue ». Cette vision du genre humain explique sans doute, que l’on décèle toutes ces fissures dans l’édifice hâtivement bâti de l’alliance sino-africaine. Le principe du « Gagnant-Gagnant » tant vanté par les Chinois, n’est en réalité qu’un subtile « Made in China » exclusif. Aussi, le continent noir gagnerait à considérer la Chine comme un partenaire à l’égal des autres. Il doit harmoniser ses différentes coopérations, aussi bien avec les pays européens, les autres pays émergents, qu’avec les États-Unis, afin de maximiser les résultats de toutes ces synergies. Ce n’est qu’à ce prix, qu’il obligera la Chine à prendre conscience, que sa pérennisation ne pourra être assurée que par l’amélioration des conditions de son implantation.

Tidiane N’Diaye : Le Jaune et le Noir, Éditions Gallimard, mai 2013.///Article N° : 11606

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Les images de l'article
Carte dite de Liu Gang (1418). L'Afrique y est bien nette, en bas à gauche © DR
l'amiral Zheng He © DR
Les Wa Shagiia ou africains descendants des marins chinois © DR
Les sept expéditions de Zheng He © DR





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