« Kubolor : être simplement nous-mêmes »

Entretien de Carole Dieterich avec Wanlov Kubolor

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Aux côtés de l’Afro-Gipsy band, Wanlov the Kubolor mélange les sonorités d’Afrique de l’Ouest aux fanfares d’Europe de l’Est. Traduction musicale de l’expérience culturelle de l’artiste né d’une mère roumaine et d’un père ghanéen. Mais ce « gipsy africain » est aussi la moitié du duo, Fokn Boys, à l’humour aiguisé et la critique acerbe. Rencontre avec le caustique Emmanuel Owusu-Bonsu.

Vous êtes souvent décrit comme un « Gipsy africain ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
« Gipsy africain » me convient parfaitement car je peux m’identifier aux valeurs qui y sont associées. Cette désignation renvoie également à mes origines. En effet, je suis né d’un père ghanéen et d’une mère roumaine. Ce terme « Gipsy » évoque également un certain détachement des possessions matérielles et un attachement aux valeurs familiales. Il signifie aussi pour moi que je me sens chez moi partout. À mon sens, les Tsiganes sont libres d’esprit et très ouverts.
Pourquoi avoir choisi le pseudonyme « Wanlov the Kubolor » ?
À une époque, j’écoutais beaucoup de reggae, de raga mais aussi du hip-hop. L’expression One love était toujours associée au reggae et je voulais en faire quelque chose de plus universel. Ce n’est que plus tard que j’y ai ajouté le terme Kubolor, que l’on utilisait beaucoup pour me qualifier lorsque j’étais enfant. Littéralement, un Kubolor est un vagabond, un aventurier. À l’époque, j’étais très sauvage, j’étais un peu un tarzan urbain.
Pendant longtemps, je pensais que pour faire du hip-hop, mon style devait ressembler à celui de gens comme Talib Kweli ou qu’il fallait que je change mon accent, pour avoir l’air plus américain. Ajouter le terme Kubolor, c’est une façon de dire que nous devons simplement être nous-mêmes, pour apporter quelque chose d’unique au monde.
Ce changement a-t-il été marqué par une évolution musicale ?
J’ai toujours eu plusieurs sources d’inspiration. J’ai grandi au Ghana, je faisais du hip-hop, du reggae, de la musique traditionnelle, de l’highlife, de l’afrobeat, etc. Pendant longtemps, j’ai essayé de taire les influences la musique tsigane dans mon travail, tout simplement car ce n’était pas populaire. Mais un Kubolor ne se soucie pas de ce que les autres peuvent penser. Aussi, à partir du moment où je me suis laissé porter par cet esprit, toutes les influences dont j’avais pu faire l’objet ont pu s’exprimer. Enfant, ma mère jouait de la musique tsigane à la maison et mon père du highlife. L’utilisation du terme Kubolor correspond au moment où j’ai commencé à ignorer l’aspect commercial de la production musicale pour me tourner vers mes réelles influences, sans en avoir honte.
Dans quelle mesure votre formation, Wanlov Kubolor and the Afro-Gipsy band est une façon de traduire votre expérience culturelle dans votre musique ?
Lorsque je vivais aux États-Unis, j’ai commencé à mélanger des samples de tambours d’Afrique de l’Ouest avec des sons de violons des Balkans. L’idée de créer un ensemble composé de musiciens d’Afrique de l’Ouest et d’une fanfare d’Europe de l’Est était née. Mélanger le son des violons de Roumanie avec celui du N’goni joué en Afrique de l’Ouest. Dans ces deux parties du monde, le rythme de la musique est très rapide. J’ai commencé à voir de plus en plus de connexions entre les deux cultures. Cette musique que j’ai commencé à imaginer, c’était moi ! Un mélange entre la Roumanie et le Ghana.
Ce n’est qu’en 2010 que j’ai commencé à y travailler concrètement. Lauréat du programme « Visas pour la création » de l’Institut français, j’ai bénéficié d’une résidence à la Cité internationale des arts à Paris afin de mener à bien ce projet. J’ai produit cet album avec un ordinateur et un micro. Je samplais de la musique ghanéenne et je faisais des beats. Au moment de finir l’album, j’ai cherché des musiciens tsiganes pour compléter le projet. Pour les trouver, j’ai commencé à traîner dans le métro parisien jusqu’à ce qu’on me présente le groupe La Menina Sin Nombre (une contrebasse, un accordéon et violon).
Quelle est l’importance du pidgin dans votre travail ?
C’est la langue du commun des mortels. Le pidgin a longtemps été considéré comme une langue qu’il ne fallait pas parler, une menace pour l’anglais « pure » de la Reine. Nos esprits sont encore marqués par le colonialisme. À l’école, nous étions punis lorsque nous parlions le pidgin. Nous n’utilisions cette langue que lorsque nous étions entre nous et que personne ne pouvait l’entendre.
Le pidgin est une langue facile à comprendre. Par exemple, je peux parler pidgin avec les Jamaïquains et ils vont me comprendre. Elle est libératrice. Nous faisons notre musique avant tout pour nous-mêmes et ensuite pour les autres. Et la population moyenne au Ghana parle le pidgin. Certains artistes essayent de parler avec un accent jamaïquain ou américain, difficile à comprendre pour les Ghanéens moyens. Notre objectif est qu’un maximum de personnes puisse comprendre notre musique.
Vous avez vécu plusieurs années aux États-Unis où vous avez écrit votre premier album, Green Card, en 2007. Quelle est votre expérience de migrant aux États-Unis ?
Culturellement, l’influence des États-Unis est très forte. Avant d’avoir votre visa, vous commencez déjà à parler avec un accent américain. Ils sont si fiers d’eux-mêmes que cela vous infecte. Cela a été le cas pour moi également, mais malgré tous les efforts que vous pourrez fournir, vous ne serez jamais considéré comme un Américain. Tout cela est ridicule, il faut rester nous-mêmes.
Vous avez également passé du temps à Paris, quel est votre regard sur la situation des Roms en France ?
Je suivais les médias, je discutais avec les Roumains. Comme en Roumanie, je pense qu’il y a une peur des Tsiganes et de leur façon de vivre. Plusieurs de mes chansons traitent de cette situation. Le titre « Casa mea » est un peu comme le cri du Tsigane qui nous dit que la planète toute entière est sa maison, son chez lui. Même en Roumanie, où il existe une réelle culture tsigane, ces derniers sont traités comme des intouchables.
Pourtant si je devais qualifier le son de Paris, je dirais que c’est un son tsigane. Partout dans la ville vous pouvez entendre de la musique tsigane.
Une de mes chansons évoque d’ailleurs la politique de Nicolas Sarkozy ce qui m’avait à l’époque mis dans une situation délicate. Être financé par celui que l’on critique. L’Institut français m’a fait savoir qu’il apprécierait ainsi que je ne mentionne pas le nom du président de l’époque dans ma chanson. Du coup, j’ai remplacé le mot Sarkozy par Raskozy. C’est en quelque sorte le surnom rasta de Sarkozy !
Vous formez, avec le rappeur Mensa, les Fokn boys. Un nom provocateur pour un duo provocateur ?
Si je devais définir les Fokn Boys, je dirais que nous sommes les Boko Haram du rap ! L’Afro-Gypsy band est un projet spirituel et très personnel. Fokn Boys est l’expression de mon côté « bad boy ». Nous utilisons l’humour et la dérision comme arme pour dénoncer la corruption à l’œuvre dans la société et l’hypocrisie et la cupidité qui règnent dans la sphère religieuse. Par exemple, au Ghana, nombreux sont les prêtres qui vous assurent que grâce à la prière vous deviendrez riches, ou que vous pourrez vous payer une voiture… C’est pour nous moquer de l’Église que nous nous surnommons « gospel christian prosperity porn rap ».
Comment cela est-il reçu par le public ?
Nous sommes le premier groupe underground non affilié à une entreprise commerciale. Actuellement au Ghana, il est très difficile de survivre dans le milieu musical si un groupe de télécoms, par exemple, ne vous signe pas. Cela nous permet une grande liberté d’expression. La jeunesse du pays veut s’exprimer et ils cherchent des gens capables de porter leurs voix et de leur montrer la voie. Et nous sommes fiers de dire que nous menons la jeunesse droit en enfer !
Votre titre « Human Being » a été choisi par l’Unicef pour sa campagne de lutte contre le trafic d’enfants en 2006. Prenez-vous ce rôle d’ambassadeur à cœur ?
Je suis avant tout un artiste qui s’épanouit en étant créatif. Je ne soutiens pas spécialement les grandes organisations comme l’Unicef, simplement ils m’ont demandé s’ils pouvaient utiliser ma chanson. Je préfère m’investir auprès d’organisations locales comme par exemple Akosia, où je vais cet été apprendre à des enfants à faire des films. Je fais ça de temps en temps, parce que comme tout le monde ça nourrit mon ego ! Cela me permet de penser que je suis quelqu’un de bien !


Quels sont vos projets ?
Nous avons gagné le prix Mondomix Babel Med music 2013 et nous allons faire deux festivals en France et nous donnerons deux concerts à Paris au mois de juillet. Nous avons aussi enregistré une version entièrement live en studio avec l’Afro-Gypsy band. Avec Mensa, nous réalisons une comédie musicale entièrement en pidgin Coz ov Moni. Nous avons déjà écrit les deux premières parties.

Les prochaines dates :
Samedi 6 juillet 2013 à 18 h 00 au Square René Binet (75018 Paris) – Gratuit
Mercredi 10 juillet 2013 au [Festival Les Suds à Arles]
Place Paul Doumer à 11h30
Place Voltaire à 17h30
Vendredi 12 juillet 2013 à 20 h 30 à [l’Alimentation Générale], 75011 Paris – Gratuit

///Article N° : 11610

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