La poésie est un acte de connaissance

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Aube
Poésie, acte de connaissance.
Connaissance dans l’acception primaire, matérielle et sensuelle de naissance à l’autre, avec l’autre, aux mondes.
Une naissance comme toute autre, réelle et palpable qui élit une nudité, nomme une transparence.
Une naissance à son corps, à sa parole ; au corps fait verbe et au verbe fait chair, sang, artères.
Dans ce sens, le poète est celui qui tente de reconnaître à travers le bruit strident de la cacophonie généralisée érigée en norme, sa parole.
La poésie comme épreuve de vérité, sa vérité, sa propre vérité.
La poésie comme quête des origines, reconnaissance de sa propre géographie, conquête de son territoire.
Reconnaissance de sa parole, défiant ainsi celle de l’Ordre des Dieux et des Pouvoirs.
La poésie, cet instant-là, devient le chemin qui mène de soi vers le Soi, un voyage initiatique, initiation à sa propre parole.
Un voyage périlleux, itinéraire de dévoilements, une traversée des royaumes des ombres et des masques…Et l’Afrique est le continent des masques ; ceux de la tribu, des chefs, des fonctionnaires de l’Invisible, des gardiens des troupeaux amnésiques et des esclaves, là où la seule parole permise est celle du pouvoir temporel et celle de l’intemporel.
La poésie, la Déesse du Verbe, demeure un des derniers recours contre cette violence de la Vérité Absolue qui agit souvent comme une camisole de force, invisible et inconsciente, à l’expression novatrice et libre. Le pouvoir de la poésie réside dans la contestation permanente de la langue momifiée et la défense des langages périphériques, souterrains.
Son rôle reste central et vital, celui de rappeler qu’il y a d’autres paroles, d’autres mémoires. Celui d’initier au voyage à la découverte de sa propre voie, sa propre voix.
Elle est une force salvatrice si l’habitant de ce continent, mille fois bafoué, ose entreprendre le voyage vers son pays insoupçonné, épeler la langue de ses paysages, sa langue propre, celle de la poésie, de sa poésie.
Retrouver une parole confisquée, une mémoire originaire, celle de la première enfance, des premiers émois, premiers étonnements et celle ancestrale respecté mais sans cesse remise en chantier, interrogée, interpellée, une mémoire des commencements, des questionnements, de la création et non la pensée actuelle de l’achèvement, du prêt-à cuire, prêt à consommer.
La parole du village retrouvée.
Retrouver la parole directe collective et plurielle du village où chacun dit sa parole sans mandataire, sans intermédiaire, où tous portent la parole de chacun comme les étoiles portent le ciel.
Une parole où le seul pouvoir
est à l’intérieur du cercle
celui du village

au centre du cercle
au grand vide
au cœur de la vie
au cœur de l’énigme.
Extrait
J’ai passé des années derrière les zincs contemplant sa splendeur
des journées entières à la regarder traverser allègre le règne
des jours
J’en ai perçu des paysages ensorcelés des matinées exaltées
des après-midi fauves
le soir j’errais à la recherche des traces de ses senteurs
j’ai meublé mes nuits de vertige
j’ai bati des citadelles pour me protéger des assauts de
l’absurde, entonné des hymnes à sa gloire
aux déflagrations de l’aube j’ai salué ses descendants
je résistais aux lois de gravitations
allumais des feux de joie
puis le jour installant son ordre je trouvais refuge derrière
les comptoirs regardant l’unique à moi souriante silencieuse
passer doucement à l’autre versant du jour
(Fragments de lumière)

Originaire de Tripoli (Lybie), Kamal Ben Hameda a publié Fragments de lumière dans la collection Poètes des cinq continents (L’Harmattan 1999).///Article N° : 1165

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