Dele Sosimi : « le gamin qui jouait avec Fela »

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Dans le sillage de Fela Kuti on pense toujours à Tony Allen. Mais il n’y a pas que le batteur éclectique à porter l’héritage du « Black President ». Dele Sosimi a créé une base Afro Beat à Londres.

Il est des individus corpulents qui, sous l’effet de la transe musicale, atteignent la lévitation suprême. Bamidele Olatunbosun Sosimi alias Dele, cinquante ans, est de ceux-là. Son addiction s’appelle l’Afro Beat, une musique hypnotique, basée sur des sonorités funky et les jeux d’appels et de réponses de la tradition yoruba, sur laquelle il est capable de pianoter et fredonner sans répit. Ce genre, Dele l’a assimilé à la meilleure des écoles, celle de la famille Kuti, avant de voler de ses propres ailes, en Angleterre. En 1979, Dele Sosimi n’a que quatorze ans lorsqu’il est confronté au père de l’Afro Beat : « A l’école je reprenais les chansons de Fela au piano. J’essayais de décrypter ses arrangements. Je suis devenu ami avec son fils Femi. Je l’ai encouragé à pratiquer davantage le saxophone. Son père l’a mis dans mon école, car la sienne était remplie de soldats. C’est comme ça que je lui ai été présenté. »

Fela le protecteur
Les circonstances de la rencontre sont très particulières et intimement liées à la violence de la société nigériane : le père de Dele, un banquier installé de Lagos, fait alors la une de l’actualité. Il vient d’être assassiné, après avoir refusé de couvrir une énorme fraude, impliquant l’une des plus grandes banques du pays : « Fela était curieux, fébrile : « Dis-moi ! Que s’est-il passé ? Comment faites-vous pour vous en sortir ? Ta mère a cinq enfants à charge. Est-ce qu’on vous aide ? Non. Est-ce que vous avez vu un conseiller pour le traumatisme psychologique ? Non. C’est quoi un conseiller ? » Il était très choqué par le fait que personne n’était venu nous assister. C’était une tragédie. Mon grand-père a aussi été tué car il était dans la maison. C’étaient deux chefs de famille car c’étaient tous les deux des fils aînés. Fela s’insurgeait : « Je poursuis en justice le gouvernement car il a fait brûler ma maison. Quand j’aurai obtenu l’argent, je viendrai en aide à ta famille. Ce n’est pas normal ! La banque, le gouvernement devraient vous indemniser ! » Fela a été le seul de l’âge de mon père à s’exprimer avec cette véhémence. Tous les amis de mon père me disaient : « Chut ! Ne parles pas à la presse ! » Tout le monde avait peur. Mais Fela hurlait qu’il voulait se battre ! Je le regardais comme un héros. Je me suis dit : « C’est mon gars ! » Mon admiration pour lui s’est élevée plus haut que les toits ! »

Prodige du clavier
Dele se met à étudier à fond la musique de Fela, la décompose, apprenant à en maîtriser les subtilités mélodiques. Il va même le voir jouer dans son club : le Shrine : « Je le regardais avec son groupe : Egypt 80. Un jour, j’ai demandé si je pouvais tenter un solo : « Tu es sûr ? Ok. Vas-y ! » Je l’ai fait pendant un certain temps et c’est devenu habituel. On disait : « Regardez ! C’est ce gamin qui joue avec Fela ! » Je me sentais fier de jouer les claviers pour lui. A seize ans, après avoir passé mon examen au lycée, j’ai intégré sa formation à plein-temps et je ne me suis plus jamais arrêté de jouer ! » Un peu plus tard, Dele participe à la création de l’orchestre de Femi : les Positive Force. L’expérience durera neuf ans. « C’était très facile pour se lancer. On avait le nom Kuti : Femi Anikulapo Kuti, le fils de Fela. Les gens étaient intrigués et venaient nous voir. »

From Lagos to London
Mais Dele a des velléités d’indépendance. Il veut avancer pour lui-même. En décembre 1995, il s’envole pour le Royaume-Uni. Censé partir deux semaines il ignore alors que le séjour durera jusqu’à présent. Presque vingt ans ! Sauf que Dele Sosimi, inconnu au bataillon à Londres doit repartir de zéro : « C’était dur et j’ai dû persévérer. J’ai mis longtemps avant de trouver une bande de musiciens avec lesquels je pouvais me sentir à l’aise et évoluer. Je travaille avec mes musiciens depuis minimum huit ans. Mon entêtement a payé. On tourne dans le monde entier. »
Six fois par ans, Dele a également mis sur pied l’une des plus grosses soirées Afro Beat de la capitale anglaise : Dele Sosimi’s Afro Beat Vibration », au New Empowering Church : « Les gens viennent prendre leur dose d’Afro Beat. On recrée l’atmosphère du Shrine jusqu’à quatre heures du matin. Je ramène l’esprit de Fela. Je le fais danser, passer un bon moment. Quand je m’arrête, il revient où il est ! »

Sur scène, Dele côtoie une autre de ses idoles, le mythique claviériste de jazz : Joe Zawinul. « On s’était vus quand j’étais avec Fela. Il a écouté mon premier album, Turbulent times, en 2002. J’ai fait une résidence avec lui, à Vienne, puis on a joué à nouveau ensemble pendant son événement de charité en faveur des orphelins de l’ouragan Katerina. Il aurait dû jouer sur mon album Identity. Malheureusement, il est tombé très malade… » A l’heure où les maisons de disque s’écroulent Dele a pris le parti de l’autoproduction : « Ma musique est comme un vin rare. On ne me voit pas dans de grandes surfaces, mais dans de petites boutiques avec une clientèle de fidèles. »
Artisan, Dele enfile aussi de temps en temps le costume de l’enseignant. Il donne des masters class d’Afro Beat à la London Metropolitan University et durant le Copenhague Jazz festival. Côté studio, son nouveau single T.M.I est disponible en digital sur I Tunes. Quant à l’avenir de l’Afro Beat il se veut confiant : « Lors de soirées d’hommage à Fela : Saluting the black president, de jeunes artistes de hip-hop nigérians : Ty, Black Twang, Afrikan Boy et Breis sont venus porter ses valeurs. Ces jeunes qui n’ont pas connu Fela ont écouté ses disques et s’en sont inspirés. Ils admirent sa capacité à se lever pour l’unité africaine : Africa for Africa ! Il disait : « On peut tuer mon corps mais pas mon esprit » L’Afrique doit s’ouvrir, se réveiller. Le message est toujours d’actualité. »
Mais pour faire passer ses idées rien de tel qu’un groove que rien n’arrête. Comme dirait Dele : « L’Afro Beat vous donne un goût du paradis. On en ressort revigoré, en chantant : Lalala ! »

///Article N° : 11705

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© Dele Sosimi





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