Actualité du panafricanisme

Entretien de Dominique Fontaine avec le plasticien LucFosther Diop

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LucFosther Diop développe actuellement le projet « LesFl@mmes D’Ouvertures » dans le cadre du volet résidence Lab Web de LA CHAMBRE BLANCHE (Québec, Canada), un centre d’artistes autogéré voué à l’expérimentation et à la diffusion des arts visuels, qui l’accueille pour une résidence de recherche et création dans le contexte du programme de bourses Unesco-Aschberg pour l’Afrique francophone 2013. Ce projet marque pour LucFosther le début d’une période de recherche favorisant l’expérimentation numérique et médiatique – par le biais de la photographie, la vidéo, et des documents web recyclés – dans le but de créer une plateforme web indépendante. L’œuvre finale sera hébergée sur le site web de LA CHAMBRE BLANCHE pendant six mois et contiendra les archives de toutes les étapes de cette création – des interventions éphémères, des performances vidéo, la récupération d’images web et le détournement de sens de leur contenu.

D’abord, je tiens à vous féliciter pour être le premier lauréat du Programme de bourses pour artistes UNESCO-Aschberg 2013 pour l’Afrique francophone à la Chambre Blanche de Québec.
C’est moi qui vous remercie pour cette opportunité d’ouverture que vous m’offrez.
Né à Douala, au Cameroun, vous êtes diplômé de l’Université de Yaoundé 1 en arts plastiques (2003), vous résidez aux Pays-Bas depuis 2009, où vous avez effectué des études à la Rijksakademie van beeldende kunsten, Amsterdam. Comment ces expériences diverses s’intègrent-elles dans votre processus créatif, influencent-elles ou ont-elles influencé votre travail ?
Mon passage à la faculté des arts de Yaoundé1 m’a permis de prendre conscience de la nécessité d’avoir une façon personnelle d’aborder le processus de création. Puis, dans le cadre des résidences à l’ArtBakery (2003) et à la MTN Fondation (2007), j’ai commencé à développer une sensibilité m’amenant à être attentif à l’actualité, l’histoire, l’environnement et l’espace. Ce qui m’a permis de constater qu’il y a des objets, des événements et des sujets qui me parlent particulièrement. Au cours de ces périodes de résidence et de méditation, se sont donc développées les bases conceptuelles du travail de recherche que j’effectue jusqu’à nos jours. La Rijksakademie, quant à elle, viendra par la suite m’offrir l’espace et les moyens techniques pour clairement définir et affirmer une démarche véritablement originale ; et parallèlement me permettant de commencer à acquérir les rudiments professionnels de ce fabuleux métier. J’ai pu de ce fait développer des contacts professionnels de haut niveau qui m’offrent jusqu’à maintenant des opportunités de visibilité.
La mobilité est-elle maintenant pour vous un aspect important de votre rapport au monde et un élément essentiel dans votre construction identitaire et votre évolution artistique ?
Bien que ce soit encore très difficile pour des ressortissants du continent africain et plus particulièrement pour les artistes que nous sommes de pouvoir librement circuler vers les pays dits du « Nord », le fait de me mouvoir très régulièrement depuis cinq ans m’offre une extraordinaire chance de découvrir les vraies réalités de notre monde. Le monde est un livre ouvert et en le parcourant, on s’imprègne de ses diverses facettes. Ce qui me permet de remettre en question ce que la propagande nous diffuse comme vision du monde et m’offre l’opportunité de remodeler ma personnalité. De ce fait le travail de création que je fais, subit également des ajustements profonds pour s’adapter à la nouvelle perception que j’ai de notre monde.
LucFosther Diop, le patronyme Diop est très courant au Sénégal. Or votre notice biographique vous présente comme « artiste camerounais ». Quelle est votre relation au Sénégal ?
Je me définis avant tout comme un Africain. Ce nom est un nom d’artiste qui prend ses origines de ma langue maternelle, le bamendjou.
Je suis bel et bien originaire d’un des fragments africains qu’on appelle  » Cameroun ». Mon nom d’artiste est un poème pour célébrer l’idéal d’un dialogue d’abord intra-africain et ensuite universel. Plus généralement, c’est une poésie pour évoquer l’idéal d’un dialogue franc dans les relations humaines. Ce nom est également pour moi un prétexte pour poser la question de savoir : à quand le retour à l’humanité ?
Au cœur de votre démarche actuelle, vous placez les notions de néocolonialisme et impérialisme. Comment interprétez-vous ces termes et quel usage en faites-vous ?
L’approche que j’ai de ces termes est métaphorique. Il est question de la recherche des stratégies visuelles pouvant me permettre d’exprimer des aspects spécifiques des influences et répercussions du néocolonialisme et de l’impérialisme sur le continent africain en particulier et sur le monde en général.
En effet, littéralement, ces deux termes ont un dénominateur commun, c’est la domination. Et dominer c’est soumettre, c’est créer de l’étouffement. Je suis particulièrement sensible aux sujets, événements qui évoquent ce genre de situation.
Dans un contexte où on est contraint à l’asphyxie, la seule issue de survie c’est la résistance et la recherche des voies et moyens pour retrouver l’affirmation, l’équilibre et l’oxygène indispensable pour continuer à exister. C’est ça en gros la métaphore qui soutient ma démarche. Ma motivation profonde c’est donc de mettre l’accent sur la recherche des stratégies poétiques permettant de suggérer une réaffirmation et aération des patrimoines culturel, historique, urbain, social, économique et géographique occultés.
Votre projet de recherche intitulée « PASSWORDS » traite notamment du panafricanisme. Le panafricanisme est-il pour vous un concept encore pertinent 53 ans après les indépendances et dans un contexte de globalisation ?
Aucune véritable indépendance ne s’offre comme un cadeau. La preuve, 53 ans après ces soi-disant indépendances, l’essentiel des fragments africains vivent sous contrôle et, sauf exceptions, peuvent se dire véritablement indépendant. Le panafricanisme dans l’optique de la création d’un Grand État africain est la seule voie qui pourra permettre au continent de défendre plus efficacement ses intérêts. Mais mon travail en tant qu’artiste est d’inventer et de suggérer poétiquement des pistes pour célébrer l’idéal de l’unité. Si dans le cadre de la globalisation, certains espaces ne sont contraints qu’à jouer le rôle de consommateur de produits importés, de pourvoyeur de matières premières, et doivent ouvrir leurs portes à tout ce qui vient de l’extérieur, alors je pense que la globalisation est une autre grosse escroquerie, car une minorité impose sa vision à la majorité. De ce fait, il n’y a pas de véritable dialogue universel et la démarche panafricaniste reste pertinente si nous voulons nous affranchir et avoir une voix audible dans notre rapport avec le reste du monde.
Votre travail touche à des questions politiques, à des approches sociohistoriques, sans pour autant être un slogan. Votre projet PASSWORDS implique une évidente dimension historique et politique, en faisant référence à des figures majeures du panafricanisme (Marcus Garvey, Kwame Nkrumah, Frantz Fanon, Patrice Lumumba, etc.). Quelle serait la dimension politique de votre travail ?
Ces personnalités politiques et culturelles sont pour moi des étoiles à scruter, des symboles qu’il faudrait connaître pour mieux comprendre ce qui arrive à la terre Mère depuis au moins 500 ans. Car pour bien envisager où on va, il faut savoir d’où on vient et où on est. Il faudra bien sûr éviter de tomber dans le piège de l’aliénation en consommant le mensonge historique et actuel que la propagande a bien conçu pour nous. Je ne suis pas homme politique et n’envisage pas d’entrer en politique. Mais en tant qu’artiste, je pense que c’est à travers mon travail que je suis engagé de manière critique sur ce qui se passe dans le monde. Et suis en train de construire de façon singulière un système de pensée poétique qui suggère un idéal d’un monde plus équilibré. Les facettes de cette conception du monde se diffusent dans le cadre de mes projets et expositions.
Quelles sont les questions que vous vous êtes posées par rapport à la production artistique contemporaine qui vous ont amené à entreprendre le projet LesFl@mmes D’Ouvertures sur lequel vous travaillez actuellement à la Chambre Blanche ?
La production artistique contemporaine reste très marquée par des travaux utilisant la matière et le matériel alors que l’on vit dans un monde de plus en plus virtuel. Nous vivons dans un monde où l’information circule désormais à une vitesse exceptionnelle grâce à l’avènement d’internet et surtout des médias sociaux. Sur ces médias sociaux sont diffusées et documentées des informations via des articles, des photos, des vidéos, des liens, des films que l’on pourrait utiliser comme matériaux de travail. C’est ainsi que j’ai commencé à me poser la question de savoir : comment partir des matériaux recyclés du web pour inventer de nouvelles œuvres ? Des œuvres que j’appelle »VIRTUAL MADE » ou »N ÉO READY MADE ». Voilà donc comment est né le projet »LesFl@mmes D’Ouvertures ».
Une flamme pour moi est une inspiration, c’est le déclenchement d’une idée.
 »LesFl@mmes D’Ouvertures » est l’ensemble des inspirations lumineuses qui pourront suggérer des ouvertures sur le dialogue. Ce projet vise l’expérimentation numérique et médiatique par le biais de la photographie, la vidéo, le collage et des documents web recyclés.
Quels sont les artistes qui vous ont influencé ou avec lesquels vous partagez des affinités artistiques ?
J’aime beaucoup les travaux de Marcel Duchamp, Alfredo Jaar, Olga Kisseleva, William Kentridge, Mona Hatoum, Pascal Kenfack, Goddy Leye, Bob Marley, Fela Kuti, Youssou Ndour et Richard Bona.
Nous avons abordé divers aspects de votre travail et sujets de vos recherches. Pour conclure, y a-t-il autre chose que vous souhaitiez préciser ou ajouter ?
Je tiens vivement à rendre un vibrant hommage au Dr Pascal Kenfack et à feu Goddy Leye qui ont forgé l’artiste que je suis en train de devenir.
Je voudrais également dire un grand merci aux institutions qui ont permis que cette résidence soit possible et surtout saluer le Conseil des arts et des lettres du Québec, qui a œuvré pour que je puisse être reçu par M. Maka Kotto, le ministre québécois de la Culture et des Communications. Ce fut un grand moment de dialogue avec ce grand frère Africain.

///Article N° : 11709

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Les images de l'article
"Vitruvian World", mini DV, 1', 2010. © LucFosther Diop





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