Rentrée littéraire 6 : Georgia de Julien Delmaire

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Après plusieurs recueils de poésie, des pièces de théâtre, une verve poétique reconnue sur les scènes slam en France et au-delà, Julien Delmaire était attendu avec son premier roman, en gestation depuis plusieurs années. Georgia figure sans hésitation dans la sélection arbitraire de la rentrée littéraire d’Africultures. Un premier roman-fleuve, où coule et se déverse les putréfactions d’un quotidien mortifère d’où jaillit inlassablement… la vie.

Il n’y a pas d’issue à ce roman si ce n’est la mort. Dès les premiers chapitres de Georgia, le premier roman de Julien Delmaire, les cartes sont posées sur la table. Venance est mort. Sa vie nous est contée. Avec Ray Charles et Joy Division dans les oreilles, alternant avec la voix transcendante de Billie Holiday chantant Georgia comme un cri du cœur, on se laisse happer par le récit d’une vie. Celle de Venance croisant les pas de Georgia, de manière éphémère et pourtant à jamais.
« Il gardait plus violent que l’infarctus qui avait eu raison de son acharnement la brûlure d’un prénom : Georgia » (p. 13).
Georgia, cette jeune femme de la rue, tourmentée, perdue sans jamais se perdre, naviguant dans les méandres des ténèbres de l’asphalte, tout en protégeant sa liberté, sa dignité. En quête d’une cigarette en plein cœur de la nuit, elle rencontre Venance, alors plongeur clandestin dans un restaurant. Commence ainsi un artifice de vie à deux, dans une fusion des corps, un possible des cœurs jamais expérimenté. Venance, « son impossible amour et son unique regret. Elle allait devoir partir, tout gâcher, tout compromettre. Georgia fit une grimace aux démons qui voltigeaient dans la pénombre et se blottit contre l’arbre » (p. 138)
Parce qu’il faut survivre, plus que vivre. Il n’y a pas de choix possible, celui de vivre l’amour n’existe pas pour Georgia. Elle ne reviendra pas.
Une histoire d’amour en filigrane. Une chanson en tête. Celle de Georgia. Un cri, une vie, des espoirs désenchantés. La vie pourtant. La vie dans les méandres du parcours de Venance. Son enfance au Sénégal, la voie de l’exil en France. « Les hommes n’ont pas de racines, l’exil n’est pas un arrachement, plutôt un démâtage, une flottaison hasardeuse, un poison que l’homme s’inocule pour confondre la mort« . (p. 55) La misère, la prison, la rue. « La France s’oublie, se pisse dessus, oublie la merde dont sont jonchées ses rues et abandonne ses gosses mal torchés sur le bord du chemin« . Des personnages se dévoilent alors ; la cousine de Venance, Fanta, responsable d’un salon de coiffure en France, rêvant d’une vie dorée plus tard au Sénégal, plus tard quand elle sera usée par l’effort et les sacrifices. Demain c’est loin. Et puis Souleymane, le vieil homme, garant des traditions de son pays sénégalais, vivant en France depuis des décennies, rassemblant autour de lui, des exilés sans repère. Diallo, le militant, lutte pour sa dignité en s’engageant dans le combat des sans-papiers. Tandis que Samba pénètre le monde de la nuit et de la rue, prend la tête d’un réseau de dealers et de prostitution, en rêvant lui aussi à sa terre natale et à de meilleurs jours. Mais que faire du présent ? Quelle valeur ? Quelle saveur ?
On ferme le livre de Julien Delmaire avec ces questions en suspens. Celle finalement de la liberté individuelle perdue dans les méandres des contraintes sociales. De la condition humaine. Du questionnement de l’être dans sa solitude et ses choix… de vie.
La force de ce premier roman tient aussi en son esthétique. La construction en chapitre court et sous-chapitre percute, promène le lecteur dans des temps qui ne se rejoignent que dans les dernières pages. Chaque début de chapitre interpelle par une phrase qui pourrait exister par elle-même, à l’instar de : « La danse s’était figée, les amants s’étaient détachés. Ils n’eurent pas le temps de regretter la fêlure, leurs corps déjà s’inclinaient vers un destin consenti ». Ou « Les lueurs de l’enfance éclairent les prémices de la chute. ». Ou encore « Georgia est une chanson qui passe de bouche en bouche ». C’est un roman poétique où la langue fluide oscille entre le récit et les vers. Fulgurant ! Souffle alors comme un « vent de passage pour envoler l’époque. »

///Article N° : 11813

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