Des étoiles, de Dyana Gaye

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Des festivals de Toronto à Namur, le premier long métrage de Dyana Gaye commence à faire son chemin sur les différents continents. C’est justement de cette errance qu’il nous parle, de cette circulation des hommes et des femmes dans le monde, de leurs espoirs et de leurs déceptions, de ce qui les lie et les sépare, étoiles isolées qui aspirent à prendre sens en se regroupant dans une même humanité.

C’est effectivement un regard cosmique que porte Dyana Gaye sur notre monde : millions d’étoiles en mouvement dont l’enjeu sera de se rencontrer pour s’aimer et établir des solidarités, des constellations archipéliques. On ne se télescope pas dans les films de Dyana Gaye, ce qui les rend un peu consensuels, proches du conte de fées : leur moteur n’est pas le conflit mais l’harmonie et bien souvent la chance, la dynamique des rencontres et des chemins croisés, là où se tissent ces amours qui viennent déjouer les solitudes et les enfermements, ici de l’immigration. En cela, Des étoiles poursuit au niveau intercontinental la démarche chorégraphique et musicale d’Un transport en commun (2009) : des êtres se déplacent, bien forcés de se confronter, et plutôt qu’un choc, c’est un ballet qui se met en place, un chant polyphonique où chacun aura sa voix, son parcours, son désir dans une aventure commune et communément assumée.
Si du mariage au cousinage, les principaux personnages devraient être proches, ils ne se rencontreront en fait jamais. Ils se ratent : le déplacement les éloigne, mais en se ratant, s’ouvrent pour eux les occasions d’évoluer, ou de se révéler. La première structure de scénario du film proposait des lettres, des correspondances entre exilés et leur pays de départ, comme un écho au premier court métrage de Dyana Gaye, Une Femme pour Souleymane (2001). Mais la réalisatrice décidera finalement de les ramener à des histoires aux univers qu’elle connaît et qui lui sont chers de par ses origines : Dakar (son père est Sénégalais), Turin (sa mère est d’origine italienne et sa langue maternelle est l’italien) et New York, une ville qu’elle admire tout simplement et dans laquelle elle a toujours voulu tourner.
En un montage parallèle ménageant peu de raccords et sautant sans cesse d’un lieu à l’autre, les trois histoires se tissent entre Turin, New York et Dakar, sous la forme d’une chronique déclinant à la fois les vicissitudes de l’immigration et le hasard chanceux des rencontres autant que des malchances. Le triangle Europe, Afrique, Amérique n’est pas neutre, ce que confirme une visite à la maison des esclaves de Gorée et un point de méditation silencieuse à la porte de non-retour, face à la mer que de l’autre côté de l’océan, l’immigré clandestin Abdoulaye regarde fixement après avoir achevé de perdre sa fierté. Mais si les rudes logiques de l’immigration évoquent les anciennes assignations, une inversion des routes est à l’oeuvre : c’est d’Amérique en Afrique, d’Europe en Amérique ou d’Afrique en Europe que l’on voyage. Au-delà de la nécessité économique, s’impose la fascination pour l’ailleurs, la quête initiatique du voyage : « On ne les empêchera pas d’aller voir de leurs propres yeux ».
Mais une fois en orbite, cette trajectoire initiale se heurte à la réalité où se combinent déceptions et solidarités. Les plans changent, entraînent de nouvelles destinées grâce à des rencontres imprévues. Et plus on avance, plus cet imprévu est difficile à justifier, à expliquer aux proches. Mais c’est justement cet imprévu qui forge l’énergie des personnages, leur force étant d’y faire face et de se l’approprier pour en faire un atout, dans un univers en tension entre hasard et nécessité.
A la différence de Babel (Alejandro González Inárritu, 2006) où la galaxie de personnages ne partageaient que la désespérance de l’isolement et de la douleur, la polyphonie mosaïque de Des étoiles s’affirme au contraire comme un chant certes mélancolique et conscient des douleurs mais ô combien dynamique, celui d’un positionnement dans le monde qui, sans renier ses origines, ne s’attache plus à un territoire : adolescente amoureuse du beau Thierno venu d’Amérique, la jeune Fatou affirmera habiter elle aussi à New York. Elle est prête à bouger elle aussi, même pour des pays qui ont aussi leur pauvreté, comme ce clochard qui rejoint Abdoulaye sans abri. Car c’est dans le voyage que se groupent les étoiles.
Hymne à la circulation et à la rencontre, Des étoiles est ainsi un vibrant plaidoyer contre les murs qui séparent et enferment.

///Article N° : 11857

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