Elom2Oce, le rappeur arctiviste

Entretien de Fatou Sall avec Elom20ce

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Rappeur, Elom Vince (20ce) se définit comme un Arctiviste (« artiste » et « activiste ») partisan d’une Afrique unie et riche de toutes ses diversités. Sous le label Asrafo Records, ce griot contemporain togolais sort en 2012 son premier album Analgézik. Entre rap et slam, il y relate les idéaux d’un jeune tiers-mondiste conscient de son histoire. Alors qu’il prépare son prochain album, Indigo, Africultures l’a rencontré.

Pourquoi Elom20ce pour nom de scène ?
Elom
signifie « Dieu m’aime » en éwé. 20ce est le diminutif de Vinceslas, mon nom de baptême.
Rappeur vous dites que « Le rap engagé est un art dangereux, il faut être physiquement et psychologiquement fort », pourquoi ?
Quand il est difficile de trouver des personnes pour soutenir tes projets, ou qu’ils te demandent d’édulcorer le propos ; quand tu investis toi-même et que malgré ces efforts les portes restent closes, les critiques acerbes, la censure tacitement présente, psychologiquement c’est parfois dur… Par exemple, pour mon clip L’Orage approche, on m’a dit de couper des phrases si je souhaitais qu’il passe sur certaines chaînes de télévision. Pour le morceau Castration mentale, certains programmateurs m’ont dit qu’ils l’aimaient beaucoup mais qu’ils ne souhaitent pas le jouer pour éviter des problèmes. Physiquement, je parle plus de la détention, ou des coups que peuvent recevoir des artistes qui chantent les dérives de nos systèmes politiques. Je pense au rappeur marocain Mouad Belghouate alias L7a9ed par exemple…
Asrafoest le nom du label indépendant « made in Togo » qui vous produit. Les Asrafo, sont des chefs de guerre au sein de certains peuples du Golfe de Guinée notamment du Ghana et du Togo. En quoi était-il pertinent pour vous de donner ce nom au label ?
Nous nous percevons comme des combattants de la liberté armés de notre musique et de nos textes. C’est aussi le côté panafricain de notre démarche et l’aspect revendicatif des textes qui sont mis en avant. Il y a des Asrafos au Ghana, au Togo et au Bénin. C’est un terme fédérateur.
On sent aussi dans vos textes de rap la volonté d’édification d’une nouvelle Afrique.
Fondamentalement, il s’agit de faire de l’art en apportant notre pierre à l’édifice d’une Afrique forte et digne. Au sein du label Asrafo Records, nous souhaitons que ce que nous faisons ait une sonorité africaine et non pas seulement togolaise. L’objectif est d’apporter quelque chose de neuf, de conscientiser les gens à travers la musique, tout en perpétuant la mémoire africaine. Pour exemple dans les morceaux : « Autopsie d’une nation vol 2 » c’est l’histoire du Togo que je livre à ma manière.

Vous vous revendiquez comme panafricain. Concrètement, vous vivez entre le Togo et le Ghana. L’un est francophone, l’autre anglophone. Vous disiez notamment en parlant de votre voisin ghanéen : « si on est des peuples frères, au niveau culturel, ça manque de partage ».
Quand nous prenons les liens qu’entretiennent les familles des deux côtés de la frontière, cette distinction entre Afrique francophone et anglophone n’est pas visible. Ce sont des Ewés qui, par la force des choses se sont retrouvés dans deux États différents. Par contre, les liens sont de moins en moins entretenus par la nouvelle génération. La langue reste un obstacle d’intégration. Du coup chacun reste dans son coin. Il y a très peu d’échanges artistiques, notamment dans le rap.
En fait, le racket dont souffrent les populations aux frontières malgré les textes de la Cedeao (prônant la libre circulation des personnes et des biens) ne facilite pas les choses. Certes, il y a des fêtes traditionnelles comme la fête des Éwés d’Abogozan. Elle rassemble les Ewés du Ghana, du Togo et du Bénin. De fait, les liens culturels sont là mais nous ne les exploitons pas. Il nous faut des événements pour que les peuples se rencontrent. Alors qu’un endroit comme Cape Coast au Ghana, témoin vivant de la traite des Noirs, devrait être raconté dans les manuels scolaires, institutionnalisé et inscrit au programme comme une visite historique que les élèves togolais se doivent de faire. Selon moi, la plus grande barrière dans la zone Cedeao, ce sont ces frontières arbitraires qui demeurent. Ce pourquoi, à notre niveau, nous essayons d’abolir ces frontières tracées à Berlin, en tissant des liens avec les artistes.
Pourquoi avoir choisi de rapper en français, plutôt qu’en éwé ?
Je veux toucher le maximum de personnes, d’Africains surtout. Cela n’est pas possible avec l’éwé, qui n’est parlé qu’au Togo, au Ghana et au Bénin. Toutefois, j’ai beau rapper dans la langue de Molière, je raconte des réalités qui sont les miennes. En tant que panafricain, on me reproche de rapper en français. Or, cela ne signifie pas que je m’adresse uniquement aux Français ou que je délaisse ma langue maternelle. Quand je dis : « le soleil me mange » pour dire que le soleil me brûle ou le « ventre me tue » pour dire j’ai faim, ce sont des références à la profondeur sémantique de nos langues maternelles. Dans « Autopsie d’une Nation 1 », il faut connaître les acteurs de la scène politique togolaise pour saisir la quintessence du texte. Le français me permet juste d’atteindre un public plus large.
À la fin de l’album Analgézik, on découvre un documentaire sonore sur un village au sud du Togo. On dit aussi souvent qu’il y a deux Afriques, celle des villes et celle des campagnes. Quel est votre rapport au monde rural ?
Je pense que l’on ne peut rien construire si nous ne maîtrisons pas notre histoire, notre passé, notre culture. Or, la jeunesse dans la zone rurale est attirée par les zones urbaines, et les populations des zones urbaines attirées par l’Occident. Au final qu’est ce qui nous restera ? J’ai voulu à travers ce documentaire, faire prendre conscience de cet état de chose et de l’importance que nous devons accorder à la SOURCE, la campagne. Je l’ai mise en piste cachée, car il représente la racine de l’album, ce qu’on ne voit pas mais qui soutient le projet. Je suis né en ville, j’y ai grandi. Aujourd’hui je suis attiré par cette Source pour comprendre d’où je viens. Un retour vers le passé, pour comprendre le présent afin de mieux appréhender l’avenir.
Asrafo semble porter d’autres projets en parallèle. Pouvez-vous nous à parler ?
Concrètement, Asrafo Records porte trois projets phares, en plus de la production audio. D’abord, le concept Arctivism, événement né en 2009 qui se définit comme l’engagement sociopolitique porté par l’art et dont l’objectif est de revenir sur les personnalités qui ont marqué l’Afrique. Tous les trois mois, graff, chant et cinéma se rassemblent. Nous avons célébré Thomas Sankara, Mohamed Ali, Patrice Lumumba, Aimé Césaire, Che Guevara, Féla Kuti, Mehdi Ben Barka, Angela Davis, Amical Cabral, Félix Moumié et le 19 octobre dernier, Steve Biko pour nos 4 ans ! C’est un projet itinérant qu’on a présenté aussi dans certains villages togolais, à Paris, à Ouagadougou et à Cotonou… On publie aussi un magazine : l’Asrafozine. « La Feuille et le Papier » est un autre projet d’Asrafo. Nous organisons une soirée thématique autour d’un livre et d’une plante. La première a été consacrée à l’ouvrage Africa must unite de Kwamé Nkrumah et à la plante morenga, utilisé largement dans l’industrie pharmaceutique en Occident. L’idée est toujours de ne pas oublier nos racines sans nous couper de la modernité.Enfin, Cinereflex (contraction de Cinéma et Réflexion), est un cadre d’échange mensuel qui permet à la population de Lomé de venir discuter de manière libre de l’actualité et de l’histoire.
En parlant de votre premier album Analgézik vous disiez « l’album est un peu sombre et cela me ressemble. Mais peut-être parce que je suis en quête de lumière ». Votre prochain opus intitulé Indigo aura-t-il une tonalité plus gaie ?
En fait, la quête de la lumière continue car la réalité est toujours sombre. Indigo sera la suite logique d’Analgézik. Les morceaux sont majoritairement introspectifs, je ne peux pas dire que cela sera plus gai. Pour moi, l’écriture demeure un exutoire. Il s’agit de toucher les gens en racontant des histoires. Musicalement je construis un album plus abouti avec un habillage sonore très live, limite jazzy. L’Indigo c’est aussi la 7e couleur de l’arc-en-ciel que nous ne pouvons voir à l’œil nu. Métaphoriquement, c’est un peu le ressenti que j’ai par rapport à notre propre art et nos actions. Indigo, c’est enfin la teinte utilisée pour teindre les pagnes, une couleur extraite des plantes et de racines. L’idée encore une fois est de tirer l’essence des racines pour peindre quelque chose de douloureux mais de beau.
Qu’est ce qui vous a inspiré dans la réalisation de ce nouveau projet, Indigo ?
Le clip du premier morceau commence par une phrase de Salvador Allende « Ils ont la force, ils pourront nous asservir ; mais on n’arrête pas les mouvements sociaux, ni par le crime ni par la violence. » Indigo c’est ma vision actuelle de la vie, l’Afrique face à elle-même et à ses ennemis, mes interrogations, mais surtout mon optimisme radical, ma foi en l’Homme. Indigo est prévu pour la fin 2014 voire début 2015. Par ailleurs, je travaille aussi sur un projet avec trois musiciens (un batteur, un saxophoniste et un trompettiste), qui sortira sans doute avant l’album Indigo. Rhythms and Roots sera le titre. C’est un projet expérimental, où je prendrai artistiquement parlant beaucoup de risque. Je n’en dirai pas plus…


L’actualité politique togolaise des derniers mois a été mouvementée (législatives, manifestations citoyenne, répression…) Quel est votre sentiment de citoyens et de rappeur ?
Toutes ces manifestations, qu’elles soient syndicales ou politiques dénotent le malaise présent dans le pays. Les gens ont soif de changement, sans savoir quelle stratégie adopter. Les salaires sont maigres, la vie chère. La solution, je ne l’ai pas. Mais je pense qu’il est fondamental qu’on remette la dignité humaine au centre des causes que l’on défend. En fait, ce qui se passe au Togo n’est pas si éloigné de ce qui se passe dans d’autres pays africains, francophones en particulier. Je pense que c’est un jeu d’intérêts. D’un côté, les « puissances occidentales » et leurs valets. De l’autre une opposition en panne d’initiatives et de stratégies. Et entre les deux une population qui de plus en plus se désintéresse de la politique, et qui paie souvent le lourd tribut lors des crises. De mon point de vue, il est important de prendre conscience de l’état du monde dans sa globalité, et la « non » place que l’Afrique y joue. Alors les réalités évolueront. Frantz Fanon disait « la dernière bataille du colonisé contre le colon sera souvent le combat des colonisés entre eux ». Il nous faut intégrer une vision panafricaine du développement et de l’émancipation africaine. Sinon on s’épuisera à coup de petites révolutions et de manifestations stériles. La société civile doit jouer son rôle et cela passera par un changement des mentalités et une prise de conscience collective.
Enfin, en tant qu’Africain d’origine togolaise, pouvez-vous me donner votre regard sur l’Afrique et vos souhaits pour ce continent que vous nous racontez ?
Nous sommes dans une époque qui est un peu l’agonie des anciennes puissances. Une époque d’errance pour les peuples du sud. C’est l’image « des riches en danger, des pauvres en péril ». L’élite africaine se doit de prendre conscience de sa situation sinon elle se fera de nouveau bouffer. L’Afrique est comme le poumon de l’Occident depuis des siècles. Elle réclame sa part, à juste titre mais elle n’a rien. Son élite y est pour beaucoup. Soit parce qu’elle collabore, soit parce qu’elle a adopté la politique de l’autruche. Il nous faut peut-être lorgner du côté de l’Amérique latine pour s’en inspirer. Mon souhait, c’est une Afrique où ses habitants sont respectés et traités avec dignité comme des humains. Cela passe selon moi par un État fédéral africain, militairement, économiquement et politiquement puissant.

///Article N° : 11907

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