Le cinéma au Burkina Faso (4)

Entretien de Léo Lochmann avec Ardiouma Soma

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Ardiouma Soma est depuis 2012 le directeur de la Cinématographie nationale du Burkina Faso. Il a été le directeur artistique du Fespaco, et auparavant directeur de la cinémathèque africaine basée à Ouagadougou.

Est-ce que vous pouvez me dire en quoi consiste votre rôle à la direction de la cinématographie ?
Je suis le directeur de la Cinématographie nationale rattachée au ministère de la Culture et du Tourisme. Ce ministère a en charge la mise en œuvre de la politique culturelle et touristique du Burkina Faso. Dans cette politique culturelle, il y a le cinéma qui a une position leader dans le Burkina Faso. La direction nationale du cinéma a justement pour attribution de mettre en œuvre la politique cinématographique d’État. Celle-ci passe par la réglementation, l’élaboration des textes réglementaires qui régissent la profession et les activités cinématographiques au Burkina Faso et aussi par l’étude de tous les dossiers relatifs aux financements que l’État apporte au développement des activités cinématographiques et audiovisuelles.
Est-ce que vous pouvez me présenter les types d’aides à la cinématographie qu’il peut y avoir de la part de l’État burkinabé ?

De la part de l’État burkinabé, il y a eu des aides multiformes. Il est très engagé dans le cinéma, pratiquement depuis les indépendances, qui remontent aux années 1960. Dès les années 1960, notre pays s’est fortement impliqué dans la production et la diffusion cinématographique : il y a énormément de films qui étaient produits pour communiquer avec les populations sur des questions fondamentales relatives au développement comme les secteurs de la santé et de l’agriculture. Et, comme dans notre pays il y a une soixantaine de dialectes qui sont parlés, les autorités ont vite estimé que l’audiovisuel et le cinéma pouvaient faciliter la communication avec les populations. Avec l’appui de partenaires, comme la coopération française, il y a eu beaucoup de personnes qui ont été formées. Les films étaient tournés sur place et diffusés sur place au Burkina. L’État finançait directement la production des films, jusque dans les années 1980.
Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ?
L’État participe actuellement mais, jusque dans les années 1980, l’État finançait à 100 % les productions. Les premiers longs métrages ont été entièrement financés par l’État burkinabé. En 1969 il y a eu la création de ce festival qui est le Fespaco, qui tient régulièrement ses éditions tous les deux ans. Il y a eu la nationalisation de la distribution cinématographique à partir de 1970. Il y a eu la création d’une école internationale de cinéma et d’audiovisuel à partir de 1976 et il y a eu aussi la création du Centre national du cinéma au même moment, en 1976-1977. Donc il y a eu une série d’événements comme ça qui ont fait que l’activité cinématographique s’est développée très rapidement et beaucoup de personnes se sont intéressées à l’activité cinématographique. Des sociétés privées se sont investies et l’État n’était plus le seul opérateur.
Il y a eu une volonté politique qui était très forte à un moment donné, mais peut-être que maintenant ça a un petit peu diminué ?
Non, pas vraiment. La volonté politique est toujours là. Moi je m’amuse parfois à dire que le Burkina Faso est peut-être le seul pays qui a construit un immeuble pour un festival. Ça n’existe nulle part ailleurs. Même en France avec Cannes, il y a le palais des festivals qui est construit à Cannes mais qui abrite plein d’autres festivals. Je ne sais pas s’il y a un immeuble qui a été construit quelque part et qui soit le siège d’une association internationale de festival de cinéma. Je crois que l’effort du Burkina est constant dans ce domaine mais la crise du cinéma mondial a entraîné la fermeture des salles. La Société nationale de distribution et d’exploitation (Sonacib) a été bouffée dans la grande vague de privatisation. Tous ces phénomènes ont désaxé un peu le système mais l’État est toujours présent et on est en train de chercher les voies pour aider le cinéma burkinabé à mieux se structurer. Il y avait par le passé une forte organisation de professionnels au sein d’association nationale et internationale. Il y avait une Union Nationale des Cinéastes au Burkina (UNCB) qui était assez bien structurée, qui était forte et il y avait la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) dont le siège est toujours à Ouagadougou et qui fonctionne très bien. Mais il y a eu un peu de relâchement à un moment donné et là, présentement, l’UNCB vient de reprendre avec un nouveau bureau et un programme. L’État se réjouit que les cinéastes soient en train de s’organiser. Nous sommes en train de revoir toute la réglementation pour une mise à jour afin de tenir compte de l’évolution des technologies dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, des nouveaux métiers qui en découlent etc.… pour introduire de la souplesse afin de faciliter le travail des sociétés privées qui s’engagent dans ce domaine et pour les encourager. On essaie de réduire les délais pour les différentes licences, autorisations, etc. Pour appuyer les productions, l’État avec ses différents partenaires, a pu obtenir du matériel très important pour la production numérique : matériel de tournage, matériel de post-production. Il y a des infrastructures très importantes que l’État a acquises et qui sont à la disposition des producteurs, des réalisateurs, des cinéastes. Il y a aussi l’intervention financière de l’État pour accorder des subventions à des sociétés, à des promoteurs privés. Ça, c’est un apport financier qui est prévu et on est en train de travailler à l’augmentation de cette enveloppe qui varie selon les années.
Vous avez longtemps travaillé au Fespaco, et il y avait une distinction claire entre, d’un côté la télévision et de l’autre côté le cinéma. Est-ce que vous pensez que dans le cas du Burkina cette distinction a encore du sens ?
Il y a plusieurs compétitions au Fespaco, plusieurs sections de compétition. Il y a une compétition pour les fictions de long-métrage où nous exigions, jusqu’à présent, que les copies qui sont présentées soient sur pellicule 35 mm. Il y a aussi une compétition pour le court-métrage qui sera ouverte à tous les formats à partir de 2013. Vous avez ensuite une compétition pour les séries parce que c’est un genre qui est en développement, en tout cas dans les pays africains qui se sont résolument tournés vers la production de ce genre de films pour alimenter les chaînes de télévisions africaines en productions locales. Avec l’avènement du numérique, il y a énormément de gens qui se sont intéressés à la chose cinématographique sans forcément avoir une formation ou une expérience dans le domaine du cinéma. Ce sont des personnes qu’il faut aussi prendre en compte parce que nous avons un festival qui est assez ouvert. Grâce au festival, et aux rencontres qu’il permet avec des professionnels plus aguerris, nous aurons peut-être demain des cinéastes de haut niveau parmi ces personnes qui s’essaient au numérique. On peut avoir demain de grands réalisateurs.
Qui pour le moment ne sont pas de grands réalisateurs ?
Quand vous regardez ces films, il y a encore beaucoup de choses qui manquent si on les regarde avec toutes les exigences professionnelles du cinéma, cela s’entend. Mais les exigences professionnelles du cinéma ce n’est pas ce que le spectateur vérifie quand il est dans une salle. Quand le spectateur se trouve dans une salle, il veut seulement voir une histoire, il veut du rêve donc il ne s’embarrasse pas des données techniques : la profondeur de champ ou bien la force du scénario. Ça ne l’intéresse pas forcément et surtout, nous sommes dans des situations, en Afrique, où quelques fois les gens ont simplement envie de se voir parce qu’il y a eu pendant longtemps une absence de leurs propres images sur leurs propres écrans. Avec le numérique, les jeunes qui se sont adonnés à la production cinématographique viennent combler un vide. Donc il y a forcément un engouement pour ce type de films et c’est ce qui a amené le Fespaco à les prendre en compte. Beaucoup de gens demandent pourquoi il y a ce distinguo entre une compétition à l’étalon de Yennenga qui est réservée aux 35 mm et une autre section qu’on dit « numérique » ou « TV-vidéo ». En 2013, déjà il n’y aura plus de distinguo : la compétition pour les courts métrages est ouverte à tous les formats. Il est évident que dans un proche avenir, la compétition pour l’étalon de Yennenga va être ouverte à d’autres formats. Il faut qu’on évolue à notre rythme. Le numérique n’est qu’une technologie. Avec le numérique on peut faire des films de grande qualité, tout dépend de la manière dont on appréhende le numérique, de la manière dont on l’utilise. Il faut que petit à petit, au niveau du cinéma africain, on arrive à intégrer le numérique comme un outil qui peut faciliter la production cinématographique du point de vue des coûts. Mais là aussi, il faut faire attention parce que les gens ont pensé que le numérique ça va automatiquement réduire les coûts donc ils divisent les coûts par dix. Mais quand vous divisez les coûts par dix, même avec le numérique c’est pas évident que vous puissiez atteindre un certain niveau de production. Pour le cinéma de qualité il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Il y a la technique, il y a aussi tout le côté artistique, le choix et le jeu des acteurs, et même la capacité du réalisateur à diriger les acteurs. Ce n’est pas seulement le matériel qui va permettre de faire un bon ou un mauvais film. De ce fait, je pense que même au niveau de la diffusion, il faut que nous arrivions à accélérer la mutation pour l’équipement de nos salles. Aujourd’hui, le Fespaco utilise des salles que l’État burkinabé a contribué à équiper de matériel de projection de films 35 mm, du matériel performant avec du Dolby stéréo et tout. Ce matériel est en bon état mais les salles ne sont pas encore équipées en matériel de projection numérique. L’unanimité se fait de plus en plus autour du format numérique donc forcément le Fespaco va évoluer vers ce format. Mais ce que nous demandons c’est que les gens acceptent qu’on avance à un rythme acceptable parce que même au niveau des professionnels en Afrique l’unanimité n’est pas encore faite sur l’abandon du 35 mm. Le Fespaco doit prendre en compte les différents avis. Mais c’est clair qu’on va y arriver.
J’ai l’impression qu’au Burkina Faso il y a un peu une exception d’un cinéma qui fonctionne par rapport aux pays voisins et qui remplit les salles de cinéma. À l’inverse il y a une chute de la notoriété des films burkinabés sur la scène internationale. Depuis quelques années, on ne voit plus de films burkinabés dans les festivals européens, comme le festival de Cannes par exemple. À quoi cela est dû à votre avis ? Ou bien est-ce que je me trompe ?
Non, ça, ce n’est pas seulement les films burkinabés, mais l’ensemble du cinéma africain, en tout cas au sud du Sahara. Je crois que c’est un phénomène qui est dû certainement au problème des financements ? Si vous jetez un coup d’œil dans le rétroviseur, il y a une période où il y a un boom du cinéma africain, notamment à travers le festival de Cannes où on avait quelques fois sept ou huit films de l’Afrique subsaharienne dans la sélection officielle ou bien dans les sélections parallèles. Cela correspondait à une époque où il y avait non seulement un appui important des différents États africains à leurs cinématographies nationales mais il y avait aussi et surtout des mécanismes de financements étrangers, notamment européens, qui appuyaient fortement la production cinématographique. Il y avait une forte action de l’Union Européenne, de la France, à travers plusieurs mécanismes d’ailleurs, le Ministère chargé de la coopération, le MAE et aussi le Centre national de la cinématographie en France qui apportaient un soutien important. Il y avait de multiples guichets en Europe qui accordaient des subventions très importantes aux cinéastes africains. C’est ça qui a permis à l’époque aux cinéastes d’un certain niveau de pouvoir produire des films de qualité mais quand vous regardez un peu les bilans financiers, c’est des films qui ont parfois coûté 600 millions de FCFA, 800 millions ou près du milliard de FCFA donc c’est des coûts énormes. À la fin des années 1990, il y a beaucoup de guichets qui ont fermé ou qui ont fusionné pour faire des guichets uniques avec des conditions assez compliquées et avec l’élargissement de leurs spectres d’interventions. Des financements qui étaient réservés jadis aux cinéastes africains, sont désormais des guichets qui sont ouverts à l’Afrique, à l’Asie, à l’Amérique Latine, donc ça devient très large avec des conditions d’accès difficiles. Avec l’avènement du numérique, les jeunes cinéastes ont commencé à s’intéresser aux films à petits budgets : des petites formes, des séries et des longs métrages assez légers du point de vue même du sujet et de la production, donc évidement des petits budgets. Et il y a des bailleurs de fonds, des guichets qui finançaient avant les films et qui ont dit : « Tiens avec le numérique aujourd’hui on peut faire des films légers qui intéressent le public, qui se déplace pour les voir. » Ensuite il y a des programmes pour les télévisions locales. Il faut plutôt encourager ce genre de productions au lieu de mettre, je ne sais pas moi 500 000 euros dans un film qui ne va pas avoir une exploitation commerciale. Il y a des bailleurs de fonds qui ont eu cette réflexion-là et la priorité a commencé à être accordée aux films à petits budgets.
Il y a des cinéastes qui avaient déjà connu leur renommée internationale à travers des films de grande facture et ces cinéastes-là, on a l’impression qu’il y a comme un repli sur eux, parce qu’ils n’ont pas envie de descendre dans les films à petits budgets numériques. En même temps ils n’ont pas les moyens pour mettre en production les grands sujets qu’ils ont déjà écrits et qui sont en train de dormir. On est un peu dans une situation qui fait qu’aujourd’hui sur le plan cinématographique international, l’Afrique au sud du Sahara n’est pas très présente. Les films à petits budgets ça fait tourner l’économie locale, c’est une bonne chose, c’est important que ces films soient là parce que c’est grâce à ces films qu’il y a encore une activité cinématographique en Afrique au sud du Sahara. C’est important. Il faut les saluer, les encourager mais je pense qu’il faut aussi qu’on travaille à ce qu’il y ait aussi une place pour les films d’auteurs, des films qui peuvent porter l’image de l’Afrique hors de l’Afrique. Des films aussi qui peuvent travailler à la sauvegarde de notre patrimoine.
Selon vous, à quoi est dû le fait que le Burkina Faso fasse figure d’exemple par rapport à ces voisins maliens, nigérian et que les salles de cinéma sont remplies et cela particulièrement avec les films burkinabés ?
Le cas du Burkina, effectivement, est particulier et j’ai parlé tantôt des différents événements qui se sont passés autour du cinéma au Burkina Faso depuis les années 1960. Je pense que tous ces événements peuvent être des facteurs qui justifient la place et le rôle du Burkina aujourd’hui. Il est difficile que demain il n’y ait plus du tout de salles au Burkina Faso alors que nous avons le Fespaco qui est ici tous les deux ans. Quelles que soient les menaces par rapport à la disparition des salles, il y aura toujours un sursaut national tant au niveau du public, tant au niveau des privés qui s’investissent dans les cinémas, tant au niveau de l’État qui a une responsabilité vis-à-vis du continent africain par rapport à cette institution qu’est le Festival. Il y a la cinémathèque africaine qui est là et que l’État burkinabé prend en charge à travers le Fespaco. Là encore c’est un autre engagement vis-à-vis des cinéastes africains, un engagement qui d’ailleurs est respecté. À la suite des inondations qui ont failli faire disparaître la cinémathèque en 2009, l’État burkinabé est intervenu à coups de plusieurs millions pour réhabiliter la cinémathèque et remettre ça en état, pour marquer là encore son engagement vis-à-vis des professionnels du cinéma africain. L’Inafec, l’Institut africain de formation et d’éducation cinématographique, qui a vécu pendant une dizaine d’années de 1977 à 1987, a formé énormément de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel au Burkina et ce sont des gens qui pour la plupart se sont investis plus tard dans les métiers du cinéma. On dénombre aujourd’hui plus de soixante sociétés de production cinématographique et audiovisuelle au Burkina. Il y a des difficultés, c’est sûr, mais il y aura toujours une pression quelque part et une prise de conscience aussi des gouvernants pour que le minimum soit préservé et que tous les acteurs travaillent ensemble au renforcement des infrastructures pour maintenir et développer l’activité cinématographique et audiovisuelle.
Quel peut-être le rôle de l’éducation à l’image et de la critique dans le développement du cinéma ?
Ils ont un rôle important à jouer parce qu’il y a beaucoup de films qui se font régulièrement au Burkina Faso et qui sont diffusés dans les salles. Ce sont ces films qui font tourner les salles de cinéma qui existent encore aujourd’hui et je l’ai dit, ce cinéma-là à petit budget, avec toutes ses faiblesses, mérite qu’on l’encourage parce qu’il maintient l’activité cinématographique au Burkina : c’est ce cinéma-là qui fait vivre et qui va peut-être faire développer l’industrie cinématographique au Burkina. La critique est très importante pour permettre une certaine évolution de ce cinéma-là, pour accompagner son développement, pour l’amélioration des contenus, pour l’amélioration des techniques de productions, l’amélioration sur le plan artistique etc. Il faut que la critique soit réellement organisée et renforcée. Je sais qu’il y a une association des critiques de cinéma du Burkina qui travaille. Peut-être qu’il faut encourager cette association, l’aider à financer ces activités et les encourager surtout à animer des espaces dans les médias. Mais il y a aussi quelque chose de très important à faire et le Fespaco s’est investi, il s’agit des ciné-clubs : Le Fespaco a encouragé la création des ciné-clubs et il y a même un ciné-club Fespaco où deux fois par mois il y a des films suivis de débats. Il est important que ces ciné-clubs soient renforcés et que les professionnels du cinéma s’intéressent à ces ciné-clubs pour en faire des espaces de débats, de discussions autour des films et qu’ils acceptent le débat autour de leurs créations. C’est cela qui permet d’améliorer les contenus et c’est ça qui peut permettre qu’on puisse avoir des films d’un certain niveau et qui traversent les frontières. La critique c’est évident qu’aujourd’hui elle est insuffisante.
Elle est encouragée par l’État burkinabé ?
L’État burkinabé est résolument engagé à soutenir les activités cinématographiques et dans les activités cinématographiques il y a le volet promotion et je crois que la critique peut-être logée dans la promotion. Mais comme je le dis souvent, l’État ne peut pas agir à la place des acteurs. L’État encourage les acteurs à initier des projets et l’État peut éventuellement apporter son appui à la mise en œuvre des projets, mais l’État encourage plutôt les professionnels à s’organiser et à initier des projets.

Entretien mené à Ouagadougou, le 14 juin 2012 par Léo Lochmann///Article N° : 12045

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Les images de l'article
© Olivier Barlet, Ouagadougou, février 2009
Ardiouma Soma, alors directeur de la Cinémathèque africaine de Ouagadougou © Olivier Barlet, Ouagadougou, février 2009





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