Le livre à Madagascar : la quadrature du cercle

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Trois semaines durant, du 20 novembre au 11 décembre, Madagascar a fait la fête au livre. C’est la quatrième année que le Temps des Livres français se décline en version malgache, pour un succès croissant en parallèle avec le nombre de partenaires (plus de 600) et d’activités (environ 120). Ce foisonnement, surtout à Antananarivo mais aussi dans toute l’île, prouve que l’écrit a, ici, un bel avenir devant lui et correspond à un authentique besoin. Les nombreux concours organisés pendant la même période ont suscité des dizaines de vocations d’écrivains peut-être provisoires mais néanmoins significatives. En outre, un comité de coordination à majorité malgache a pris cette année la manifestation en mains, en lieu et place du Centre culturel Albert Camus qui en avait eu précédemment la responsabilité. Bref, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou presque. Car le Temps des Livres ne parvient pas à masquer les multiples difficultés que connaît le secteur du livre.
On est obligé de faire un terrible constat, banal mais à l’origine de la plupart de ces difficultés : le livre coûte cher à Madagascar par rapport au revenu moyen des habitants. Par exemple, l’édition faite à la Réunion des œuvres poétiques complètes d’Esther Nirina est vendue à un prix correspondant au salaire mensuel minimum. Michèle Rakotoson, de passage à Tana pendant le Temps des Livres, a dû prendre sur elle de vendre ses deux derniers romans, publiés l’un en France, l’autre en Belgique, à moitié prix pour les rendre un peu plus accessibles.
Nous venons de citer les noms de deux écrivains très connus ici – et au-delà – et leurs livres sont publiés à l’étranger. C’est dire que l’édition malgache se débat avec l’équation insoluble du coût de revient des livres et du faible pouvoir d’achat. Il est d’autant plus remarquable que quelques initiatives courageuses et presque désespérées poursuivent contre vents et marées (ou cyclones et raz de marées) la publication, en français ou en malgache, d’ouvrages produits localement avec les moyens du bord. Parfois, une aide vient à point pour boucler un devis, comme dans le cas de deux livres annoncés pour la fin décembre 1999 : un conte de Christiane Ramanantsoa et un album collectif de bédéistes malgaches. Quand les finances font défaut, on se rabat éventuellement sur la photocopieuse pour publier malgré tout. La qualité y perd, bien sûr, mais des textes existent et c’est l’essentiel.
Encore faut-il, quand un livre est publié, le vendre. Et le réseau des librairies est très lâche. Comment en irait-il autrement dans un marché aussi étroit ? Une libraire nous disait pourtant récemment son étonnement et son bonheur de vendre des volumes coûteux, et pas seulement à des Européens expatriés. Mais, quand ceux-ci ou des bibliothèques désirent acquérir des nouveautés de France, il faut attendre quelques mois avant de les voir arriver à Madagascar, sauf à se les faire apporter par un voyageur. Qui court-circuite ainsi, involontairement, un circuit commercial pénalisé une fois encore.
Le Temps des Livres se trouve ainsi en situation paradoxale d’être une manifestation dont une des conséquences est de mettre en évidence la pauvreté de ce qu’il est censé fêter. Un débat de fond se tient donc, de loin en loin, sans pouvoir apporter de réponses aux questions posées. Quand les réponses ne sont pas inadéquates. Si les institutions françaises achètent des exemplaires d’un livre pour aider à son édition, comme ce fut le cas pour le guide Gallimard consacré à Madagascar, le stock disparaît… et se retrouve vendu à la sauvette dans la rue.
On voit ainsi que le domaine culturel n’échappe pas, hélas ! aux lois d’un marché où le secteur informel occupe une grande place. Et que les théoriciens de la culture ne peuvent, quelle que soit leur bonne volonté, que ratiociner en vase clos puisqu’ils sont sans influence sur la réalité économique globale. Dans laquelle la place du livre est évidemment quantité négligeable.
Finalement, qu’il existe des écrivains malgaches est presque un miracle. Mais il faut croire aux miracles, surtout quand leurs effets sont visibles, comme lors de rencontres publiques avec ces écrivains. Il faut aussi, et peut-être surtout, ne pas oublier la place encore prépondérante de la tradition orale qui donne à l’écrit un rôle secondaire. Et prendre tout cela avec philosophie, quitte à ruer dans les brancards de temps à autre, ne serait-ce que parce que cela fait du bien.

///Article N° : 1205

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