Racisme ordinaire…

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La 4 février 2014, France télévisions lançait une plate-forme baptisée #RacismeOrdinaire dont l’objectif est de donner la parole aux victimes de « petites discriminations quotidiennes ». Mis en place à l’occasion du 30e anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, cet outil est supervisé par la militante Rokhaya Diallo et l’historien François Durpaire.

« Mais c’est quoi le racisme ordinaire ? » me lance Ousmane, militant associatif lillois à qui je parle de l’initiative de France Télévisions : une plateforme de témoignages sur le web, pour celles et ceux qui vivent et souffrent de « petites discriminations quotidiennes ». « Tu es de quelle origine ? », « je ne t’ai jamais considérée vraiment comme une Arabe », « tu parles drôlement bien le français pour un Noir », phrases bénignes, curiosité de l’autre ou compliments même parfois dans la bouche des personnes qui les énoncent, sont subis comme de micro-agressions au quotidien par certains, comme des relents de racisme, ordinaire ou déguisé.
[Lire l’interview de Virginie Sassoon, de la plate-forme #RacismeOrdinaire ]
Sarah et Nadia sont amies. L’une est métisse franco-ivoirienne, et l’autre française, née de parents marocains. Elles font partie de ces Français, renvoyés souvent à l’ailleurs de leur origine, manifestement étrangère. Et elles en sont fières. Sarah va même jusqu’à dire, qu’elle aime qu’on lui pose la question de ses racines, qu’elle ne rate jamais une occasion de parler du pays de son père et d’Abidjan, capitale de son cœur. Et pourtant elle aime la France, comme elle aime sa mère. Sans égal. Mais elle refuse que soit occultée cette autre part d’elle, qu’elle revendique et affiche dans chaque sourire. Nadia aussi est fière de la culture de ses parents, mais contrairement à son amie, elle affirme sa lassitude de subir réflexions et a priori, c’était le cas pendant ses études, c’est encore le cas aujourd’hui parfois dans son milieu professionnel. Certains collègues la disent « émancipée », d’autres s’étonnent « qu’elle ne soit pas encore mariée à son âge » sous-entendu pour une Arabe, pense-t-elle. Toutes deux ont choisi l’humour pour répondre, ou faire face aux questions déplacées ou condescendantes. Mais comme on ne peut être d’humeur tout le temps, parfois elles grincent des dents, l’une et l’autre, refusant d’être stigmatisées.
La souffrance de toujours être considéré comme différent
L’initiative de France Télévisions ? S’imaginent-elles partager leur expérience du « racisme ordinaire » ? Nadia la première, me renvoie au sens et à l’utilité, pour elle, de témoigner ? « Que puis-je en attendre ? », « rien » se répond-elle à elle-même. Denis, étudiant à Lille 2, qui nous a rejoints lui objecte que c’est peut-être « un moyen de revendiquer son appartenance à la France, et surtout de dire la souffrance de toujours être considéré comme étant issu d’une sous-France ou d’un autre pays, d’une autre culture, considéré comme porteur de différence et infériorisé pour cela. »
Je repense à Ousmane, militant pragmatique aux opinions tranchées comme ses questions. « Mais qu’est ce que le racisme ordinaire ? », « et pourquoi on perd le temps avec ça ? », « que France Télévisions agisse pour la diversité, en ouvrant son antenne, en colorant le P.A.F, ce sera plus utile non ? », « Une fois qu’on s’est plaint, on fait quoi après ? ». Ousmane renchérit, « la parole raciste a été libérée soi-disant sous la droite, sous Sarko », « libérée de quoi ? de qui ? », « et aujourd’hui on propose aux victimes de racisme soi-disant ordinaire de libérer leur parole », « on parle trop en France, à quand les actes ? Si France Télévisions veut vraiment lutter contre les discriminations, que l’ensemble de la chaîne- et pas seulement France O-, commence à ressembler à notre pays. » Je souris à la gouaille de ce jeune homme rencontré lors d’une manif du CSP 59 (Collectif des Sans Papiers).
Et je ne peux m’empêcher de penser que l’urgence est en effet, peut-être ailleurs. Dans la lutte contre les discriminations, dans le combat permanent contre ceux qui nient la richesse de l’altérité et du brassage culturel, se repliant sur eux-mêmes et sur l’idée – pure construction politique – d’un monde monochrome qui tend à disparaître,
si ce n’est déjà le cas. L’urgence, la nécessité sont peut-être aussi du côté de l’exemplarité. Pour lutter contre le racisme et les préjugés, il faut montrer, donner à lire, à voir, à entendre, la diversité à l’œuvre. Et le service public doit être irréprochable en ce sens. Nous ne voulons pas, nous ne voulons plus de symboles, nous ne voulons pas, nous ne voulons plus que ce soit extraordinaire de voir un Roselmack au 20h, une Dati ou une Taubira au gouvernement, nous voulons que ces nominations deviennent… ordinaires justement.
Ordinaires, les propos racistes qui fissurent l’âme?
Ordinaire, comme le racisme dénoncé par France Télévisions.
Racisme : idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie, attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes.
C’est la définition du Larousse…
En voici une autre, offerte en partage : Le racisme est un cri primal, un attentat à l’humanité d’un autre, un refus de la différence, un non-sens, une « brûlure et une blessure à vif » pour reprendre les mots de Madame Taubira, ministre de la justice elle-même victime de paroles racistes extraordinaires (?)
Le racisme est aussi, en théorie du moins, un délit puni par la loi.
Donc parler de « racisme ordinaire », n’est-ce pas atténuer la portée de propos qui ouvrent et fissurent l’âme de celles et ceux qui les reçoivent, on peut se poser la question.
Oui, car le temps n’est pas à l’ordinaire.
Il peut y avoir des maladresses, de l’ignorance, de la condescendance – par ignorance -, est ce condamnable ? Si oui, comment le condamner ?
Les paroles sur le racisme et l’exclusion envahissent l’espace public, auteurs et victimes (se) parlent par vitrines interposées. Un dialogue est-il ouvert ?
Non. Car la parole est relation, d’abord. La parole est relation, surtout. Et la relation invite à la rencontre.
Au partage.
Au mélange.
À la coïncidence.
Des différences.
Et il n’y a pas de relation, donc pas de rencontre possible, entre auteurs et victimes de racisme. « Nous n’avons ni le droit de laisser faire, ni celui de pas essayer de comprendre », pour reprendre encore les mots de la ministre de la justice française. « Nous avons le devoir de nous rassembler, autour d’une France multiculturelle de fait » rajoute encore Ousmane.


#RacismeOrdinaire – Les mots qui font mal par franceo

///Article N° : 12129

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