Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? de Philippe de Chauveron

La sempiternelle illusion française

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Imaginez qu’on se lâche et qu’on lance toutes les blagues et tous les clichés racistes possibles à la tête des gens que ça concerne. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? c’est un peu ça : un couple « vieille France » voit ses quatre filles épouser successivement un Arabe, un Juif, un Asiatique et finalement un Noir, si bien que Monsieur Verneuil (notaire catho de province interprété par Christian Clavier) étale au grand jour ses préjugés. Cela ne manque pas de provoquer la réplique des intéressés qui se méprisent tout autant entre eux tandis que la salle s’esclaffe joyeusement de cet humour sans bornes et désinhibé, comme libérée des contraintes du politiquement correct.
Le problème n’est pas en soi – et malgré leur impressionnante superficialité – cette accumulation de clichés étalés au grand jour : les répéter à l’envie dans une telle avalanche aurait plutôt tendance à les désamorcer en en montrant le ridicule. En ce sens, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? applique les bonnes règles des dialogues mordants de la comédie à la française en surfant sur la vague de la décrispation identitaire, marquée par des films comme Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez (2008) où Valérie Lemercier campait une blanche raciste qui devenait noire (cf. [critique n°8225]) et surtout Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano (2011) où le jeune des banlieues Omar Sy éveillait chez l’aristocrate en chaise roulante lui aussi très « vieille France » incarné par François Cluzet une connivence qui réjouissait tant les spectateurs que le film fleura les 20 millions d’entrées. (cf. [Les clefs du succès d’Intouchables]).
Nous avions vu comment Intouchables rejouait le vieux couplet illusoire d’une France décontractée qui intègre sa diversité en un melting pot décomplexé. Ici aussi, happy end et bonne humeur nous rejouent le conte de fée qui mobilise les clichés plutôt qu’un rapport au réel qui le retravaillerait pour le faire progresser. On cultive en somme cette illusion d’une France ouverte alors qu’elle ne l’est pas, et dont on se fait plaisir à contempler l’évolution forcée mais bonne enfant alors que c’est de l’exclusion et de la violence qui sont à l’oeuvre.
Bien sûr, ce ne serait a priori pas très croustillant pour une comédie, mais il existe aussi des comédies qui retravaillent très bien le réel, comme Aide-toi, le ciel t’aidera de François Dupeyron (2008, cf. [critique n°8218]).) ou Sexe, gombo et beurre salé de Mahamat-Saleh Haroun (2008, cf. [critique n°7683]). Dans ces films, et contrairement à celui-ci, les personnages ne sont pas enfermés dans une gangue culturelle dont l’origine déterminerait obligatoirement les problèmes autant que les comportements. Mais cela ne fait pas vendre autant qu’Intouchables que chacun essaye d’imiter pour en retrouver la recette de succès. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? y parvient très bien malgré son improbable scénario style théâtre de boulevard : la salle rigole et s’en réjouit encore après, ce qui en assure le succès par ouï-dire, le meilleur vecteur de promotion. La critique, gênée sur ce sujet, préfère s’abstenir et la place est libre pour crever le box-office.
Ce n’est pas de montrer la bêtise des préjugés qui les déconstruit dès lors qu’on les situe dans un monde fantasmé et sans contradictions. Ce monde feutré de la bourgeoisie où chacun a passé sans encombre le plafond de verre est bien loin du réel des discriminations. Et ce ne sont pas les roulements d’yeux horrifiés de Christian Clavier ou Pascal N’Zonzi qui y changeront quelque chose : cette société unie malgré ses différences et ses dissensions reste un rêve passé au talc, qui dément le vécu de tous ceux qui appartiennent à ce qu’on appelle « la diversité ». Car c’est la véritable altérité qui est gommée, la possibilité d’être autre sans correspondre à un cliché. Ce combat entre une France qui se fige sur son passé et une nouvelle France métissée a bien lieu, mais pas dans les termes de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? Bien ficelé et enjoué, joyeusement interprété, le film hallucine pour plaire en orchestrant un grand consensus que chacun sait au fond de lui que non seulement il n’existe pas mais qu’il ne le désire pas.
Pourquoi alors tant de plaisir ? Sans doute parce que c’est dans ce genre de fantasme que puise la bonne conscience, celle-là même de cette « vieille France » que l’on semble vouloir critiquer mais qui tente ici encore d’exorciser ses peurs.

///Article N° : 12185

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© Arnaud Borrel
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