« Le cinéma a le potentiel de créer des ressources et des emplois »

Entretien d'Olivier Barlet avec Mme Michèle Dominique Raymond, responsable du programme ACPCultures+

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Alors que le festival de Cannes 2014 se termine, où des films d’Afrique ou de la diaspora africaine étaient présents dans pratiquement toutes les sélections, la question du financement du cinéma de qualité se pose crûment pour pérenniser cette présence au monde autant que dans leurs pays des films africains et caribéens. Sous-Secrétaire Générale en charge des Affaires politiques et du Développement humain au Secrétariat du Groupe des Etats ACP, et responsable du programme ACPCultures+ de soutien au secteur culturel ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) mis en oeuvre par le Secrétariat du Groupe des Etats ACP et financé par l’Union européenne, Mme Michèle Dominique Raymond gère le plus important Fonds d’aide aux cinématographies de ces pays. Elle répond ici à nos questions sur l’avenir de ce programme et la complexité des procédures.

Le programme ACPCultures+ finance efficacement nombre de films des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Pourquoi le Secrétariat des pays ACP et la Commission européenne tiennent-ils à soutenir ces cinématographies ?
Le soutien au cinéma occupe une place importante au sein de la coopération culturelle entre les pays ACP et l’Union européenne. La culture a conquis sa place au cœur des dispositifs de coopération avec l’article 27 de l’accord de Cotonou. En juin 2003 à Dakar, puis à Santo Domingo en 2006 et récemment avec la Déclaration de Bruxelles de 2012, les ministres de la Culture des pays ACP ont réaffirmé le rôle de la promotion des industries culturelles dans les pays ACP, notamment dans le domaine du cinéma et l’audiovisuel. Et puis, surtout devrais-je dire, ce sont les résultats obtenus qui font que notre soutien se maintient : les sélections dans les festivals internationaux des films de Mahamat Saleh-Haroun, Licinio Azevedo, Djo Munga et aujourd’hui Philippe Lacôte, pour ne citer qu’eux, sont autant d’encouragements à poursuivre notre plaidoyer en faveur du soutien à la culture et au cinéma.
Pour les Groupe des Etats ACP, dont l’objectif central de la coopération au développement reste la réduction de la pauvreté, le cinéma a le potentiel de créer des ressources et des emplois et contribue à l’intégration des pays ACP dans le commerce mondial. Il constitue un véritable levier du développement mais également un fédérateur des expressions artistiques. En effet, le cinéma n’aide pas seulement à combattre la pauvreté économique, il contribue aussi à mettre en valeur la richesse et la diversité des identités culturelles des populations ACP. C’est pourquoi notre appui au cinéma se concrétise financièrement : dans le cadre d’ACPCultures+, une enveloppe de 17 millions d’euros est disponible pour l’audiovisuel et le cinéma, ce qui en fait le plus important Fonds de financement du cinéma ACP. Notre soutien se veut par ailleurs complet puisqu’il recouvre les domaines de la production, de la formation, de la circulation des œuvres et depuis 2012, de la réglementation. Le renforcement des capacités est un enjeu crucial que nous avons à cœur de soutenir par le biais des projets de formation au cinéma d’animation en RDC ou au Sénégal, de formation de techniciens au montage ou au mixage au Burkina Faso, au Cameroun, au Gabon, ou encore d’écriture de scénario. Tous ces projets sont portés tant par des structures modestes mais expérimentées que par des organismes d’envergure internationale. Cette diversité des acteurs est aussi l’une des richesses de notre programme. Ainsi, comme vous pouvez le constater, notre appui au cinéma ACP est non seulement diversifié mais également essentiel au financement des projets du fait des montants alloués, avec des subventions pouvant atteindre 500 000 euros et 40 % du budget de production des films. Il s’agit enfin d’un appui durable, qui est mis en œuvre depuis près de quinze ans et produit des effets structurants dans l’ensemble de la zone ACP.
Dans le contexte actuel des tensions liées à la crise économique, les financements du programme ACPCultures+ sont-ils menacés ? D’autres appels à propositions sont-ils prévus ?
Il est indéniable que nous traversons une période de crise peu propice au maintien du soutien à la culture. Il m’arrive régulièrement de regretter que la culture ne soit pas considérée comme un secteur prioritaire, au même titre que la santé, l’énergie ou les infrastructures. Néanmoins, nous mettons tout en œuvre pour qu’un nouveau programme de soutien aux industries culturelles ACP soit financé dans le cadre du 11ème FED.
Calqués sur les procédures habituelles des appels à propositions européens, les dossiers sont très lourds à monter et à gérer, notamment dans le domaine du cinéma. Des allégements sont-ils envisageables ?
Nous avons pris en compte les remarques et difficultés rencontrées par les porteurs de projet pour répondre à nos appels à propositions. C’est pourquoi nous avons considérablement simplifié et allégé les lignes directrices de notre dernier appel, et notamment les critères d’éligibilité des actions soutenues. Nous avons conscience que le modèle des appels à propositions, qui sert de référence quel que soit le secteur considéré, n’est pas parfaitement adapté aux industries culturelles et encore moins au cinéma. Cependant, nous ne pouvons y déroger car si l’on souhaite que la culture soit considérée comme un secteur de l’aide au développement à part entière, alors ses opérateurs ne peuvent avoir de traitement de faveur, ni pendant la phase de dépôt de leurs projets ni au cours de leur évaluation. En outre, nombre de bénéficiaires reconnaissent que l’expérience acquise au cours du montage des projets puis dans le cadre de leur gestion, leur est bénéfique car elle renforce leurs compétences. J’aime à rappeler que la culture, si elle est le vecteur de nos expressions artistiques et de la diversité culturelle ACP, est également une industrie qui, plus que jamais, doit faire face aux contraintes économiques et maîtriser les cadres, règles et procédures existants pour assurer sa survie. Mais toutes ces considérations ne nous empêchent pas de réfléchir à l’appui que nous pourrions apporter aux opérateurs, en amont, pour les aider à finaliser leurs dossiers. Nous projetons à ce sujet d’organiser une table ronde entre bailleurs et opérateurs pour nourrir et partager ces réflexions.
La sélection des projets est rigoureusement secrète et fonction des notes attribuées aux critères annoncés, comme dans toute procédure européenne : si cela garantit la neutralité des attributions, cela ne risque-t-il pas de financer des projets concurrents ?
Il est essentiel pour nous de garantir l’absence de conflits d’intérêt, la discrétion mais aussi la transparence tout au long de l’évaluation des projets confiée à différents assesseurs. Plusieurs projets relevant d’un même domaine d’activités peuvent donc être évalués indépendamment les uns des autres et sont susceptibles d’obtenir, tous, si leur note le permet, une subvention dans le cadre d’un même appel. Cependant, parce que notre souci d’équité entre demandeurs est constant, il ne me semble pas souhaitable de départager des projets qui auraient obtenu une évaluation positive sous prétexte qu’ils couvrent un même type d’activités. Par ailleurs, les projets ont toujours eu jusqu’ici des spécificités qui les distinguent les uns des autres, même si, au premier abord, ils peuvent sembler similaires. Ainsi, dans le cadre du 2ème appel, plusieurs projets de plateformes numériques ont obtenu une subvention. Les zones géographiques, les cibles, les modalités de mise en œuvre diffèrent pour tous ces projets. Certains d’entre eux vont sans doute nouer des partenariats au cours des années qui viennent et s’enrichir mutuellement. Je considère donc plutôt comme un atout cette « concurrence » entre projets car elle pousse les opérateurs à faire de leur mieux partant du constat qu’ils ne sont pas les seuls à occuper le « marché ». En revanche, il me paraît nécessaire de travailler à davantage de complémentarité entre les différents instruments de financement mis en place. C’est en tissant des liens entre bailleurs et en misant sur les synergies que nous pourrons accompagner au mieux l’émergence de nouveaux talents, consolider l’industrie du cinéma dans les pays ACP et favoriser la circulation des œuvres ACP. « Run », le film de Philippe Lacôte en sélection officielle à Cannes dans la section Un certain regard, soutenu par ACPCultures+ mais également accompagné par la Cinéfondation, le ministère de la Culture de Côte d’Ivoire, le CNC, Arte, l’OIF, est une excellente illustration du bien-fondé de cette complémentarité et des résultats concrets et réjouissants pour le cinéma ACP qu’elle peut engendrer.

///Article N° : 12246

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