Hip-hop introspectif

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Après une année de tournée, le succès de The Roots de Kader Attou ne se dément pas. Le chorégraphe revient dans cette création sur ses vingt ans de hip-hop.

Assis sur un canapé bancal, l’air songeur, un jeune homme allume un électrophone. Quelques notes de musique, celles du générique de l’émission « H.I.P H.O.P [1] », et il fait un bond de vingt ans en arrière. Ou plutôt, à travers lui, c’est Kader Attou qui évoque sa première rencontre avec la danse et la culture hip-hop. « J’avais dix ans lorsque j’ai découvert le hip-hop à la télévision. Tout part d’ici, pour moi comme pour la plupart des danseurs hip-hop de la première génération, ceux qui se sont formés sur le bitume », affirme le chorégraphe de The Roots. Depuis, celui-ci a fait bien du chemin. Ce qui explique cette envie d’interroger dans cette création l’état actuel d’une danse qu’il pratique depuis vingt ans avec sa compagnie Accrorap, et depuis 2008 à la tête du Centre chorégraphique national de La Rochelle.

Histoires croisées
Dès le tableau initial, Kader Attou met en place cette exploration. Une fois debout, le corps engagé dans une chorégraphie heurtée, le garçon à l’électrophone semble écartelé. Son siège – pourtant de guingois – exerce sur lui un puissant attrait. Mais les dix danseurs qui débarquent bientôt sur scène le font hésiter. Il oscille, tremble. L’énergie des autres interprètes le gagne. Il s’éloigne de la pile de vinyles, et entre en hip-hop. « The Roots interroge les traces que deux décennies de danse ont laissé sur les corps ». De la rue à la scène, d’un mépris généralisé à une reconnaissance de la part du public et des institutions, ces derniers sont passés par des états divers. Ce sont eux qu’interroge le ballet introspectif de Kader Attou. Sans tomber dans la démonstration, car « mon propos est avant tout porté par mon langage chorégraphique, que j’ai pour l’occasion ramené à quelque chose d’essentiel ».

Croisements implicites
Déjà, en choisissant de travailler avec onze danseurs inscrits dans une pure tradition hip-hop, Kader Attou s’éloigne de son penchant pour l’hybride. Pour le croisement de la danse urbaine avec le cirque, avec la danse contemporaine ou le kathak. « Afin de bien cerner le hip-hop d’aujourd’hui, j’ai ressenti le besoin d’aller chercher chez mes danseurs une énergie brute, la plus proche possible de celle qui est née sur le bitume ». Cette puissance, il l’a mise en gestes fulgurants. Dans lesquels on reconnaît sans peine toutes les figures de base du hip-hop, mais aussi une manière singulière de les lier entre elles. Une douceur fondue dans la violence. Le désir de Kader Attou de « créer du lien » se fait ici plus concret, plus charnel. Comme pour dire que maintenant arrivé à maturité, le hip-hop peut accorder plus de place au sentiment. Dans The Roots, le corps masculin est le lieu de toutes les nuances. Tantôt montré dans toute sa splendeur, tantôt dans son absurdité ou sa faiblesse, il est le reflet d’une introspection véritable. Aussi, lorsqu’un des danseurs se lance dans un numéro de claquettes à la Chaplin, on peut y voir une jolie image du hip-hop d’aujourd’hui : subtil, capable d’exprimer toutes les teintes de l’humain.

///Article N° : 12446

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