Atissou Loko, tambour vivant

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Atissou Loko, ses trois tambours et son groupe Adjabel battent le rythme d’un métissage transatlantique dans le métro parisien depuis plusieurs années. Ce percussionniste franco-haïtien est de toutes les scènes et expériences musicales : métro, opéras, théâtres mais aussi écoles et centres pour autistes car l’artiste a choisit de devenir art-thérapeute. Rencontre avec un homme sans compromis, verbe haut, grand cœur et tambour battant.

Il danse autour de ses trois tambours, une jambe volant puis l’autre, sa main et sa baguette frappant la peau et le cuir des percussions vaudou, dans une bouche de métro à Châtelet (Paris). Un autre soir, sur la scène de la Maison de la poésie, la baguette vole dans les airs et se brise à terre, comme un grand cri d’Atissou. Oui, il en a des choses à crier semble-t-il ce petit homme à la voix haute et aux yeux brillants, qu’il soit dans le métro, à l’Opéra de Bordeaux, au ballet de Tokyo, dans les ambassades haïtiennes du monde ou dans les écoles, jouant pour honorer, toujours, les paysans des montagnes haïtiennes avec qui il a grandi. Car une nuit dans ces hauteurs, triste de chagrins d’un enfant de 10 ans dont la peau est plus claire que celle de ses amis, il demande à la lune « est-ce qu’on ne pourrait pas tous être des étoiles, pour que je ne sois pas le seul à briller ? ». Depuis cette nuit raconte-t-il, il a reçu le don de pouvoir jouer les tambours vaudou comme les paysans virtuoses d’Haïti.
Atissou Loko, alias Cyril Forman, est de ceux qui suivent les chemins de traverse et les chants de son cœur. Métisse née dans une famille bourgeoise franco-haïtienne, petit-fils d’ambassadeur, il étudie au lycée Alexandre Dumas à Port-au-Prince. Mais, parce qu’il est un grand chanceux dit-il si souvent, il goûte à d’autres saveurs de vie les week-ends, dans la campagne où ses parents ont leur maison. Les chevauchées, les pièges, tous ces jeux dans la nature au son des tambours vaudou qui sans cesse lui caressent les oreilles valent bien les sorties arrosées d’argent et d’alcool en ville. Alors le jeune Cyril choisit vite le camp des « ti vagabonds » comme on appelle sur l’Île les plus défavorisés économiquement parlant. À 15 ans, il part en France sans un au revoir à ses compagnons d’Alexandre Dumas mais avec des bouquets d’au revoir pour les familles des campagnes. À Paris, aidé par le concierge batteur de son immeuble, il se met à la batterie dans sa cave, puis écoute les percussionnistes au Satellit Café et se dit que le jeu des paysans haïtiens vaut mille fois leur son. Alors par « orgueil et esprit de compétition », il apprend le tambour vaudou. Initié à Paris par Pierre Chériza Fénélus, musicien haïtien resté dans l’ombre et qui a pourtant joué dans les plus grands opéras du monde, il reprend ensuite le chemin d’Haïti et muscle son jeu à Petit-Goâve, ville de Dany Laferrière, « ville de l’indépendance » insiste Atissou. Là, il rencontre les fondateurs du mouvement Racines, rastas posant guitares et basses sur les sons traditionnels haïtiens et apprend alors les rythmes rara des tambours vaudou en cérémonies. On baptise alors Cyril Forman d’un autre nom, Atissou Loko, qui signifie fils de l’arbre et de l’espace. On lui demande aussi de porter des dreadlocks, mais pas de chance, il a les cheveux lisses. Et puis, il ne l’aurait pas fait voyons car on ne donne jamais d’ordre à Atissou. « Le côté mystique du vaudou ne m’intéresse pas. Je suis très terre à terre » précise-t-il. Le son brut du tambour, le peau contre peau, voilà ce qui le fait vibrer. Il décide d’y poser sa voix, chantant en français ou en créole. À nouveau en France, Atissou forme son groupe Adjabel avec, parmi d’autres, Mariame Kadi (chant), Jean-Phillipe Rykiel (claviers), David Jacob (basse), Julien Tekeyan (batterie, percus) et réussit cette alliance entre rythmes vaudou, chant et influences musicales transatlantiques.

Parmi tous les hommages qu’il sème, à ses maîtres comme Ti Prosper et ses artistes inspirateurs de John Coltrane à Pierre Perret et Léo Ferré, il en est un très sérieux dédié aux enfants. « Il n’y a que les enfants qui aiment ma musique. Fais écouter n’importe quel disque d’Adjabel à un enfant, qu’il soit blanc, noir, jaune ou violet, il va forcément aimer. Alors si un jour j’ai un peu d’argent, j’irai voir le Président de la République pour lui demander de faire une loi autorisant les enfants à avoir une carte bleue ». « Le tambour, c’est le premier son, le boum boum du ventre de la mère dont l’enfant de 5 ans se souvient plus que nous », lance Atissou. Il pense à tous ces enfants qui dans le métro ont tiré la manche de leurs parents pour déposer un billet dans le chapeau d’Adjabel, il pense aussi à tous ces clochards clamant aux passants « Attention, Adjabel, bonne adresse arrêtez-vous ! », ou ceux qui tellement saouls parcourent trois mètres en une demi-heure pour lui déposer une pièce. « Le travail que les journalistes n’ont pas fait, eux tous l’ont fait ». 20 000 cd vendus dans le métro, c’est un record qui a toujours laissé indifférents médias et maisons de disques, malgré des premières parties de Mano Solo, de Java ou des concerts avec Arthur H. Ainsi Atissou décide qu’il est temps de rendre la pareille aux enfants et à tous ces personnages qui habitent les couloirs du métro, « plus belle scène du monde » pour le musicien. En attendant de pouvoir leur dédier un concert, il décide alors de soigner les âmes par la peau du tambour. Les matins en effet, on trouve Atissou, ses tambours et son drapeau haïtien dans des écoles ou des centres pour autistes parce que le musicien est aussi art-thérapeute. Un concert, finalement c’est gagné d’avance. Là c’est autre chose, chaque séance a une incidence sur la suivante et il faut prendre garde aux ondes sensibles qu’il transporte. Alors l’homme préfère s’« éloigner des cons » et leurs mauvaises ondes qu’il rencontre dans les milieux élitistes où il joue parfois. Car, comme Audiard qu’il aime citer, il ne les aime pas ces cons « qui amèneraient la nuit s’ils pouvaient voler ».
Il est essoufflé Atissou, il est fatigué, il court à droite à gauche, il frappe, frappe sur ses trois peaux. Aujourd’hui, il pense avoir été « au plus haut de la musique occidentale » en jouant dans les opéras et parce qu’il lui semble s’embourgeoiser, il songe à retourner en Haïti. Sur l’île pourtant lorsqu’on le presse de donner des cours, il se dérobe. Les anciens amis du lycée Alexandre Dumas ont aujourd’hui des enfants qui boudent le piano et le violon mais rêvent d’apprendre le tambour. Ils clament à leurs parents « Si Atissou l’a fait, moi aussi je peux le faire ! ». Une des plus belles victoires de sa vie, annonce-t-il. Ces mêmes qui riaient de voir le fou Atissou lâcher une école de commerce pour le tambour sont bien fiers de leur vieil ami aujourd’hui. Alors bien sûr, lorsqu’ils lui demandent de donner des cours à leurs enfants, mais qu’ils refusent que les paysans noirs ne soient les professeurs, Atissou, fidèle à son personnage les envoie valser avec fracas.

///Article N° : 12621

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© Eric Marcel 2012





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