Les étudiants étrangers en colère

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Dans la rue, à l’université, dans les entreprises mais aussi dans les médias, les étudiants à l’étranger diplômés sont partout pour faire entendre leur colère. Ensemble, ils forment le Collectif du 31 mai, date à laquelle le Ministre de l’intérieur leur a déclaré la guerre en restreignant leur accès au marché du travail français. A quelques mois des présidentielles, l’immigration « choisie » entre dans les débats.

« Nous ne sommes pas un problème, nous sommes une solution », tels sont les cris des étudiants étrangers dans les rues de Paris lors de la journée internationale des migrants professionnels le 18 décembre dernier.
Réunis au sein du Collectif du 31 mai, ils se mobilisent depuis la rentrée scolaire. Car c’est depuis l’automne dernier que les effets de la circulaire publiée le 31 mai 2011 par le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, se sont faits réellement sentir.

6000 étudiants étrangers concernés
Destiné aux préfectures, ce texte les invite à effectuer un contrôle rigoureux des demandes de changement de statut d’étudiant à salarié. Concrètement, elle restreint l’accès à une première expérience professionnelle pour les diplômés étrangers de niveau master. La chasse aux étrangers n’est désormais plus circonscrite aux demandeurs d’asile, de regroupement familial ou aux travailleurs peu qualifiés. Le gouvernement s’attaque aussi aux flux estudiantins.
Neila est Algérienne. Diplômée de l’école de management d’Auxerre, elle compte sur une première expérience professionnelle en France pour valider ses études. En mars 2011, après 9 mois d’attente, elle reçoit un refus de changement de statut de la DIRECCTE [1] malgré plusieurs promesses d’embauche. « L’entreprise dans laquelle j’ai effectué mon stage de fin d’études était très satisfaite de mon travail et était prête à me confier le poste. » Elle a même tenté, en vain, de créer son entreprise. À ce jour, son 4e récépissé touche à sa fin. Après 8 ans en France, elle craint de devoir quitter le territoire sans comprendre pourquoi.
« Nombre de refus sont motivés de manière arbitraire. À l’un d’entre nous, le motif était le non-respect des normes environnementales de l’employeur, alias EDF »
, continue Meriem Kadari, membre du Collectif du 31 mai, dont le site Internet recense les cas de refus de changement de statut ou de mise en attente, soit près de 1000 personnes fin décembre. Seuls 220 auraient été régularisés, malgré les promesses du Premier ministre de régler la totalité des cas d’ici la fin de l’année. En réalité, plus de 6000 étudiants étrangers seraient concernés par ces obstacles administratifs.

Universités et entreprises atterrées
Le Collectif ne fait pas cavalier seul dans ce combat pour le retrait de la circulaire Guéant, la simplification des procédures de changement de statut et leur harmonisation entre les préfectures. Le monde universitaire se mobilise. « Il y a une erreur d’époque. Aujourd’hui le monde de la recherche et de l’entreprise n’a pas de frontières », martèle Pierre Aliphat, délégué général de la Conférence des Grandes Écoles.
Chaque année, 65 000 titres de séjours étudiants sont délivrés et l’université est le principal canal pour attirer des travailleurs qualifiés étrangers. Les entreprises, jusqu’alors relativement silencieuses, expriment leur inquiétude en terme « de compétitivité de la France et de son rayonnement à l’étranger », dixit le Medef. « Les entreprises n’embauchent pas un étudiant étranger pour la diversité mais réellement pour sa compétence », insiste Alexandre George, directeur du cabinet de conseil, Migration Conseil.

Régularisations au cas par cas
Au-delà de leur niveau d’étude, ces diplômés maîtrisent souvent plusieurs langues. « Je parle couramment l’ukrainien – ma langue maternelle -, le russe, l’allemand, l’anglais et le français », témoigne ainsi Anna, 24 ans, diplômée de SciencesPo Paris, recrutée recrutée en CDI par un cabinet de conseil. Après 4 mois d’attente pour un changement de statut, elle a reçu un refus de la DIRECCTE. En France depuis l’âge de 15 ans, elle vit seule avec sa mère, naturalisée française. « Je remercie la France d’avoir pu faire mes études gratuitement et d’avoir décroché un emploi. J’aimerais aujourd’hui la remercier en payant mes impôts ici. »
Elle rejoint le Collectif du 31 mai et elle participe à un débat télévisé face à Arno Klarsfeld, président de l’Offi ce français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), qui l’informe de sa régularisation. « Je ne savais pas. La manière dont le gouvernement veut casser notre mobilisation en régularisant au cas par cas n’est pas juste », s’indigne-t-elle.
Même credo pour Nabil Sebti, porte parole du Collectif. Suite à plusieurs blocages administratifs pour travailler en France, le jeune Marocain, diplômé d’HEC, a reçu un appel des autorités françaises pour régulariser sa situation. « J’ai refusé et pris un billet de retour, ne comptant pas jouer l’hypocrisie de rester en France en tant que clandestin ou d’accepter une régularisation qui ferait exploser le collectif », déclare-t-il à un journal marocain.

« Le mal est déjà fait »
« Nous voulons une réponse globale et non pas du cas par cas », martelait-il au nom du Collectif quelques jours auparavant. Ce que soutiennent des voix politiques, telles que Bariza Khiari, sénatrice Parti socialiste (PS) qui a déposé une proposition de résolution, dénonçant « l’incohérence » de la politique gouvernementale vis-à-vis d’une « élite étrangère ». Elle a été cosignée par la majorité des socialistes et des Verts. En attendant, « le mal est déjà fait », constatent amèrement les membres du Collectif qui reçoivent chaque jour des témoignages d’inquiétude de lycéens qui envisageaient de venir étudier en France, à l’instar de ceux du lycée Lyautey à Casablanca qui se sont mis en grève le 12 décembre dernier. Alors qu’en mai, un titre de séjour pluriannuel était créé pour les étrangers inscrits en master afin de faciliter leurs démarches administratives, un décret du 6 septembre augmente les ressources matérielles exigées aux étrangers pour venir étudier en France. Autant de restrictions qui font tout de même des heureux… à l’instar de l’Allemagne et du Canada qui n’hésitent pas à faire valoir leur capacité d’accueil des diplômés étrangers.

De bonnes résolutions pour 2012 ?
Après six mois de mobilisation tout azimut, le Collectif du 31 mai est rejoint par des personnalités qui signent, avec plus de 28 000 personnes, une pétition en ligne intitulée « Notre matière grise est de toutes les couleurs » [2]. La mobilisation contraint le gouvernement à revoir sa copie. La circulaire du 31 mai est complétée, le 4 janvier 2012, par une disposition d’assouplissement « spécifique aux diplômés étrangers hautement qualifiés de niveau au moins égal au master 2 », puis par une nouvelle circulaire le 12 janvier. Pour le Collectif du 31 mai, cette nouvelle mesure « laisse la place à l’arbitraire » et ne fait pas état des victimes de la circulaire. Son combat pour l’abrogation du texte continue donc. En ce début d’année, on lui souhaite de parvenir à ses fins. Et dans tous les cas, chapeau bas à la mobilisation déterminée et endurante du Collectif du 31 mai !

Les Assises des étudiants étrangers le 3 février 2012

L’Unef, premier syndicat étudiant, organise les Assises des étudiants étrangers le 3 février prochain à Paris. Il s’agit de dénoncer les conditions indignes d’accueil des étudiants étrangers non originaires de l’Union européenne mais aussi de mettre en relation les étudiants, universitaires et association. Plus d’infos sur http://unef.fr

En savoir plus :

Retrouvez le Collectif du 31 mai sur www.collectifdu31mai.com
Notes

[1] La demande de changement de statut est examinée par l’unité territoriale compétente de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE)

[2] À sur le site le site www.universiteuniverselle.fr. Fin décembre 2011 de 28 000 personnes l’avaient signé dont l’historien Pap N’diaye, le philosophe Edgar Morin ou l’écrivain Jean-Christophe Rufin.///Article N° : 12653

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