#6 « Il était nécessaire de rétablir un pont culturel entre l’Afrique et le Brésil »

Zoom Fenêtres lusophones

Fenêtre n°6 - Relations Afrique/Brésil, volet n° 2 : vers de nouveaux liens ?
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De 2003 à 2008, le Brésil est devenu le septième partenaire commercial de l’Afrique. En 2010, l’Afrique représentait presque 5 % des exportations du pays. Notre « fenêtre lusophone » du mois de juin, intitulée « Relations Afrique/Brésil : vers de nouveaux liens ? » explore les réalités politiques et culturelles des nouvelles relations entre le géant brésilien et le continent africain.

Depuis 2009, le Back2Black Festival réunit tous les ans, à Rio de Janeiro, au Brésil, des artistes africains et de la diaspora africaine du monde entier. Connie Lopes, organisatrice et curatrice du festival, revient sur l’histoire du festival et l’évolution des rapports entre artistes brésiliens et africains.

Pourriez-vous nous parler des origines et objectifs du festival Back2Black ?
Nous avons monté l’entreprise Zoocom en 2008, avec trois associés : la jeune entrepreneuse Julia Otero, le publicitaire Silvio Mattos et moi. En 2009 la première édition fut un succès ! Depuis 2012, je gère l’entreprise et le festival toute seule. Mais je reçois l’aide d’un grand  » ami du B2B « , qui s’occupe des conférences et participe toujours de manière très active : l’écrivain angolais José Eduardo Agualusa.
Bien sûr il y a eu beaucoup d’autres personnes importantes dans la construction du festival, comme les directeurs artistiques Bia Lessa et Daniela Thomas, avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler. L’art est la partie la plus importante du festival.
Le festival a été créé parce qu’il était nécessaire de rétablir un pont culturel entre l’Afrique et le Brésil. Le Brésil a ignoré l’Afrique pendant longtemps. L’intention était également de rendre la culture noire plus  » glamour  » et de raviver la fierté des Afro-Brésiliens.

La programmation du festival est-elle plus portée sur les artistes africains ou sur les artistes afro-brésiliens ?
Nous travaillons autant sur les deux volets. Et nous incluons également d’autres artistes de la diaspora, qui ne viennent ni d’Afrique ni du Brésil. Tous sont fondamentaux pour le succès du festival.

Pourriez-vous par exemple nous citer les noms des artistes principaux invités lors de l’édition 2015 du festival ?
Stromae, Damian Marley, Angelique Kidjo, Planet Hemp, ou encore Lenine & Orkestra Rumpilezz sont les artistes qui ont attiré le plus de monde, mais tous sont importants. Nous avons été heureux d’amener la Marrabenta (1) pour la première fois au Brésil, avec une soirée qui présentait Mingas, Wazimbo et Moreira Chonguiça.

Quelles sont les principales réussites du festival durant toutes ces années ?
La culture africaine contemporaine était complètement inconnue au Brésil. Nous avons été pionniers dans la présentation des plus grands artistes africains au Brésil : Youssou N’Dour, Hugh Masekela, Oumou Sangaré, Sean Kuti, Nekka, Asa, Tinariwen, Toumani Diabaté et beaucoup d’autres, qui ont joué pour la première fois au Brésil grâce au festival Back2Black. Plusieurs sont revenus après ça et certains ont commencé des collaborations avec des artistes brésiliens.
Aujourd’hui je reçois constamment des demandes d’artistes africains qui veulent participer au festival. Ils sentent que le Brésil aussi, et plus seulement l’Europe, peut les accueillir. Des artistes comme Nneka et Keziah Jones sont revenus au Brésil, ont participé au carnaval, ont cherché à développer des collaborations. Le festival Rock in Rio a invité Angelique Kidjo.
Les célébrations et rencontres que nous avons promus entre Africains et brésiliens ont été très importantes. Le festival a prouvé l’intérêt des brésiliens et on peut dire qu’on a vraiment fait l’histoire à ce niveau-là. Les Africains commencent déjà à être inclus dans les programmations de festivals et événements brésiliens et on commence à voir des initiatives similaires à la nôtre.

Pourriez-vous nous citer quelques exemples de ces collaborations entre artistes africains et brésiliens ?
Arnaldo Antunes et Toumani Diabaté ont enregistré leur disque et DVD ensemble. Maria Bethânia veut faire un disque avec Angelique Kidjo. Nous avons fait un hommage extraordinaire au blues avec des musiciens du Mississipi, du Mali et du Brasil. Tous s’y sont reconnus. Nous avons fait une tribu à Miriam Makeba avec des musiciens africains et brésiliens. Avec les lusophones aussi nous avons eu de belles rencontres, comme les jeunes compositeurs angolais Aline Frazão et Toty avec la Brésilienne Natasha Llerena. Je suis certaine que beaucoup d’autres vont continuer à faire de grandes collaborations. Nous allons persister.

Quels sont les principaux défis restant à relever ?
Les principales difficultés se situent au niveau des mécènes : faire comprendre aux entreprises brésiliennes que ce mouvement est devenu important. Pouvoir investir plus pour amener de nouvelles propositions et ramifications au festival, comme des résidences entre artistes africains et brésiliens, des films, etc. Rendre cet échange toujours plus grand et aussi amener le festival dans d’autres pays, africains surtout. Pour tout cela, nous avons besoin d’investissements.

Dans quelle mesure cette valorisation permet-elle de lutter contre le racisme et les préjugés raciaux au Brésil ?
Le festival réunit aujourd’hui un public à 50 % blanc et à 50 % noir et métis. Je suis sûre que cela participe à la valorisation des cultures noires et que cela contribue en partie à la lutte contre les préjugés raciaux.

Quelle est l’image que les Brésiliens se font de l’Afrique aujourd’hui ? Est-elle très différente de l’image qu’ils en avaient il y a 15 ans ?
Oui elle est très différente ! Aujourd’hui ils connaissent l’Afrique moderne. Il y a 15 ans, la grande majorité ne connaissait qu’une Afrique folklorique.

Les Brésiliens noirs sont-ils conscients des influences africaines sur leur culture – y compris contemporaine ? J’ai par exemple entendu parler d’auteurs de Funk Brésilien (2) découvrant avec étonnement le Kuduro et ses similarités avec leur propre univers (tant en terme de rythme que de danse, de pratique…)
Il y a toujours eu des liens, mais ce rapprochement récent a été fondamental pour qu’ils comprennent mieux la culture contemporaine. Le festival a déjà réuni, à plusieurs occasions, des danseurs de funk, passinho (3) et kuduro. Le kuduro surprend toujours les gens du funk. Ils sont très bons !

Le Brésil sert parfois de contrepoids à l’influence portugaise dans le domaine des arts. Par exemple, en littérature, un auteur africain lusophone peut obtenir une édition et une reconnaissance internationale en passant par des maisons d’éditions brésiliennes, sans nécessairement avoir de lien avec Lisbonne – là où par exemple Paris reste la plaque tournante pour un auteur africain francophone. Pourriez-vous donner des exemples de ce phénomène, et peut-être l’élargir à d’autres domaines artistiques ?
Les écrivains Mia Couto et José Eduardo Agulusa sont très importants dans notre littérature. Bien qu’ils aient déjà été bien reconnus et acclamés au Portugal, ils n’ont pas conquis le public brésilien par une influence portugaise, mais par leur lien avec des auteurs brésiliens.
Le kuduro est également venu directement d’Angola vers le Brésil. Comme je l’ai dit, c’est seulement récemment que les brésiliens ont commencé à regarder l’Afrique. Le festival a beaucoup contribué à ce rapprochement, ainsi que quelques autres initiatives. C’est très bien que tout cela finisse par arriver !

On parle très peu de panafricanismes lusophones, comme si le Brésil n’avait jamais joué aux Amériques le rôle qu’ont pu jouer chez les anglophones et francophones les États-Unis ou la Caraïbe, dans le rôle de l »affirmation d’une identité et d’une pensée politique noire. Auriez-vous des contre-exemples ? Pensez-vous qu’on puisse assister aujourd’hui à une forme contemporaine de panafricanisme lusophone, avec les liens politiques et intellectuels que le Brésil est en train de tisser avec l’Afrique, ou à travers des événements comme le vôtre ?
Les politiques culturelles brésiliennes ont été fermées pendant assez longtemps. L’échange se faisait avec l’Europe et les États-Unis. En 2008, quand Gilberto Gil et le gouvernement de Lula ont enfin assumé les liens avec l’Afrique, ils sont devenus réels. Notre actuel ministre de la Culture, Juca Ferreira, veut donner une continuité à cette politique et travaille à plusieurs initiatives dans ce sens. Nous allons tout faire pour que cela devienne une affirmation identitaire.

(1) La Marrabenta est un style de musique né à Maputo (Mozambique) dans les années trente-40. Elle est une fusion entre musique occidentale (principalement portugaise) et rythmes mozambicains, jouée avec des instruments occidentaux.
(2) Le funk brésilien, ou « funk carioca » n’a rien a voir avec le funk des États-Unis : c’est un style de musique et de danse très rythmé et très électro, né dans les favelas de Rio dans les années 1980. Il devient très populaire à partir de la fin des années 1990.
(3) Le passinho (« petit pas ») est une danse née dans les favelas de Rio il y a quelques années, mélange de funk, de break-dance et de musiques plus « traditionnelles » brésiliennes, comme la samba.
Lire ici la version portugaise de l’article » #6 « Era necessário refazer uma ponte cultural entre a África e o Brasil »///Article N° : 13043

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