Fictions TV : des Noirs dans l’ombre

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Historienne, et ancienne élève de l’Institut Français de Presse, Marie-France Malonga, jeune métisse de 26 ans, a consacré un mémoire de recherche au problème de la représentation des minorités dans le paysage audiovisuel français : Télévision française et société multiraciale : présence et représentation des personnes d’origine étrangère. Elle est aujourd’hui chargée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel de diriger une étude afin d’analyser ces problèmes de  » sous-représentativité  » intitulée :  » Présence et représentation des minorités visibles à la télévision française : analyse d’une semaine de programme. « 

Imaginons qu’une personne d’un autre siècle n’ait que la télévision d’aujourd’hui, et plus particulièrement la fiction télévisée, pour découvrir notre pays, la France. A travers les différentes séries, sitcoms, feuilletons et téléfilms français diffusés sur notre petit écran, quelle image pourrait-il se faire des rares Noirs qui y sont mis en scène ? Il se représenterait sûrement ces étranges personnages à la peau colorée comme des gens assez peu nombreux, principalement cantonnés dans les fonctions de joyeux lurons, éboueurs, marabouts, flics, délinquants ou sans-papiers.
Difficile d’avoir une vision quelque peu objective de ces populations africaines,  » doméenne  » ou  » toméenne  » vivant en France, à travers un genre télévisuel qui doit pourtant trouver indéniablement son inspiration dans la réalité qui l’entoure.
Ce tableau sombre de la fiction devient d’autant plus alarmant lorsqu’on sait que ce genre de programme est un des plus répandus sur les grilles des chaînes hertziennes.
Une sous-représentation et une image partielle
Sans parler des fictions d’outre-Atlantique qui mettent souvent en scène des acteurs africains-américains, la liste des fictions françaises intégrant dans leur scénario des personnages noirs avec des rôles récurrents est plutôt vite faite. Parmi les innombrables sitcoms qui ont commencé à envahir les antennes, au début des années 90, seulement deux personnages noirs nous reviennent en mémoire : le fameux nain du Miel et les Abeilles (TF1) et le jeune lycéen de Seconde B (France 2). La liste s’étoffe dès lors que l’on se penche sur les séries policières. Tout de suite, les noms de N’Guma (Julie Lescaut, TF1), Bain Marie (Navarro, TF1), Inspecteur Poret (P.J., France 2) et Thomas Berthier (Crimes en série, France 2), nous reviennent à l’esprit.
Même en tenant compte des figurants et des petits rôles, comment ne pas constater que les personnages de fiction noirs ne représentent qu’une poignée d’hommes parmi les nombreux protagonistes des diverses séries télévisées françaises ?
A cette sous-représentation des personnages noirs s’ajoute malheureusement une image trop souvent tronquée, caricaturale et négative. La fiction télévisée française – et la télévision de façon générale – reste maître dans l’art de la caricature et des idées reçues.
Par exemple, le fait que la majorité des acteurs noirs soient présents dans les séries policières n’est sûrement pas un phénomène dû au hasard. Le monde de la police n’est-il pas un milieu où l’on côtoie le plus souvent la délinquance et la misère ? En effet, les séries policières comme Navarro, Julie Lescaut ou P.J. regorgent de jeunes délinquants noirs, de marabouts douteux et de familles africaines squatters ou sans-papiers.
Que dire encore de l’acteur nain noir du Miel et des Abeilles constamment tourné en dérision par sa bande de copains ? Ne serait-il pas l’incarnation même de la bouffonnerie ?
Le petit écran a aussi le terrible défaut de réduire le Noir à sa couleur. En effet, celui-ci est souvent figuré comme  » venu d’ailleurs « , comme étranger, qu’il soit Antillais ou Français de longue date. Les scénaristes éprouvent ce besoin agaçant de pointer du doigt la différence du personnage noir qu’ils décident de mettre en scène. A croire qu’un acteur noir n’ait pas le droit d’être un acteur parmi d’autres, fondu dans la masse de ses concitoyens. On ressent une volonté persistante de mettre constamment en avant toute origine étrangère.
Combien de fois N’Guma ou Bain Marie nous rappellent-ils qu’ils viennent  » des îles  » ? Comment ne pas se souvenir aussi de ces quelques scènes, qu’on reçoit comme des piques, où Bain Marie ou N’Guma lancent une réplique avec l’accent de  » leur pays  » pour faire rire la galerie ?
Remarquons que dans les séries policières françaises, les Noirs restent partagés entre des rôles de petits délinquants et de héros superflics. Cette répartition des rôles semble s’inspirer directement des feuilletons policiers américains qui fonctionnent exactement sur le même schéma manichéen.
Il faut tout de même remarquer une petite évolution concernant l’image du Noir dans certains feuilletons français récents comme P.J. et Crimes en Séries, tous deux diffusés sur France 2. Dans ces deux fictions, les personnages de l’inspecteur Poret (joué par l’acteur Thierry Desroses) et de Thomas Berthier (interprété par Pascal Légitimus) sont nettement moins stéréotypés et plus en phase avec la réalité. Il est, en effet, rarement fait allusion aux origines ethniques des deux acteurs qui sont représentés comme de  » simples  » flics, échappant ainsi à l’image du Noir joyeux, sportif, père de famille nombreuse et ami des  » jeunes de banlieue « .
Des causes multiples
Cette sous-représentation des acteurs noirs dans la fiction télévisée française et cette façon si maladroite de les représenter nous renvoient une image de la France totalement  » blanche  » et contraire à la réalité. Cette vision des choses s’oppose à l’image d’ouverture de l’Hexagone.
Le fait que la fiction française semble ignorer et méconnaître la communauté noire résulte de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, les scénaristes de ces séries ou téléfilms connaissent mal les populations noires françaises du fait qu’elles en font rarement partie ou qu’elles ne sont pas forcément en contact avec elles.
Par ailleurs, l’existence d’une certaine frilosité, voire d’un racisme, de la part des dirigeants de chaînes et des scénaristes français n’est pas non plus à exclure. La discrimination raciale touchant tous les corps de métiers, pourquoi épargnerait-elle le milieu très fermé de la télévision ?
Mais le fondement majeur du manque de visibilité des Afro-antillais dans les fictions télévisées reste d’ordre idéologique et politique. De façon plus générale, la sous-représentation télévisuelle des Noirs – comme de toutes les minorités visibles et qui concerne tous les types de programmes – reflète parfaitement l’idée d’une vision étriquée de l’intégration républicaine. La télévision tend à être le modèle réduit d’une société frileuse, hostile à la différence, niant un multiculturalisme pourtant évident. Le petit écran, comme la société, semble refuser l’idée d’une France multiculturelle, comme si l’égalité et la différence restaient deux notions totalement incompatibles. Notre télévision révèle donc toute la contradiction, voire l’hypocrisie, du projet égalitariste et universaliste de la République française qui, tout en se revendiquant  » une et indivisible « , exclut parfois une partie de ses citoyens.
Des conséquences dramatiques sur le public
Il ne faut jamais oublier que la télévision possède un certain  » pouvoir « , dans le sens où elle reste l’unique moyen d’information de la grande majorité des Français et, par conséquent, l’unique instrument de connaissance de l’Autre.
La présence télévisuelle limitée des Afro-antillais – comme de toutes les minorités visibles – doublée d’une représentation souvent négative et partielle, a des conséquences non négligeables sur l’opinion publique.
D’une part, elle contribue à ce que ces populations soient toujours vues comme « étrangères » dans l’imaginaire collectif.
D’autre part, on peut se demander comment doit être vécue cette situation par les Afro-antillais et toutes les autres minorités visibles françaises. On peut imaginer les sentiments de rejet, voire de colère, ou les problèmes d’identification qu’elle peut engendrer. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que beaucoup de jeunes téléspectateurs noirs français s’identifient à leurs homologues afro-américains, beaucoup plus présents dans les innombrables fictions américaines diffusées sur notre petit écran.
La télévision ne participe donc pas à l’intégration des minorités visibles au sein du corps social car elle renforce leur sentiment d’exclusion et, par conséquent, le risque de repli communautaire. Donner une meilleure représentation des Noirs vivant en France, ainsi que des autres minorités visibles (Maghrébins, Asiatiques), représente finalement un enjeu socio-politique important que le Collectif Egalité a bien saisi. Grâce à lui, ce débat est devenu public et a permis une prise de conscience nationale du problème. Ainsi, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a organisé une étude sociologique ayant pour but de mesurer la représentation exacte des minorités visibles, dans tous les types de programmes télévisuels. Celle-ci sera peut-être l’occasion d’encourager la recherche universitaire dans un domaine qui reste encore très peu exploité en France et de prouver à certains que la sous-représentation des minorités visibles ainsi que l’image tronquée qui leur est souvent donnée n’est pas un mythe. 

///Article N° : 1319

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