A quoi servent les festivals de films africains ?

Le coup de gueule de Nour-Eddine Saïl à Khouribga

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D’entrée de jeu, le discours de la cérémonie d’ouverture de la 18ème édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga (Maroc, 12-19 septembre 2015) donne le ton. Le président du comité d’organisation Nour-Eddine Saïl interpelle l’assemblée : À quoi servent les festivals de films africains aujourd’hui ? À qui rendent-ils service ? Sont-ils vraiment utiles au cinéma ?

Il y a de cela cinquante ans, les précurseurs de notre jeune cinéma se lançaient le défi de réduire au maximum la diffusion des films étrangers pour laisser place aux films africains. Le fait est qu’à ce jour, selon Monsieur Saïl, aucun pays n’est parvenu à le relever. L’ancien patron du cinéma marocain ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’adresse aux partenaires conviés au colloque intitulé : « Les festivals de cinémas africains et leur rôle dans l’affirmation du cinéma d’Afrique ».
Triste constat : à part l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Maroc, et des films inexportables de type Nollywood, la production des autres pays africains demeure inexistante et les États ne parviennent pas à dégager une politique. Certains pays ne comptent qu’une production par an. « Si une nation ne parvient pas à produire 30 à 40 films par an, c’est que le cinéma y est inexistant « , clame-il.
Retour au début des années 70, les premières années qui ont suivi les indépendances quand des mouvements militants et les ciné-clubs battaient leur plein. Ils vont mener à la création de journées cinématographiques, puis à des festivals. Mais depuis ce temps qu’avons-nous fait ? questionne Monsieur Cinéma marocain. Ne devrait-on pas arrêter ces manifestations et retourner tout simplement aux formules de ciné-clubs ?
Les représentants des plus importants festivals de films africains défendent légitimement la nécessité de leurs événements respectifs : les Journées Cinématographiques de Carthage, la plus ancienne des manifestations sur le continent, totalisent 135.000 entrées selon le nouveau directeur Ibrahim Letaief ; pour Luxor, Farouk Mustapha Sayd Abdel-Khalek explique comment le plus jeune festival de film africain est né dans un contexte de révolution ; à chaque édition, le FESPACO, l’ultime rendez-vous du cinéma africain à Ouagadougou invite les États à participer aux rencontres et à s’engager, explique le délégué général Ardiouma Soma ; Gisèle Kayembe, programmatrice de Vues d’Afrique à Montréal, témoigne du fait que sans les festivals, les images africaines peinent à atteindre l’Amérique du Nord lointaine, sans lien historique particulier avec le Sud ; enfin, Marcel Epée raconte comment les Écrans Noirs à Yaoundé garantissent une plateforme de diffusion d’œuvres africaines dans le pays.
Depuis des années, ce sont donc eux qui effectuent un travail de relais. Mais ils n’ont pas le pouvoir des États. Les vitrines du cinéma sont indispensables mais si les politiques de l’Etat ne suivent pas, il y a peu de chance que l’industrie évolue.
Cela fait longtemps que cette question préoccupe Nour-Eddine Saïl. Depuis 2010, le festival de Khouribga a évolué dans un sens de développement et de croissance. Il n’est plus seulement un petit festival où il fait bon se retrouver entre professionnels, recevoir les amis pour échanger autour d’un pot. Il s’est depuis développé avec l’intention d’apporter quelque chose d’utile aux cinéastes, aux salles, à l’industrie du cinéma. Sinon, comment créer une industrie sans salles ? Quand on assiste à la fermeture des salles un peu partout en Afrique, on se demande si ça vaut la peine, dit Saïl : « L’Egypte en compte 320, l’Afrique du Sud 250 et le Maroc 58. Tout le reste en dessous, voire très en dessous, proche du zéro… Le Nigeria avec ses 1000 productions de VCD par an ne peut pas prétendre à faire du cinéma comme l’Inde qui compte aussi 1000 productions par an mais de films sur grands écrans !« . Il poursuit, « Si le festival de Cannes décide de s’arrêter, eh bien il ne le pourra pas car de lui dépend le marché mondial. Tandis que si le festival de Khouribga décide de fermer ses portes, il peut le faire du jour au lendemain « .
On ne compte plus les tentatives d’en débattre sérieusement. Les réunions entre professionnels lors de la précédente édition du FESPACO en 2013 n’avaient-elles pas résulté sur des engagements de la part des responsables publics ? Depuis, il semble que seul le Sénégal se démarque par son suivi et peut-être la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso qui commencent à bouger. « Le Sénégal a pris des décisions, par exemple, mais il faut les pérenniser, les légaliser avec un cahier de charge précis, une commission pour garantir la production d’un quota de films qui va devenir l’ADN du cinéma sénégalais, insiste Nour-Eddine Saïl. « On en est là au Maroc depuis 3-4 ans, on entend plus parler de ces multiplexes. Si on ne construit pas ces grands écrans, ça ne sert à rien de passer de 4 à 25 films par an sans développer un marché intérieur, ça n’a pas d’intérêt. C’est une logique qu’il faut introduire. En dix ans, on a produit 34 films mais aucun distributeur marocain ! Pour faire exister un film, il faut un marché « , conclut-il.
Après les festivités d’ouverture, la salle du complexe culturel de Khouribga se vide. À peine dix personnes restent pour regarder le film d’ouverture, Le Mandat de Sembene Ousmane, en hommage au Sénégal, pays hôte de cette 18ème édition. La peur des salles obscures aurait-elle finalement atteint les foules à force d’absence de politiques ? Les programmes de TV eux ne manquent pas pourtant et les spectateurs finissent par se contenter de leur contenu léger. Dans certains pays, ce débat n’existe même alors que de la créativité cinématographique dépend l’avenir du continent.

Khouribga, septembre 2015///Article N° : 13223

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