Je suis la fille du baobab brûlé, poésie des vents contraires

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Le poète et éditeur Rodney Saint-Éloi publie son dernier recueil Je suis la fille du baobab brûlé. Un chant poétique où se croisent les mondes et les esprits de ceux que cet intellectuel nomade a croisé sur sa route.

« Je suis la fille du Baobab brûlée » cet aveu du poète Rodney Saint-Éloi rythme les pages du recueil éponyme, le dernier de l’intellectuel haïtien. Double fantomatique du poète, voix multitude abritant une foule de figures réelles ou rêvées, on traverse ce texte sans jamais vraiment identifier la bouche qui le produit. Car tout dans Je suis la fille du Baobab brûlé sonne comme une parole vivante, énoncée à voix haute. Et c’est l’autonomie du verbe qui semble compter bien plus que la paternité des mots. Le poème va et vient au gré des pages porté par un long et même souffle.
« Ceci n’est pas un poème. […] N’écoutez pas cette voix multiple. C’est mon âme qui craque. Le poème ou ce qui reste de mon identité demeure une vérité empêchée. Consumée. » nous prévient la fille du baobab brûlé dans un prélude au recueil. Le poème se dédit dès les premières lignes, ouvrant notre lecture à une abondance d’interprétations. La vérité qui ne s’énonce pas permet à une variété infinie de vérités d’émerger au fil des vers. L’écrivain pour qui « la littérature grandit la vie »(1) tisse ici d’immenses possibilités poétiques. Ce texte semble envisager chaque chose, même infime, comme un monde à rêver :

« La leçon de l’évidence
Les rituels du quotidien
L’histoire des vaincus ».

Rodney Saint-Éloi est éditeur. Sa structure basée dans la cosmopolite Montréal, Mémoire d’encrier, effectue un audacieux travail audacieux de défrichage et de croisements littéraires depuis maintenant plus de dix ans. En publiant à la fois des auteurs haïtiens, africains, québécois mais aussi amérindiens, Rodney St-Éloi décloisonne les catégories rigides des champs littéraires. Je suis la fille du baobab brûlée vibre des échos de toutes les voix émises par la maison Mémoire d’encrier. La plume du poète trempe dans l’encre des auteurs amis et l’on devine des hommages entre les lignes de cette poésie chorale : le chaos de Frankétienne, le divers du grand Glissant, la toundra de Joséphine Bacon.
L’enchevêtrement des images ancre le texte dans un imaginaire monde dans lequel la luxuriance antillaise voisine l’hiver québécois et les terres noires d’Abyssinie. Cette profusion de référents naturels et sensoriels guide la lecture dans un univers à la fois explosif et d’une grande sensualité. On y croise la tendresse, la révolte et les douleurs existentielles :

« J’ai seulement rassemblé mes ombres
pour ne pas oublier que j’existe
Et le cœur bat fragile le cœur bat
les nuits d’insomnie trop ardentes
j’accroche une rose à mes cheveux
Je chante le pacte de la route
J’ai besoin de ton regard
Pour tracer l’écart
entre l’exil et mon visage ».

Au-dessus du texte plane le panthéon vaudou et la présence des invisibles, et c’est d’ailleurs à une sorte d’objet fétiche, par lequel entrent et sortent les voix des esprits, que peut nous faire penser ce recueil. Le poète est un passeur qui comme Legba navigue entre les mondes.
« Je ne suis pas l’étrangère comme ils disent
Je suis l’indigène des nuits voraces
Je suis la veillée des cadavres sans sépulture
Je suis le zombie qui rôde dans vos calculs »
.

Figure effrayante et carnassière, la fille du baobab brûlée traîne avec elle ses ombres. Elle s’inscrit dans une longue généalogie qui la précède et la suit. Le texte questionne l’appartenance, l’origine, les routes identitaires et les destins individuels.
Brasier où brûlent les grands thèmes de l’enfance, de l’amour, du désir, de la mort et de l’exil, cette œuvre, si elle refuse à se nommer poème est pourtant un grand chant lyrique.
« Je fais vœu d’être fidèle aux vents contraires », la promesse qui clôt le recueil nous invite à penser que cachée sous ce nom de fille du baobab brûlé se trouve peut-être la poésie, tout simplement.

///Article N° : 13259

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