Patries, de Cheyenne Carron

Un film en noir et blanc

Print Friendly, PDF & Email

En sortie sur les écrans français le 21 octobre 2015, Patries est le sixième long métrage de Cheyenne Carron, Kabyle adoptée à l’âge de trois mois par une famille française, qui explore ici les questions identitaires que lui ouvrent ses origines. Il n’est pas sans beauté mais aussi sans de lourdes ambiguïtés politiques.

Film en noir et blanc, histoire en noir et blanc : Patries est construit en deux parties chacune centrée sur deux jeunes de 20 ans, le Blanc Sébastien qui emménage dans le quartier et le Noir Pierre qui devient son ami puis son traître. Diviser radicalement un film et adopter ainsi une pluralité de points de vue n’est pas nouveau depuis Rashomon de Kurosawa ou les films de Lynch (Lost Highway, Mulholland Drive) jusqu’à Tropical Malady de Weerasethakul ou Tabou de Miguel Gomes. Karim Moussaoui avait aussi filmé successivement le vécu d’un même événement de deux adolescents dans Les Jours d’avant. Le procédé permet d’ouvrir la fiction et est plutôt heureux lorsque les parties se répondent pour développer, comme c’est le cas dans ces exemples, l’idée ou la question du film plutôt que pour un surcroît d’explication.
L’enjeu de cette division dans Patries est différent : elle cherche à opposer les destins. Comme dans L’Apôtre où un jeune musulman appelé à devenir imam se convertit au christianisme, Cheyenne Carron développe ici une fiction à contre-courant où c’est le Blanc qui est victime de racisme. La bande de jeunes Noirs à laquelle Pierre présente Sébastien vit ses propres conflits (Antillais / Africains) et réagira durement quand elle croira que Sébastien les a balancés à la police. Le soin apporté aux lumières et au cadre, la beauté des portraits et une caméra qui se fait volontiers proche des visages, et surtout les ruptures apportées par les plans de coupe où l’on voit les jeunes évoluer en skate sur une musique en mode mineur ou un oratorio, (1) déplacent l’imagerie habituelle des films tournés dans les Cités vers une affirmation de la dignité de personnages affrontant le poids de leur environnement.
Le fait que Sébastien affirme avoir du sang noir et développe une empathie pour les signes culturels africains renforce le lien entre les deux personnages et donc les deux parties, la deuxième étant surtout centrée sur la crise identitaire de Pierre face aux stigmatisations et son désir de retourner dans son pays d’origine. Ces quêtes identitaires de « patrie » sont moins développées par les situations que dans des discussions improvisées alignant les questions de sexisme, de la double-appartenance, du vivre ensemble et de l’intégration, qui finissent par tirer en longueur du fait de leurs propos trop sages, mais surtout de la déconstruction de l’émotion qui avait pu surgir entretemps. Les élans des personnages sombrent dans ces diatribes alors même qu’ils commençaient à nous captiver. Ils ont la capacité d’aller jusqu’au bout de leurs contradictions, le feront finalement dans le récit, mais sans que cela nous atteigne alors même que personne ne laisse tomber et que chacun joue de détermination. Cela tient sans doute à la superficie des personnages : la métaphysique ramenée à de l’imagerie, l’esthétique ne s’égare jamais dans l’improbable, pas plus que le sentiment, et l’existentiel frise la sociologie.
Les discussions pourraient laisser penser que la politique est présente : c’est effectivement la façon qu’a le film d’élargir son propos au-delà des deux personnages principaux au vécu d’un milieu. Mais ce qui est absent, c’est une façon collective d’envisager les solutions : le film évacue ce qui permet à Sébastien de reprendre sa place dans le groupe, Pierre n’a pour solution à son mal-être que de partir dans l’hypothétique retour à cet inconnu qu’est son origine, un choix dont tout le monde est fier d’emblée. On ne sort pas de binarités finalement assez désabusées alors que l’enjeu serait de se battre pour un mieux vivre ensemble.
Au fond, les personnages noirs de Cheyenne Carron oscillent entre une assimilation heureuse dans leur nouvelle « patrie » et une expatriation logique s’ils ne s’y sentent pas bien, comme si c’était à prendre ou à laisser, comme si la France ne devait pas changer elle-même pour accueillir les cultures qui forment sa diversité.
C’est en se faisant ainsi l’apôtre du repli sur soi que Cheyenne Carron développe une position politiquement condamnable.
De même, le « racisme anti-Blanc » (expression lancée par le Front national dans le milieu des années 80) dont est victime Sébastien est mis sur le même plan que le racisme que subit Pierre et les Noirs, comme si socialement l’égalité était réalisée. Sébastien aménage pourtant dans un pavillon de la banlieue où ses copains noirs vivent en immeubles HLM. La question des causes des comportements est ainsi allègrement évacuée.
Ce film-guérilla profite de la vitalité, la sincérité et la solidarité de tous ceux qui y participent, mais il pâtit aussi et surtout des trop actuelles ambiguïtés de son approche idéologique.

1. Le film a ses musiques originales de Patrick Martens et Leader Vocal, mais reprend aussi l’Anima Christi.///Article N° : 13260

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire