Les attentats, et après

Sous la direction de Leïla Sebbar

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Leïla Sebbar a sollicité des Algériens de toutes les communautés de leur terre natale vivant à l’époque de la guerre d’Algérie dans diverses régions (essentiellement le Nord et les villes, une carte le précise): des pieds-noirs des villes et des campagnes, des juifs et ceux que l’on appelait « Arabes » qui sont les « Algériens » d’aujourd’hui. Une enfance dans la guerre, vient de paraitre aux Editions Bleu autour.

Lire cette semaine des témoignages sur les attentats pendant la guerre d’Algérie produit des émotions aussi fortes qu’ambivalentes. Les 44 auteurs qui ont vécu, enfants, cette douloureuse période ne racontent ni n’expliquent ce qui ressort désormais d’une histoire traitée par de nombreux travaux dans les deux pays. Ils font ressurgir, rétrospectivement, la vision qu’ils en ont conservée : bribes de conversations, scènes violentes mais inexpliquées, événements décontextualisés, émotions fondatrices ou des images isolées, des traces de chenilles de tanks, du sang dans la rigole du trottoir, des pataugas, des bruits, des cris. La mémoire enfantine se saisit de tout mais n’a pas les moyens d’interpréter.
Leïla Sebbar, elle-même de cette génération, a sollicité des Algériens de toutes les communautés de leur terre natale vivant à cette époque dans diverses régions (essentiellement le Nord et les villes, une carte le précise): des pieds-noirs des villes et des campagnes, des juifs et ceux que l’on appelait « Arabes » qui sont les « Algériens » d’aujourd’hui. Ces enfants, dont les photos figurent avant leur texte vivaient dans des familles aux visions différentes, voire opposées comme en témoigne leur vocabulaire : tandis que certains appellent la « Révolution » et servent secrètement les « frères » qui sont au « maquis », d’autres parlent des « fellagahs » ou des « rebelles » et de leurs exactions envers les Français ou les harkis. Chez tous, «  le cocon s’est fissuré et le réel s’est engouffré » parfois si violemment que l’écriture s’en trouve encore tout imprégnée. Que leur famille ait été avec le FLN ou partisane de l’Algérie française, ils restent marqués par les terribles attentats de l’OAS en 1962. Certains déplorent « cet abandon tragique d’une terre que l’on croyait la nôtre  » (Alain Vircondelet) lors d’un départ qualifié d’ « exil », d’ « exode », de « désastre » ou de « fin irrémédiable », d' »arrachement à la terre ancestrale » (Martine Mathieu-Job) exprimée parfois poétiquement : « Aux approches de la fin, nous respirions un air chargé de ciel » (Jean-Jacques Gonzalès). D’autres, au même moment se réjouissent de ce que « la vie reprend » (Kamila Sefta) car c’est « L’houria, la liberté. La paix. Une exaltation sans fin » (Zineb Labidi). C’est que ces enfants, solidaires de leurs parents, en ont bien sûr adopté naïvement les points de vue, voire les engagements : Mohamed Kacimi flagelle les cadavres des partisans du MNA massacrés par le FLN, Christiane Chaulet-Achour emporte dans son cartable les documents compromettant sa famille partisane du FLN. D’autres rapportent simplement ce qu’ils ont entrevu : beaucoup de cadavres des divers camps, un ami s’écroulant en pleine rue, un harki amputé de son nez par le FLN, un oncle tabassé par les militaires, un fermier allant plaider en faveur de ses ouvriers, la mère qui pleure un proche assassiné, le père inquiet. Quelques uns ont vécu dans leur chair cette guerre devenue proche : «  Il y a un avant et un après l’attentat. Puis il y a le silence. […] Comment raconter cela ? Factuellement : l’Organisation Armée Secrète, l’OAS, a posé un pain de plastic dans l’immeuble qui s’est effondré, m’ensevelissant sous les gravats […] un voisin m’a retrouvée  » (Simone Molina, 207).
Ces voix alternées qui auraient pu reconstituer les fossés entre les camps sont heureusement mêlées en une polyphonie d’où sourd toujours les contradictions. Cette histoire collective se trouve d’autant plus émouvante qu’elle demeure non partagée dans les faits au point que de nombreux auteurs ne trouvent que dans l’écriture un substitut du lieu à jamais perdu. Enfin, l’immense qualité des textes, poétiques, denses, sobres, fait de ce volume une magnifique suite à L’enfance juive en Méditerranée musulmane (2012) et à L’enfance des Français d’Algérie avant 1962 (2014). L’aquarelle de couverture est presque trop belle pour ces alouettes de mort évoquées par Maïssa Bey mais de cette horreur jaillit la beauté de la littérature : «  la guerre d’Algérie en moi n’est qu’un grand trou. Ou plutôt, une suite, une symphonie de trous  » (Daniel Mesguish). Les voici en partie comblés.

Sebbar, Leïla (dir), Une enfance dans la guerre. Algérie 1954-1962, St-Pourçain sur Sioule, Bleu autour, 2016. ISBN 9 782358 480734.///Article N° : 13564

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