Corniche Kennedy, de Dominique Cabrera

Eloge du grand saut

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Librement adapté du roman éponyme de Maylis de Kerangal (1), Corniche Kennedy sort le 18 janvier 2017 sur les écrans français, porteur de très actuelles ouvertures.

Un film solaire. La lumière de la Corniche de Marseille éclate à chaque plan, si bien que les rares scènes de nuit tranchent, réservées à l’intrigue policière. Cette lumière qui fait miroir à celle de l’Algérie où est née Dominique Cabrera, la bande de jeunes plongeurs d’origine maghrébine sur lesquels se concentre le film s’en nourrit autant qu’elle les nourrit. Ils vibrent de cet espace entre ciel et mer, de la maîtrise du vertige, du risque incessant, de la liberté de se jeter dans le vide pour exorciser les limites de leurs contingences sociales. Mehdi sautera même de 18 mètres pour impressionner Suzanne, cette « bourgeoise », « fille à papa » qui habite sur la Corniche et observe ces ados déchaînés, jusqu’à se rapprocher d’eux.
Cela passera par le rejet, l’insistance, l’adoption amoureuse. Qui choisir entre le ténébreux Marco et le tendre Mehdi ? Et s’il s’agissait d’autre chose que de choisir ? Et si se démarquer de son origine passait par explorer une autre façon d’aimer, à trois sur une vespa ?
C’est dire la richesse de ce beau film où pourtant, tous vont faire le pas, chacun saute vers un autre vertige, celui de l’incertain, de l’inconnu. En captant avec une impressionnante sensibilité ce moment de l’adolescence, Dominique Cabrera ouvre l’espace du désir vers des horizons à construire.
Elle le fait en musique, tant la diversité de la bande-son renouvelle continuellement le registre et amplifie la portée. Collaboratrice de la réalisatrice depuis des décennies, Béatrice Thiriet a mêlé des couleurs tantôt jazz tantôt classiques, tandis qu’Imhotep (IAM) a mis en musique une chanson de Kamel Kadri (Marco).
Si le danger est dans le saut, le contexte est mortifère. Le vertige de la capitaine de police (Aïssa Maïga) rappelle que le trouble est général, que de gros intérêts sont en jeu dont les petites mains feront les frais s’ils ne déploient pas leurs ailes. Et qu’il faut, comme le fait le film de cette intrigue qui menace de le plomber, s’émanciper, sauter, brasser la vie comme un poulpe pour échapper aux chemins tracés.
« Tu es éteinte, moi je suis allumé », lui dit Mehdi. Suzanne est une bourgeoise déphasée, c’est aussi la seule actrice professionnelle de la bande. C’est sur cette double articulation que s’agence le film : la prestance décalée, fragile, subtile, de Lola Creton rencontre les corps exposés, volontaires, lumineux de la bande, à commencer par les excellents Kamel Kadri (Marco) et Alain Demaria (Mehdi) dont la tchatche débridée et le jeu réservé ajoutent à la justesse de ton générale. Corniche Kennedy restaure à ces jeunes marginalisés une dignité à mille lieues du sensationnel médiatique et de l’alarmisme politique, en phase avec leur énergie, dans leur façon de cultiver leur différence et leur appropriation des lieux. Pour reprendre l’expression de Mehdi, les pirates accueillent la sirène pour mieux sauter et poursuivre leur élan. Ces mots qui se cherchent montrent que la poésie que dégage le film vient davantage d’une gestuelle et d’une ambiance, d’une tension et d’un vertige, et de sa façon de capter dans leur perpétuel mouvement la grâce et la force des jeunes, leur liberté. Cela passe par de l’écoute et du temps passé ensemble. En leur laissant ainsi prendre le dessus sur sa propre intention, Dominique Cabrera met en place un échange bourré de promesses pour l’époque à venir.

1. Les romans de Maylis de Kerangal ont récemment donné lieu à deux autres adaptations : Réparer les vivants, de Katell Quillevéré, et Naissance d’un pont, que tourne Julie Gavras.///Article N° : 13932

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