Bazouam, une exposition hommage aux créateurs- artisans

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Avec Bazouam, les photographes Dorris Haron Kasco et Armand Gauz, proposent une exposition à ciel ouvert dans la ville historique de Grand-Bassam, située à 43kms d’Abidjan. Portraits et photographies documentaires des ateliers du Village Artisanal rendent hommage à ces créateurs.

Au début des années 1990, à l’heure des balbutiements de la Revue Noire, un fringant ivoirien du nom de Dorris Haron Kasco traverse la route, l’habite et s’y émerge parmi les vivants pour rendre hommage aux Fous d’Abidjan. Avec ces clichés artistiques en noir et blanc, il est ce premier photographe à avoir figé les fantômes malades d’une Afrique urbaine contemporaine à laquelle les Abidjanais tournaient le dos et que l’Europe ne regardait pas encore. Dorris Haron Kasco ouvrait déjà les portes des studios de photographes qui égrènent les bords de routes quand pas grand monde ne s’y intéressait vraiment. Ce documentariste a salué leur action en allant à leur rencontre du Nord au Sud de la Côte d’Ivoire et a consacré un film au méconnu photographe ghanéen Cornelius Yao Azaglo Augustt mort à Bouaké en 2001. Transmettre loin de l’imagerie du traditionnel et ne pas laisser disparaître ce qui n’est pas encore de l’ordre du passé. Dorris Haron Kasco enseigne aux Beaux Arts de Montpellier et ses sublimes « Fous d’Abidjan » sont réapparus en novembre 2016, à Paris,  au Grand Palais pendant Paris Photo.

Fou nu dans la rue, Dorris Haron Kasco, Abidjan 1992

Fou nu dans la rue, Dorris Haron Kasco, Abidjan 1992

Avec l’exposition Bazouam , c’est une autre route qu’il longe, à l’instar de ce « Fou nu dans la rue » qui déjoue le soleil pour chevaucher le monde. Cette nouvelle traversée il ne l’a fait pas seul mais accompagné d’un acolyte solide qui pose un regard debordien sur les choses du monde : Armand Gauz. En matière d’image et de photographie, l’auteur de Debout Payé est bien loin d’être un novice du vice. De Paris à Bassam, il porte toujours un Canon en bandoulière, comme ses rêves. Entre poésie et biochimie, l’écriture de chroniques, de romans ou de scénarios, Gauz observe calmement ce qui l’environne. Il a maintes fois chaussé la caméra, notamment avec Quand Sankara…, tourné à Bamako en 2006, et raccordé l’œil sensible au militant dans des séries photographiques sur les enfumeuses de poissons près de Bassam ou sur des musiciens de Côte d’Ivoire.

Portraits d’artisans

En développant le projet d’une galerie à ciel ouvert intitulée Bazouam ces deux artistes photographes sans concession, noblement indociles et rêveurs, ont décidé de faire les portraits d’artisans qui travaillent dans l’ombre. Attraper les lumières, fixer les gestes, réveiller les sons, capter les atmosphères qui émaillent le travail de celles et ceux dont vous connaissez peut-être les statuettes de bronze, les masques, les figures de proue ou les Superman à pieds costauds échappés d’une boutique de souvenirs. Si les objets nés de ces ateliers se retrouvent parfois dans des grandes foires d’art contemporain, c’est que certains plasticiens peuvent se les réapproprier et les transformer. L’Art se donne en coulisses, dans la confection de ce qui semble être de la bimbeloterie artisanale. Le regard porté par Dorris Haron Kasco et Gauz sur ces artistes rompt avec le misérabilisme d’un exotisme doucereux.

Les appareils photos comme les caméras restent devant la porte des ateliers. Chacun a en tête ce plan travelling pris à la volée le long d’une route bordée d’échoppes souvenirs en Afrique, cette langue de macadam qui souvent va de l’aéroport vers l’hôtel ou d’autres lieux touristiques. « Bazouam » se joue dans la traversée et l’immersion. Le duo passe en arrière cour pour interroger tant l’Art que le travail, et la place de cette production dite artisanale dans la société. Fumeroles, feu, sueur, œil acéré, main disciplinée, front plissé, épaules nouées, copeaux, chien vagabond, éclat d’acier, bouteilles d’alcool arrangé, jeunes, vieux, femmes, hommes… dans ces moindres détails bruts captés qui nous échappent c’est la notion même de ce que être artiste qu’ils invoquent. Les deux cinéastes photographes ne sont pas des étrangers à leur sujet. Pendant des semaines, objectifs et micros ont capté l’essence de ces matières transformées pour faire émerger le monde méconnu de ces ateliers et magnifier la dureté d’un travail vécu dans le temps. Les photographies documentaires des ateliers nichés derrière les échoppes alternent avec des portraits en pied des artistes-artisans. Sur les fonds floutés de leurs ateliers, en plan taille, ils prennent une pose identique de 3/4 face à l’objectif, souvent torses nus pour les hommes. Une attention particulière est portée à leurs regards et au port de tête. Car, comme souligné dans la présentation de cette galerie sur route : « Aide-moi à porter ma charge sur la tête ! » La traduction de l’expression Nzima « Bazouam »  reflète bien plus qu’une simple entreprise logistique. La symbolique de la « charge » s’emballe dans tout ce que la vie donne à un homme. La « tête » est sollicitée au nom de sa capacité de réflexion et sa créativité pour assumer les difficultés, autant que pour exprimer les bonheurs.

Portrait Bazouam -- Gauz

Chaque 100 mètres de la voie, ces grands portraits tirés sur des bâches de 120x180cm vont jalonner la route qui traverse le Village Artisanal de Bassam. Les photographies documentaires prises sur l’ouvrage et le travail seront exposées dans les boutiques en tirage photographique classique. Un film documentaire sera projeté dans quelques échoppes choisies au hasard de la divagation des futurs visiteurs curieux. Le temps du vernissage, sur les coups de 11 heures, le 27 avril 2017, la route sera fermée à la circulation pendant deux heures… L’humanité criante de  Bazouam va orner cette route de Bassam et devenir un passage plus qu’obligé pour qui descendra ces prochaines semaines à Abidjan. Dorris Haron Kasco et Armand Gauz offrent à nos regards les signes d’un monde visible qui se joue à l’ombre.

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