L’Afrique dans les festivals de cinéma

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Quelle place pour les films des cinéastes d’ascendance africaine dans les festivals de cinéma ? invisibilité et marginalisation semblent leur lot, mais la question est complexe.

Chaque année, on scrute les programmations des grands festivals pour voir si les expressions africaines sont représentées. Les rares films sélectionnés sont dès lors portés aux nues, eux qui ont franchi le Rubicon de la reconnaissance internationale. Ils reviennent chez eux auréolés de cette aura : la validation. Si, comme à Cannes cette année, les films du Maghreb, aux formes plus abouties, sont parfois retenus, l’Afrique noire n’est souvent représentée que par des regards occidentaux ou par des coproductions à forte représentation occidentale. La validation, c’est une vieille histoire. Elle démarre aux Indépendances, lorsque paris était pour l’Afrique francophone le seul lieu de la reconnaissance artistique. Cela n’a pas beaucoup changé : tant que ne se développent pas en afrique des festivals d’envergure et une diffusion maîtrisée, la validation ne peut venir de l’intérieur. Le Fespaco (festival biennal se tenant à Ouagadougou en année impaire) aurait pu être la vitrine des cinémas d’Afrique et un tremplin pour ses créateurs. Mahamat-Saleh Haroun, cinéaste tchadien dont tous les longs métrages ont été sélectionnés à Venise ou à Cannes, où il remporté le prix du jury en 2010 pour Un homme qui crie, avait déclaré à Africultures vouloir le boycotter et inviter ses collègues à faire de même. Pour lui, ce festival historique, rendez-vous obligé et pèlerinage pour les professionnels, est devenu « une sorte de Titanic où l’on s’autocongratule dans la médiocrité ». Les éditions précédentes n’étaient pas brillantes mais la récente édition de févriermars 2017 en fut la triste confirmation (cf. notre article sur le site d’Africultures) : des films indignes d’une sélection officielle dans une programmation globalement d’une grande faiblesse, alors que des films de qualité n’étaient pas retenus. les dernières éditions des journées cinématographiques de Carthage ont par contre relevé le niveau, mais leur subordination à l’état tunisien comme le Fespaco à l’état burkinabè, plombe leur pertinence et leur vitalité. « L’Europe n’est pas mon centre », se plaisait à répéter le doyen loué et respecté Sembène Ousmane. Cela ne l’empêcha pas de développer une vision ouverte aux échanges avec le monde dans son ensemble. Il était bien conscient que le repli sur soi ne pouvait être une voie pour l’Afrique. Et ne refusait pas la venue de ses films à Cannes ou autre festival international. Car tout artiste a besoin de se confronter à l’ailleurs, au risque de rester enfermé dans un ghetto. Au contraire, pour nombre de cinéastes africains aujourd’hui, l’enjeu est de remettre l’Afrique au centre, et donc de sortir de la sous-représentation par l’excellence des contenus.

Discours et représentation

Mais comment trouver sa place dans le monde lorsque la marginalité structure le discours littéraire et cinématographique africain ? Rien d’étonnant dès lors à ce qu’on attende d’un Africain qu’il ne sorte surtout pas de sa forêt et qu’on lui pose sans cesse la question de son africanité. N’est-il pas contradictoire de vouloir sortir de la marge pour affirmer sa place dans le monde alors même qu’on trouve dans la marge une structure d’identité ? Le voyage dans l’humain des cinémas d’Afrique au XXIe siècle poursuit en effet la solidarité historique avec les opprimés. « Les héros ne m’intéressent pas », dit par exemple le marocain Faouzi Bensaïdi qui porte dans ses films « une affection particulière pour les perdants, pour les marginaux ». Cette conscience des blessures de l’Histoire et de la souffrance du monde, cette sensibilité pour les marginaux du progrès n’impliquent-elles pas de se revendiquer à l’écart des machines de domination, à la périphérie des centres de pouvoir ? La solution adoptée par les cinéastes les plus marquants est d’affirmer son imaginaire sans se revendiquer d’une identité ou d’un territoire. Cela permet d’affirmer sa place à égalité sans être soupçonné d’imitation ou de mimétisme, par une esthétique en rupture avec la dominance du spectacle et de la consommation, partageant ainsi le combat des cinéastes qui résistent à l’uniformisation et au nivellement. Le problème dès lors, c’est le public, qui enferme volontiers les cinémas d’Afrique dans ce qu’il voudrait qu’ils soient : fraîcheur, supplément d’âme, intemporalité d’une Afrique mythique. une vision encore coloniale alors que l’Afrique bouge au rythme du monde. Ce sont les membres des commissions de financement et les sélectionneurs des festivals qui choisissent en fonction des représentations de l’Afrique qu’ils ont encore en tête. Et ce sont les spectateurs des « festivals de films africains » qui attendent d’être charmés par des cartes postales les reposant des problèmes de l’heure. Ces festivals apparaissent dès lors comme des ghettos ambigus, alors même qu’ils tentent souvent de donner une visibilité à des films qui n’en ont que très peu. Tant que les expressions culturelles africaines sont marginalisées, au risque de passer à côté de leur pertinence pour le temps présent, ces festivals sont nécessaires.
À tous niveaux, c’est donc un combat contre le regard réducteur. Le sien, d’abord, qui intègre celui de l’autre, et bien sûr celui de l’autre, dominant : « On est face à des guichets qui nous prennent tous de la même façon, comme de pauvres cinéastes à aider », dit encore Mahamat-Saleh Haroun. Tout le système du « cinéma africain » ghettoïse les films dans un circuit de festivals spécialisés qui leur assure une visibilité, faute de mieux mais où ils se trouvent marginalisés : « On naît marginal, et on termine marginal. Aucun cinéaste qui se respecte ne rêve de cela », ajoute-t-il. La revendication d’égalité, si présente dans les premiers films d’Afrique n’a finalement débouché que sur le maintien d’une hiérarchie. « Tout le problème est justement de partir de ce désir d’être égal à l’autre car cela relève d’un complexe, note encore Haroun. On prend le point de vue de l’autre et on cherche à lui démontrer que l’on est son égal. Ce complexe est fondateur d’un certain type de cinéma qui se perd dans ses intentions au lieu de nous raconter le monde d’un point de vue original qui nous touche et nous émeut. » L’enjeu est dès lors d’assumer son Histoire et d’en faire non un frein mais une richesse et une force.


Wallay, de Berni goldblat

Wallay est une expression issue de l’arabe à la monde dans différents pays subsahariens pour dire « c’est vrai, je te jure ». Le film du même nom est d’une grande beauté. En sortie sur les écrans le 28 juin.

Ady (Makan Nathan Diarra) est un jeune de vaulx-en-velin dont le père apprécie peu les trafics. Il l’envoie au Burkina Faso pour le faire redresser par Abdou, son oncle pêcheur (l’immense Hamadoun Kassogué). Voici donc que ce jeune « insolent, qui vole et qui ment » va devoir s’adapter, coincé, révolté mais peu à peu touché par ce qui l’entoure, notamment lorsqu’il va voir sa grand-mère au village, dans la maison où son père est né. Cela pourrait être mièvre et cousu de fil blanc, C’est d’une extrême finesse. simplement parce que cette grand-mère représente la conscience que les Occidentaux dénient si souvent aux africains : « On est plus le fils de son époque que le fils de son père », dit-elle. Simplement parce que cet oncle va savoir reconnaître les contradictions de ses principes éducatifs traditionnels. Rien n’est caricatural, rien n’est forcé.
Comme dans la belle scène de la fête au village, Ady rentre dans la danse sans s’imposer. De même, son rapprochement avec la jolie Yéli reste au niveau des possibles. Le violoncelle de Vincent Segal caresse doucement les visages et la brousse.
Ce film nous dit que ce qui importe n’est pas la marque culturelle mais la trace, qu’une initiation se doit d’être subtile, que la beauté se cherche dans le partage et l’écoute.

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