Droits d’auteur : pour que les artistes existent !

Entretien de Sophie Bachelier avec Mme Siby

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Pas d’artistes sans droits d’auteur ! A Dakar, une femme de tête dirige avec détermination ce qui est en passe de devenir un exemple pour toute l’Afrique.

Vous dirigez le Bureau sénégalais des droits d’auteur depuis 1995. Comment êtes vous arrivée à ce poste ?
Je suis magistrat, mariée à un magistrat et mère de deux enfants. J’ai fait de l’instruction pendant sept ans en commençant par les mineurs en difficulté. Puis, nous avons été affectés à Dakar, et trois mois plus tard, j’étais nommée à ce poste, par décret présidentiel sur proposition du ministre de la Culture. Je suis placée sous la tutelle de ce dernier. Divers contrôles peuvent être faits, notamment de l’Inspection Générale d’Etat, de la Cour de Contrôle et de Vérification des Comptes, des établissements publics, qui peuvent à tout moment vérifier la gestion de l’organisme. C’est un acquis important. Le Bureau sénégalais des droits d’auteur est un établissement public à caractère professionnel. Il a les avantages d’un établissement public sans en avoir les inconvénients. L’Etat ne lui accorde pas de subvention. Il fonctionne sur ses fonds propres.
J’avoue ne pas avoir répondu sur le champ à cette proposition. Il me fallait prendre du recul devant une situation si importante. Un magistrat indépendant n’est soumis qu’à sa conscience. Allais-je me retrouver sous la tutelle d’une autorité administrative ? Me laisserait-on toute latitude pour m’organiser comme bon me semblerait ?
Madame le Ministre de la Culture m’avait décrit l’état de délabrement du BSDA. Mais dès les premiers jours, j’ai douté, pour vous dire la vérité. Mais je me suis dit que ce serait une démission que de revenir en arrière. La tâche n’a pas été facile. Le personnel manquait de confiance. Il m’a fallu beaucoup de fermeté pour instaurer la crédibilité. Mais le découragement s’était installé et il me fallait montrer que j’étais la première à mouiller ma chemise. J’ai commencé par la réception du courrier ! J’ai fait ensuite l’ensemble des services et mes collègues m’ont soutenue. Nous avons eu des résultats, si bien qu’aujourd’hui le BSDA est devenue une structure crédible sur le plan international.
Si nous n’avons jusque-là pas donné l’importance qu’il fallait à la culture, c’est aujourd’hui le moment ou jamais de lui rendre toute la place qui lui revient. J’ai l’intime conviction que le développement de l’Afrique ne pourra être assurée que grâce à une bonne prise en charge de la culture dans tous ses domaines.
Quelle est l’histoire du BSDA ? Ses rapports avec la SACEM ?
Le Sénégal, contrairement à ce que l’on pourrait croire, a une longue tradition en matière de droits d’auteurs. En 1943, une Ordonnance permettait à la loi française sur les droits d’auteur d’être appliquée sur le territoire de la colonie. Ce Bureau – le Bureau des droits d’auteurs africain, antenne de la SACEM – a existé jusqu’en 1972, date à laquelle a été créé le BSDA, bien que le Sénégal fut déjà doté depuis 1963 d’une loi nationale sur la protection des droits des auteurs ! Cette situation ne pouvait perdurer. Nous devions accepter d’obtenir notre autonomie, prendre en compte les acquis de la SACEM, qui a d’ailleurs tout légué au BSDA au moment où elle s’est retirée, mobilier, assistance, etc… La SACEM s’est investie dans la constitution de la documentation en aidant le BSDA dans les opérations de répartition qu’elle avait eu à faire jusque dans un passé très récent. La première répartition faite par le BSDA est toute jeune : elle ne date que d’avril 1999 ! Une Société d’auteurs qui ne ferait que percevoir ne mériterait pas l’appellation de « Société de perception et de répartition des droits » !
La Radio nationale et la Télévision nationale s’acquittent-elles aujourd’hui correctement de leurs droits ?
Aujourd’hui, la Télévision d’Etat au Sénégal ne pose pas de difficulté pour le paiement. Alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays africains, ce qui permet aux radiodiffuseurs de s’appuyer sur cet exemple pour ne pas payer eux-mêmes. Les difficultés se situaient chez nous plutôt au niveau de la fourniture de la documentation. Il y a eu un grand changement. Le déficit dans la documentation au sein de la Télévision d’Etat a été résorbé à 90 %.
Qu’en est-il du répertoire étranger ?
Le BSDA gère également pour le compte de ses sociétés-soeurs le répertoire étranger. La CISA – notre fameuse Confédération – a élaboré un « contrat-type » qui nous permet d’avoir des indications claires sur la manière dont nous devons intervenir pour que les auteurs étrangers puissent bénéficier du même traitement que les auteurs sénégalais, d’où le fameux principe de « traitement national » qui nous est cher. Mais il est illusoire de laisser croire à l’assurance d’une protection des artistes étrangers quand nous savons que les nationaux ne sont pas encore bien protégés sur leur propre territoire !
Les différentes sociétés d’auteurs sont-elles équipées de systèmes informatiques qui leur permettent de gérer, d’échanger correctement toutes ces informations ?
Je tente, grâce à l’appui de l’ensemble de mes collègues directeurs de Sociétés, de faire en sorte qu’au plus tard dans le courant de la fin du premier semestre de l’an 2000, toutes les Sociétés africaines puissent avoir un niveau d’informatisation qui leur permette d’être à niveau et d’appliquer sur le plan de la gestion collective des droits un système commun.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
Plus que jamais, j’insiste sur le fait que nous sommes dans un monde où ce n’est que dans la solidarité que nous pourrons subsister. Un gestionnaire de droits ne peut pas être aimé de tous les utilisateurs, c’est normal. Ce qui importe avant tout c’est d’avoir la conviction et la conscience que de sauvegarder les intérêts des auteurs, c’est se comporter, quelque part, en défenseur des Droits de l’homme.
Ce qui est curieux, c’est que si ailleurs en Afrique, ce sont les organismes de radiodiffusion relevant du secteur public qui posent problème, au niveau du Sénégal, c’est un groupe de radiodiffuseurs du service privé qui aujourd’hui contestent la légitimité de l’intervention du BSDA. Ils contestent le taux appliqué. Qu’est-ce que serait une radio sans oeuvre littéraire, sans oeuvre musicale ? Les auteurs ne sont-ils pas confrontés comme les autres aux problèmes de logement, de santé, d’éducation de leurs enfants ? Nous ne voulons pas d’une créativité au rabais pour l’Afrique.
Nous nous battons au BSDA pour prévoir un mécanisme qui permette aux auteurs de se prendre en charge, d’avoir une couverture pour eux et les membres de leur famille. Il y a dans le cadre du « Front social » au BSDA, la possibilité, après un certain nombre d’années d’exercice ou de points, d’avoir accès à une pension. Notre premier Président de la République, le Président Léopold Sédar Senghor, figure parmi les « pensionnés » du BSDA ! Tous les trimestres ses droits lui sont virés dans son compte, ici, à la Société Générale des Banques de Dakar.
Quelle est la politique d’action du BSDA face au « piratage » ?
Le BSDA, très préoccupé par cette question, a mené plusieurs études. Le tableau est sombre à tel point que je ne pense pas qu’un investisseur puisse aujourd’hui se hasarder à investir dans le domaine de la musique !
Il y a deux formes de piratage. Le piratage artisanal et le piratage industriel. La perméabilité des frontières n’est pas de nature à faciliter les choses. A mon arrivée au BSDA, j’ai trouvé une fraude très caractéristique. Les quantités déclarées par les productions étaient systématiquement : deux mille exemplaires. Pour une population de huit millions d’habitants, bientôt neuf ! C’est même une insulte pour certains artistes de renommée internationale quand on sait que deux mille exemplaires s’écoulent ici en moins de trois heures de temps !
Pour toute sortie de cassettes ou d’album, il faut préalablement avoir l’autorisation du BSDA, c’est-à-dire déclarer le nombre d’exemplaires, payer les droits de reproduction mécanique qui seront partagés entre les ayant-droit, dont l’auteur. Le producteur ne nous déclare que 5000 exemplaires, une fois en possession de l’autorisation de reproduction mécanique du BSDA, c’est 30 000 exemplaires qui sont mis sur les marchés sénégalais, gambien, mauritanien, guinéen…. Tous ces marchés sont approvisionnés à partir de Dakar ! L’auteur est perdant car il ne touchera jamais les droits de reproduction mécanique censés lui revenir.
Nous avons attiré l’attention auprès des producteurs sur le fait que cela ne pouvait plus continuer ainsi. Pour les auteurs ayant fait leurs preuves sur les plans national et international, le BSDA exigera désormais la production du budget artistique et sera plus « regardant ». Mais malgré cela, il faut dire honnêtement que nous n’avons pas encore les possibilités de contrôler les milieux de la production. J’ai demandé par ailleurs à ce qu’on installe un appareil qui contrôle en temps réel la quantité pressée.
A côté de cela, la piraterie artisanale cause les mêmes dégâts sous une autre forme. Le pirate « artisanal » vend moins cher un produit de moins bonne qualité qui dessert l’artiste. Le consommateur est alors tenté d’acheter le produit piraté à 1000 FCFA au lieu des 1500 francs.
Quelles sont les mesures d’accompagnement que vous prévoyez ?
Mener le combat contre la piraterie demande l’implication de la police et de la gendarmerie. Fort heureusement, dans le cadre de la mise en oeuvre de l’Accord OMC sur le commerce international, nous avons mis sur pied une structure nationale qui regroupe l’ensemble des administrations impliquées. Le problème de la piraterie est un immense problème qui pourrait se chiffrer au bas mot à plus de cent millions de francs CFA.
Le projet de loi sur la copie privée devrait apporter une réponse partielle. En effet, dès l’introduction des supports, au niveau de l’aéroport, l’administration douanière obtient le paiement de l’ensemble des taxes et n’a pas le droit d’autoriser l’enlèvement tant que l’importateur n’aura pas déclaré au BSDA le nombre d’exemplaires et payé les droits.
Le respect des droits d’auteur aurait pour conséquence positive de doper l’économie et de rassurer les investisseurs…
Absolument. Sans sécuriser l’environnement, il est utopique de penser au développement des industries culturelles. Il faudrait également mettre un accent particulier sur la communication. Nous devrions sur la base d’une étude bien élaborée faire un document qui permette d’apprécier quelle est la véritable valeur économique des droits d’auteur. Cela est d’autant plus important que, non seulement au niveau local il y a les virements que nous percevons, mais il y a les virements que nous recevons de l’étranger et qui portent sur des sommes extrêmement importantes. Cela contribue au développement économique du pays.
Vous avez rédigé la législation sénégalaise sur les « Droits voisins ».
Le Projet de loi sur les « Droits voisins » a été élaboré en même temps que le Projet de loi sur les Droits d’auteur. Ce texte sur les aspects de droit de propriété intellectuelle entre dans le cadre des Accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La spécificité au Sénégal c’est que beaucoup d’auteurs interprètent eux-mêmes leurs créations. Mais, je peux dire que je me suis rendue compte – et je le dis avec beaucoup de tristesse – que la cohésion que j’aurais souhaitée au sein de la communauté des auteurs n’existe pas. J’ai effectué plusieurs tentatives vaines pour les réunir autour d’une table, pour leur faire comprendre que dans ce monde, nous ne pouvons plus nous permettre d’aller en ordre dispersé. Jamais je n’ai eu la chance de recevoir dans mon bureau plus de quatre d’entre eux ! Et ils sont plus de deux mille.
Quelles en sont les raisons ?
Des problèmes de leadership. Certains se disent :  » au niveau international ma renommée est telle que je n’accepterai pas de me mettre dans une structure où je ne jouerai pas le rôle leader  » ! Comment peut-on – sans solidarité aucune – mettre sur pied une structure qui représente de façon efficace l’ensemble de la profession ?
Quelles sont les mesures restrictives que le BSDA à la pouvoir de mettre en œuvre ?
J’ai déjà fait fermer une radio sur Ordonnance à Saint-Louis : Africa No. 1. Ils nous faisaient des difficultés au début et ce n’est que lorsque nous avons pris ces dispositions qu’ils ont été contraints d’accepter de signer le contrat avec le BSDA ! Un autre exemple, un radiodiffuseur privé s’est installé récemment sans nous contacter alors que dans ce cas, nous percevons normalement une participation proportionnelle aux recettes. J’ai donc continué à réclamer les budgets de fonctionnement car c’est seulement lorsque nous serons en mesure d’apprécier les budgets que nous pourrons assurer le respect de la participation proportionnelle des auteurs aux recettes.
C’est un combat qui se mène également sur le terrain ?
J’étais l’autre jour en mission à Thiès avec des agents de la Perception. Nous sommes entrés dans un magasin sonorisé qui vendait des articles vestimentaires mais dont la véritable activité était en fait la commercialisation de cassettes. Nous étions tombés sur un pirate de la pire espèce. Des caisses remplies de cassettes étaient rangées sur au moins trois étagères ! Dans la cour de la maison était installée une « entreprise » illégale de repiquage. J’ai ordonné la saisie de toutes les cassettes. Il s’y est opposé. Il m’a menacée. Mon collaborateur a réussi à avertir le commissaire de police de Thiès. Deux policiers sont arrivés au moment où il voulait faire évacuer l’ensemble des cassettes de sa maison.
J’imagine que vous devez vous faire beaucoup d’ennemis devant ce qui apparaît être une véritable guerre…
Bien sûr. On m’affuble de toutes sortes de noms d’oiseaux possibles ! Cependant, cela ne m’ébranle pas tant que j’ai la sympathie et l’appui des auteurs. Nous devons beaucoup de respect à ces gens qui nous offrent la musique et qui nous aident à rêver. Il faut leur permette continuer à le faire ! Les meilleurs ambassadeurs de l’Afrique ne sont-ils pas les artistes ? Ne nous apportent-ils pas des messages très forts ? Dans les moments où pratiquement toute la communauté internationale reste muette, n’est-ce pas la voix de l’artiste qui s’élève ? Elle mérite respect et considération.

Encadré 1 (Assoc Dakar)
Encadré 2 (Annuaire)

Mme Siby est Directrice du Bureau sénégalais des Droits d’auteur///Article N° : 1420

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