Rentrée littéraire avec Gaël Octavia : La fin de Mame Baby

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Premier roman de la dramaturge Gaël Octavia, La fin de Mame Baby, sorti le 31 août chez Gallimard, est l’histoire d’un groupe de femmes vivant dans un quartier périphérique de Paris. Les rivalités, l’amitié, les souvenirs et l’amour sont les ingrédients d’un cocktail où le mystère est roi.

Aline, la voix off du premier roman de Gaël Octavia, est assistante à domicile. Elle observe et écoute, soigne et nettoie. Surtout, elle fait à manger, seule façon de témoigner de l’affection à ses patients : « Je les écoute tous, même si la seule histoire qui m’intéresse vraiment est celle de Mariette ». Mariette, cette femme qui après un énième trauma, passe son temps à boire du vin, fumer et se balancer sur un rocking-chair. Parlant du passé, dans une litanie obstinée et obsessionnelle. Une cinquantenaire qui a vécu un grand amour, prit la route, chanté, guitare à la main, pour gagner son pain, connu la maternité, puis la trahison de son deuxième amour et la mort violente de son fils adoré. Mariette, cette ancienne fille du Quartier qui avait cru avoir le droit d’« attraper un peu d’autre chose » et qui ne sort plus de chez elle depuis sept ans. Car dehors il y a « de l’herbe desséchée puis noyée. Une terre stérile. Du bitume. Des dalles de béton. Une forêt ou des immeubles à perte de vue. Le Far West ou, tout simplement, le Quartier ». Même en fermant la porte, il n’est pas facile de « s’échapper » de cette enfance et de cette adolescence vécues en lien étroit avec une violence latente et une sensation de danger enracinées et difficiles à extirper. Un lieu où les règles tacites sont bien connues de tous et où les interdits et tabous s’affichent en filigrane.

Des silences pour tourner la page

« Ce qui m’intéressait chez Mariette c’était vraiment l’idée de créer l’image d’une femme qui est un anti-poto mitan(1). Qui n’a rien su gérer de ce qui lui arrivait », nous dit Gaël Octavia, qui est née et a grandi en Martinique. Dramaturge mais aussi peintre et vidéaste, elle choisit, dans cette nouvelle forme d’écriture, de
camper surtout des rôles de femmes. La seule vraie amie de Mariette, depuis les temps de l’école primaire, est Mame Baby, ce personnage à qui la romancière ne donne jamais véritablement la parole et qui est pourtant présent dans les mots des protagonistes. Mame Baby, surdouée, intégrant L’école Normale Supérieure à Paris, est « la perle du Quartier », celle qui « quoique incapable d’empêcher la violence de frapper, […] a forgé les mots qui permettent d’en guérir ». Oui, car depuis l’enfance elle se sent responsable de toute la communauté. Sa venue avait d’ailleurs été prévue par une voyante : « Elle triomphera des autres légendes, celles des évangéliques, des catholiques, des musulmans, des juifs, des hindouistes ». Ce qui est sûr c’est qu’elle occupe un rôle très important dans le coeur de Mariette. « L’amitié est une thématique que je ne finis pas d’explorer parce que je pense que, nous les femmes, on se constitue beaucoup grâce à des amies. Les hommes ont des millénaires de mode d’emploi qui parlent d’eux, écrits par eux, sur eux, comme les grands textes philosophiques et religieux ». Dans ce roman où la douleur est retenue, parfois sourde aux gestes et mots qui cherchent à l’apaiser, la possibilité est tout de même donnée à l’amitié de se faire entendre. Parce que les ennemies finissent par devenir complices grâce aux non-dits et à l’oubli, stratégies de salut. « Je pense que l’oubli c’est toujours une forme de choix. Quand les relations ont échouées, soit on coupe les ponts, soit on les re-invente », explique Gaël Octavia. Une oeuvre où le mystère tient en haleine jusqu’aux dernières pages, et qui en dit long sur la reconstruction et la solidarité féminine.

1. « Femme pilier du foyer dans une société patriarcale mais matrifocale, dans le sens que beaucoup de femmes élèvent seules leurs enfants » cit. Gaël Octavia.

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