[Zoom] Kodjie, les métamorphoses du village saamaka

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Kodjie est une mémoire du village saamaka. Aujourd’hui, il sert parfois au bar Le Capitaine, haut-lieu des nuits endiablées et des jours ensuqués du quartier. Il habite juste à côté, « dans le nouveau village » précise-t-il. Marquant ainsi une nuance géographique que seuls les anciens maîtrisent, distinguant les lieux où furent construites les premières cases en bois des zones arrachées plus tardivement à la forêt et aux marécages.

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Arrivé du pays saamaka du Surinam avec son père alors qu’il était encore enfant, Kodjie ignore l’année exacte de son installation en Guyane. Mais il se rappelle qu’alors la fusée n’existait pas, tout comme le village saamaka. Soit un temps presque antédiluvien dans un Kourou d’avant Kourou, tant le Centre spatial est aujourd’hui constitutif de cette ville du littoral guyanais.

 « Kourou était tout petit, tout petit, tout petit. »

Son père était venu travailler sur les chantiers générés par ce Centre qui devait permettre à la France de tutoyer les étoiles, mais aussi et surtout les autres grands de ce monde.

 

Comme les autres ouvriers saamaka, Kodjie et son père logent dans un premier temps dans le village créole. Au coeur du Vieux Bourg, une longue rue relie le port de pêche englué dans les vases du fleuve Kourou à la nouvelle mairie. Bordée de maisons créoles de bois et de couleurs, il comporte aussi une église catholique et son cimetière. Des familles créoles y louent alors des chambres ou des bouts de case aux immigrés surinamais.

Rapidement, ces derniers s’attèlent à la construction d’un quartier qui deviendra le village saamaka. Près du fleuve, entre le Vieux Bourg créole et la côte rocheuse, ils arrachent mètre carré par mètre carré un lieu de vie à la végétation équatoriale. Brûler la savane, défricher, déboiser, assécher les pripris(1)

Là où désormais s’enchaînent ruelles bitumées et maisons fraîchement alignées par la rénovation urbaine, Kodjie évoque le souvenir de forêts et de marais.Les premières cases sont rudimentaires.

« On a acheté du bois, des planches de bois. Mais c’était pas avec des artisans, on a fait ça entre nous. »

 

Des cases en bois, il en existe encore au village. Dans les dernières zones arrachées à la végétation, là où les cases se partagent la terre avec des abattis où pousse du manioc. Des baraquements de bois, aménagés suite à l’incendie qui a frappé le quartier en 2006, étaient prévus comme une cité d’accueil temporaire. Près de 10 ans plus tard, ils servent toujours de logements à des familles. Et s’y ajoutent des cases informelles où s’installent les derniers arrivés. Le reste du village à quant à lui fait l’objet d’un important programme de résorption de l’habitat insalubre.

Si le terme de « village saamaka » est employé de façon générique pour désigner l’ensemble du quartier, ses habitants eux distinguent les villages saamaka, boni et njuka. Des frontières aux apparences invisibles, mais qui sectionnent le quartier entre ces différents peuples bushinengés. Si ces divisions courent toujours, celles au sein même d’un peuple entre lignées familiales auraient tendance à se brouiller, du moins géographiquement. Des changements parmi d’autres, nombreux, que le quartier a connu depuis sa création en 1967.

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« On ne continue pas à même façon. Là on marchait tout droit… mais […] si tu marchais « crochet », un peu à gauche, à droite, et là il faut changer ta vie pour mettre droite. »

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(1) Pripri : mot créole désignant une zone de marais

Photos, textes et sons de Hélène Ferrarini

 

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