Toguna, la case à palabres

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Il y a 80 ans, on parlait déjà de l’entrée des arts primitifs au Louvre… Edifiants extraits choisis dans de récents ouvrages publiés par les éditions Toguna.

« Quand après celui de Londres, le musée du Louvre recevra l’art nègre, il y trouvera non son complément, mais son principe. C’est peut-être ainsi, à rebours, que se constitue un musée ». Telle fut la réponse en 1920 du peintre et écrivain Lucie Cousturier à la question posée par Félix Fénéon – critique et collectionneur qui dirigeait une enquête pour le « Bulletin de la vie artistique » – sur l’entrée des arts primitifs au Louvre. Quatre-vingt ans plus tard, à l’heure où le sujet est d’une brûlante actualité, il est intéressant de découvrir les propos tenus sur ce thème par diverses personnalités de l’époque.
Certaines d’entre elles, comme Paul Guillaume, rendent hommage « aux œuvres de noblesse du passé africain qui ont enchanté la jeune génération (…) et déclenché (…) un enthousiasme sans lequel la vie même de l’art en France était menacé ». D’autres, à l’instar du collectionneur Paul Rupalley, pour lequel l’art nègre ne pouvait être considéré que comme un « art décoratif », sont empreints des préjugés de l’époque sur les « peuples non-civilisés », dont « l’art n’a pas profité des progrès de la civilisation et de l’esprit humain ». Ainsi, pour le collectionneur, y revenir serait « faire machine en arrière et annuler d’un coup le bénéfice de siècles d’études et de travail ».
Tous ces points de vues, parfois grinçants, sont regroupés dans « Iront-ils au Louvre ? (enquête sur des arts lointains) » récemment publié par les éditions Toguna, qui, depuis deux ans, exhument des textes peu connus du grand public essentiellement axés sur les rapports entre l’art africain et l’art occidental. C’est ainsi qu’on peut redécouvrir les « Opinions sur l’art nègre » d’un Maillol, impressionné par les « libertés que les nègres ont réussies », préconisant « qu’il faut, comme les sculpteurs nègres, réduire vingt formes en une » ; ou encore celles d’un Picasso qui a connu ses « plus grandes émotions artistiques » avec « la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique ». Touché, le peintre loue « ces ouvrages d’un religieux passionné et rigoureusement logique » qu’il qualifie comme étant « ce que l’imagination humaine a produit de plus puissant et de plus beau ». D’autres échos retentissent encore comme ceux de Matisse, Derain, Brancusi ou Vlaminck. Autant de noms prestigieux de l’art moderne occidental, qui auront senti la valeur artistique des objets rituels du continent noir, dans lesquels la plupart des chercheurs de l’époque ne voyaient que de vulgaires objets de culte auquel, de surcroît, ils n’accordaient pas de considération.
De petit format et donc à moindre coût, les sept recueils publiés par Toguna ont l’avantage d’être accessibles à un large public invité à découvrir des textes de la première moitié du siècle dernier – excepté un texte de Jean Laude « Rencontre avec l’art nègre » de 1972 – qui en disent long sur la perception qu’avaient les Occidentaux de l’art africain. Tous, loin s’en faut, n’étaient pas près de reconnaître comme Paul Guillaume combien « l’inspiration des ancêtres a passé chez les peuples étrangers, où non seulement elle révolutionne les méthodes et les modèles artistiques, mais également, force le respect pour l’âme nègre en tant que source de vitalité dans une civilisation fatiguée ». Et pourtant…

A propos d’art nègre, Guillaume Apollinaire
Opinion sur l’art nègre, Braque, Matisse, Picasso, Derain, Vlaminck, Cocteau…
La tribu Lobi, Jean-Camille Haumant
Que signifie pour nous l’Afrique ?, Léo Frobenius
Rencontre avec l’art nègre, Jean Laude
La sculpture nègre et l’art moderne, Paul Guillaume
Iront-ils au Louvre (enquête sur les arts lointains), Félix Fénéon///Article N° : 1451

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