Paris 8 La Fac Hip Hop

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Dans Paris 8 La Fac Hip Hop, une série documentaire de 10 épisodes de 8mn, Pascal Tessaud (Cypher films en coproduction avec ARTE France) retrace l’ouverture des portes de l’université française à la culture Hip Hop à la fin des années 1980. L’occasion de questionner les enjeux de l’entreprise et d’opérer une salutaire révolution du regard.

« Inarrêtable, infatigable, incompréhensible, qui vit dans le chaos », ce sont les mots qu’utilise Juan Massenya pour décrire Georges Lapassade, l’enseignant-chercheur qui a ouvert les portes de l’université de Saint-Denis au mouvement Hip Hop à la fin des années 1980. Des mots qui auraient d’ailleurs pu (notamment les deux derniers) achever de décrire le mouvement Hip Hop lui-même pour qui aurait choisi de lui rester extérieur. Or, à travers la figure du sociologue et anthropologue Georges Lapassade, ce que la série documentaire questionne, ce sont les enjeux de pouvoir lié au regard : s’agit-il simplement de « pénétrer » le mouvement pour en faire son terrain d’investigation et d’analyse ou bien d’initier une radicale inversion du regard ? En ouvrant les portes de l’université à de jeunes banlieusards rappeurs et graffeurs, notamment, une révolution copernicienne s’amorce ou dit sa nécessité, celle de la remise en cause de la frontière entre les sachants-regardants et les « objets » de leur regard, une frontière que les sciences humaines et les médias ne connaissent aujourd’hui encore que trop bien.

Certes, nous n’en sommes qu’aux balbutiements et les paradoxes sont là. Cette fin des années 80-début des années 90 dans laquelle nous plonge cette série documentaire est celle où les hiérarchies entre les arts et la partition entre culture d’élite et culture populaire s’estompent. Dans l’épisode 4 « Du ketchup et des larmes », on apprend que la linguiste américaine Desdemone Bardin donnait des cours d’anglais à partir de textes de Public Enemy et d’ateliers d’écriture de rap en anglais, par exemple. Dans l’épisode 2, « Un mur, des bombes, une UV », le graffeur Banga (Basalt Crew) se voit proposer de monter un cours sur « l’art de la rue » avec Jacky Lafortune, « un prof des beaux-arts », chargé de cours à Paris 8. « Dans nos têtes on était des universitaires, on avait plus besoin d’aller à l’école, on allait à la fac », explique Kader Aktivist. « T’étais pas une star mais t’étais quand même limite en-dessous des profs, quoi, t’étais pas un étudiant, t’étais un monstre bizarre qui se baladait dans la fac » (Eros). Ces affirmations, parfois contradictoires, montrent toutes les ambiguïtés d’une période où enjeux de regards et de pouvoirs symboliques se redessinent. Celle où l’université post-68 cherche à se repenser, à redessiner les frontières du savoir en se voulant plus inclusive, tout en restant arcboutée sur des pré-carrés, des rivalités interpersonnelles, et des postures paternalistes voire condescendantes. Au-delà du portrait ambivalent et contrasté du précurseur qu’a été Georges Lapassade, si hommage il y a, c’est donc surtout aux immenses artistes de l’époque, parmi lesquels le graffeur Mode 2 (épisode 5) ou le rappeur Mwidi (épisode 8). Mais on retrouve aussi avec bonheur les débuts artistiques de Stomy Bugsy, Passi, Moda (épisode 6) comme ceux de Cristina Lopes, Alibi Montana, Driver (épisode 7), ou encore de Ménélik, Rapsonic, MC Solaar (épisode 9), pour ne citer qu’eux.

Dans le dispositif choisi par Pascal Tessaud, les acteurs de l’époque réinvestissent les lieux, les redécouvrent. Ce regard permet du recul, salue l’entreprise tout en posant avec acuité la question de ses enjeux et de ses écueils. Qu’est-ce qu’une culture populaire et comment la saisir avec justesse et sincérité ? Court-elle le risque d’être dévoyée, récupérée, sitôt franchi le seuil du temple académique qu’est l’université ? Que cela nous révèle-t-il de la période et des clivages de classes qui s’y dévoilent ? Comment, surtout, saisir, par le regard, une culture subversive à bien des égards, sans que ne se rejoue la grande scène de la perpétuation de la domination ? C’est en effet à une véritable révolution du regard, salutaire pour notre société, que nous invite Pascal Tessaud. Les images d’archives, auxquelles le réalisateur fait la part belle, nous plongent au cœur de cette effervescence créatrice. Adoptant rarement un dispositif frontal ou face caméra, elles nous convient de fait, à participer. Elles sont réellement inclusives et parachèvent, par le montage, la révolution copernicienne initiée. A cet égard, cette série documentaire réussit un redoutable pari : entrer dans la complexité d’un mouvement oscillant entre authenticité rêvée et recherche de légitimation ; entrer dans la complexité d’une université cherchant à renouveler ses pratiques sans abdiquer sa puissance légitimante ; et, par la rencontre de ces deux univers, de prime abord fort lointains, faire jaillir la puissance de l’art, celle qui cimente les humains entre eux, impose le respect et tient le jugement à l’écart.

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