[LIVRE] « Au-dessous du volcan ». Rencontres littéraires de Goma

Maëline Le Lay, Alexandre Mirlesse (dir.)

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Dirigé par Maëline Le Lay et Alexandre Mirlesse, « Au-dessous du volcan ». Rencontres littéraires de Goma est né des journées littéraires que tous deux ont organisées en juin 2018 au sein de l’Institut français de Goma. Le dispositif adopté au cours de cette manifestation donne toute sa singularité à l’ouvrage : six écrivains, dont la trajectoire et l’écriture sont liées à l’Afrique centrale – Guillaume Jan, Élise Rida Musomandera, Blaise Ndala, Jean-Pierre Orban, Roland Rugero et Joëlle Sambi –, ont échangé à l’occasion de tables rondes fondées sur les proximités de leurs œuvres. Transcrits, leurs propos sont scandés par des nouvelles dont les douze auteurs sont des écrivains en devenir ; leurs textes, sélectionnés à l’issue d’un concours littéraire que Boniface Mongo-Mboussa a présidé, mettent en abyme et prolongent les dialogues noués du 14 au 16 juin 2018.

Outre qu’il met à la disposition des lecteurs une production locale, « Au-dessous du volcan ». Rencontres littéraires de Goma propose une double circulation : d’une part, entre théorie et création ; d’autre part, entre des auteurs qui, quelles que soient leur nationalité et leur notoriété, ont écrit ou écrivent sur la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi. Le projet scientifique et littéraire de cet ouvrage transparaît dans ses seuils – l’avant-propos et l’introduction de Maëline Le Lay et Alexandre Mirlesse, la préface rédigée par Lye M. Yoka –, sa structure et son titre, allusion au roman de Malcom Lowry : via la fécondité poétique et politique de l’imaginaire volcanique, concevoir à Goma, non loin du Nyiragongo, un espace de réflexion et de création consacré à la fiction. 

Retrouvez la chronique Africultures sur TV5 Monde sur l’ouvrage « Au dessous du volcan » 

L’une des dynamiques d’« Au-dessous du volcan » est le motif du conflit ; traité sous différentes formes, il est envisagé comme un générateur d’écriture qui enserre nouvelles et prises de parole dans un réseau commun, celui des élaborations métaphoriques changeantes dont le volcan a pu faire l’objet. Son ambition majeure, toutefois, est d’initier, à partir de l’Afrique centrale, une interrogation sur les littératures africaines : le débat sur les langues soulevé par Lye M. Yoka, Alexandre Mirlesse et Roland Rugero, les filiations intertextuelles que suppose la figure paradigmatique de l’enfant-soldat et l’intérêt pour des parcours littéraires diasporiques en constituent quelques exemples. Plus largement, l’histoire souvent troublée de la République démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda se prête à un questionnement sur la littérature contemporaine, les savoirs qu’elle délivre et l’autorité qu’on lui prête. Les textes de Charly Mathekis, Blaise Ndala et Jean-Pierre Orban[1], « Le bivouac de la milice », « Lettre au soldat que j’ai connu »  et « Portrait sans visage », l’intervention d’Élise Rida Musomandera, ou la référence de Maëline Le Lay à l’essai d’Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, tissent un dialogue sur la capacité de la littérature, située dans un champ de l’après, à articuler éthique et esthétique pour fabriquer du sens et un discours sur le réel.

Catalysée par deux questions – pourquoi écrire ? Comment écrire ? –, la réflexion de Maëline Le Lay et d’Alexandre Mirlesse a pour axe central la nécessité, à laquelle les écrivains font écho, de penser et de créer en deçà des structures archétypiques attachées à l’Afrique centrale. Selon les institutions auxquelles ils appartiennent, se profile, pour les écrivains, le risque d’être pris au piège entre plusieurs champs de force : des constructions symboliques héritées de Cœur des ténèbres[2], des fantasmagories impériales dont la littérature d’exploration a été le véhicule privilégié et des pratiques discursives standardisées générées par les ONG. C’est là l’un des enjeux d’« Au-dessous du volcan » : entre la création personnelle et les échanges collectifs, entre des perspectives locales et une échelle globale, entre les affres du passé et les défis du présent, sonder les puissances de l’agir littéraire.

Céline Gahungu


[1] Outre les écrits sélectionnés dans le cadre du concours présidé par Boniface Mongo-Mboussa, « Au-dessous du volcan ». Rencontres littéraires de Goma !reproduit un texte transgénérique de Blaise Ndala (p. 237‑249) et une nouvelle de Jean-Pierre Orban (p. 223-235).

[2] Pierre Halen, « De l’inusable imagerie du Cœur des ténèbres et de sa résurgence dans quelques représentations du génocide au Rwanda », in Isaac Bazié, Hans-Jürgen Lüsebrink (éd.), Violences postcoloniales : représentations littéraires et perceptions médiatiques, Münster, LIT Verlag, coll. « Frankophone Literaturen und Kulturen außerhalb Europas », Bd. 4, 2011, p. 65-88. Pierre Halen, « À propos de la tradition conradienne du Cœur des ténèbres comme archive internationale », in Maëline Le Lay, Jean-Pierre Orban (dir.), « Écrire le fleuve Congo après Conrad », Continents Manuscrits, n°11, 2018, mis en ligne le 15 octobre 2018, consulté le 08 août 2019.

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