Clermont 2021 – Graines de héros : paroles de cinéastes

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Lors du 43ème Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand qui s’est déroulé du 29 janvier au 6 février 2021, en ligne en raison de la pandémie de covid-19, Claire Diao a animé comme d’habitude une heure de débat avec les réalisateurs africains, cette fois autour du programme labellisé Africa 2020, « Promesses africaines – Graines de héros », qui regroupe quatre courts métrages, lesquels seront également présentés à Dakar Court (Sénégal), au Centre Yennenga (Sénégal), aux Rencontres du Film Court (Madagascar), aux Rencontres Internationales des Film Courts de Yaoundé (Cameroun) et à Îles Courts (Maurice). En l’absence d’Olive Nwosu, réalisatrice de Troublemaker (Nigeria, / 2019 / 10’50 », sélection Regards d’Afrique) parlent ici de leur démarche de cinéma Karabo Lediga (What Did You Dream? De quoi t’as rêvé ?, Afrique du Sud / 2019 / fiction / 19’53”, sélection Compétition Internationale), Morad Mostafa (Henet Ward, Ward et la fête du henné, Egypte / 2019 / fiction / 22’50”, sélection Compétition Internationale) et Anthony Nti (Da Yie, Belgique, Ghana / 2019 / fiction / 20’34”) qui a obtenu le grand prix du festival en 2020. On trouvera ci-après la traduction résumée de cet échange qui est publié intégralement en anglais sur Afrimages.

Tim Redford : Bonjour à tous. Bienvenue à cette table ronde avec les cinéastes du programme « Promesses africaines ». Je m’appelle Tim Redford, je suis le coordinateur international du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. Le programme fait partie de notre section Promesses africaines, qui fête cette année son 30e anniversaire. Le programme « Seeds of heroes » (Graines de héros) met en avant des courts métrages réalisés par des réalisateurs prometteurs du continent africain ou de la diaspora. Ce programme a été labellisé par l’Institut français dans le cadre de la saison culturelle Afrique 2020. Avant de passer la parole à notre compagne de voyage et amie Claire Diao – journaliste spécialisée dans le cinéma africain et membre du comité de sélection ici à Clermont, qui vous présentera les participants et animera la table ronde – nous sommes heureux d’accueillir N’Goné Fall, commissaire générale de la campagne, qui souhaite nous dire quelques mots sur Afrique 2020.

N’Goné Fall : La saison Afrique 2020 a commencé en décembre et se poursuivra jusqu’en juillet de cette année 2021. C’est une saison principalement dédiée aux jeunes et aux femmes. Elle concerne l’ensemble du continent africain et les Africains vivant à l’étranger. Il s’agit de savoir « qui sont les créateurs de changement sur le continent » et comment ils innovent, en examinant une série de questions, de problèmes et de défis auxquels nous sommes confrontés en ce 21e siècle sur le continent. La saison couvre toutes les activités, qu’il s’agisse de culture, de science, d’entrepreneuriat, d’économie, sur tout le continent. Tous les projets sont panafricains et pluridisciplinaires. Je suis très, très heureux que, malgré la pandémie, certaines personnes soient très innovantes et mettent leurs projets en ligne. Je suis heureuse de participer à cette table ronde en tant qu’observateur, et vous en remercie.

Tim Redford : Claire, je vous passe le micro pour nous présenter nos amis. Je suis ravi d’avoir ici à mes côtés Anthony Nti. Anthony est membre du jury international cette année, il est donc l’un des rares invités que nous ayons ici à Clermont-Ferrand. Profitez de la table ronde et à plus tard.

Claire Diao : Je vous remercie. Bonjour à tous. Je suis très heureuse de vous accueillir à ce Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand en ligne. Cette année, nous avons une sélection spéciale liée à la saison Afrique 2020, appelée Seeds of Heroes (Graines de héros). Elle est composée de quatre courts métrages, et nous avons le plaisir de recevoir trois de ces réalisateurs ce soir. Je commencerai par la dame, Karabo Lediga.

Karabo est une écrivaine et réalisatrice sud-africaine pour la télévision et le cinéma. Son court métrage, What Did You Dream ? a été présenté en première à Clermont-Ferrand l’année dernière, et était également en compétition au Festival international du court métrage de Palm Springs. Karabo a écrit pour la première série originale de African Netflix, Queen Sono, ainsi que douze saisons de l’émission humoristique Late Nite News avec Loyiso Gola, deux fois nominée aux Emmy Awards, et trois saisons de la série comique Next of Next Week. Karabo a travaillé en tant que scénariste, réalisatrice, productrice de contenus et interprète. Son travail de réalisation comprend également deux saisons de la série de sketchs comiques The Bantu Hour, et de la comédie de situation The Mayor. Son travail d’écriture pour la télévision comprend également Lockdown, MTV Shuga 5, lauréat d’un prix du cinéma et de la télévision sud-africains, et la mini-série en quatre parties Emoyeni : Insanguluko, et plus récemment en tant que scénariste pour le développement des séries d’animation Queens pour Netflix animation et Wild Sheep. Karabo est actuellement en train de développer son premier long métrage, intitulé Sabbatical. Bienvenue à bord.

Karabo Lediga : Merci beaucoup.

Claire Diao : Ensuite, du sud de l’Afrique, nous irons vers le nord, en Égypte, pour accueillir Morad Mostafa, dont la productrice traduira de l’arabe à l’anglais pour nous. Morad Mostafa est un réalisateur égyptien, né en 1988 au Caire. Il a étudié la réalisation de films au Cinema Palace en 2008, et dans d’autres ateliers. Il travaille dans l’industrie cinématographique depuis 2010, en tant qu’assistant-réalisateur de plusieurs réalisateurs tels que Mohamed Diab, Sherif Elbendary ainsi que Ayten Amin sur Souad, qui a été sélectionné au Festival de Cannes 2020. En 2019, Morad a réalisé et écrit son premier court métrage Henet Ward, qui a été présenté en première mondiale au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand et a été récompensé dans le monde entier. Son deuxième court métrage, What We Don’t Know About Maryam, est actuellement présenté en première mondiale à Clermont-Ferrand. Bienvenue à bord de Morad.

Morad Mostafa : Merci. Ravi de vous rencontrer Claire.

Claire Diao : Et la troisième personne de ce panel, est le célèbre Anthony Nti, et je dis bien célèbre parce qu’il a gagné le Grand prix international l’année dernière avec Da yie, et qu’il est membre du jury cette année. Anthony est un réalisateur belgo-ghanéen. En 2012, il a rejoint l’Institut royal du théâtre, du cinéma et du son à Bruxelles. Ses courts métrages Only Us, Kwaku sélectionné dans « Regards d’Afrique » à Clermont-Ferrand 2015, et Boi ont été sélectionnés dans le monde entier. Son dernier court métrage, Da Yie, a remporté le Grand Prix du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand l’année dernière, et a été sélectionné dans plus de cent festivals de cinéma. En parallèle, il a réalisé la vidéo virale Black Magic (Black Harry Potter) pour Yung Mavu, qui a totalisé plus de 30 millions de visionnements sur YouTube. En 2020, il a coécrit et réalisé la mini-série télévisée Shaq pour la chaîne VRT. Il travaille actuellement sur son premier long métrage, Postcard, qui a remporté le deuxième prix au Sam Spiegel Film Lab. Il développe également la série télévisée Clemenceau, qui sera co-réalisée avec Chingiz Karibekov, co-scénariste de Da Yie, et Mohamed El Hajjouti. Bienvenue à bord, Anthony.

Anthony Nti : Bonjour, merci.

Pourquoi faites-vous du cinéma ?

Claire Diao : Nous avons donc une heure pour parler de vos films, du cinéma, des courts métrages, et de Clermont-Ferrand. Je vais donc commencer par une question à vous trois : pourquoi faites-vous du cinéma ? Karabo ?

Karabo Lediga : J’ai énormément regardé le cinéma et la télévision dans ma vie, et je n’y ai pas vu grand-chose de moi-même. Et j’ai eu jusqu’ici une vie plutôt agréable mais aussi tumultueuse parce que j’ai grandi dans l’apartheid. Je savais que mon histoire ne s’arrêtait pas là. Je savais que mon histoire était à la fois agréable et délicate, plutôt douce et drôle, mais aussi étrange et embarrassante. Je voulais faire partie d’une génération qui raconte une histoire différente sur l’Afrique. Pas seulement un récit qui inclut notre histoire, mais un récit qui inclut aussi notre douceur. Au départ, j’ai donc aimé le cinéma, mais je voulais aussi faire partie d’une génération qui complète le récit. Parce que je pense que l’ensemble du récit est assez déséquilibré. Donc, cela peut paraître surprenant mais il y a un devoir en moi qui veut raconter des histoires bizarres sur des garçons, des filles, des mamies, des oncles, et des trucs marrants. Voilà pourquoi je fais du cinéma.

Claire Diao : Morad, après avoir été assistant, vous êtes devenu réalisateur. Alors pourquoi faites-vous du cinéma ?

La traductrice de Morad Mostafa : Il a dit qu’il avait commencé à faire du cinéma en tant qu’assistant-réalisateur, mais il ne voulait pas s’en contenter. Il l’a fait dans un autre but. En tant que cinéaste, il exprime son point de vue. Le long métrage n’est pas le bon point de départ, surtout quand on est d’ici. Il avait des idées qui pouvaient être exprimées sous forme de courts métrages, c’est pourquoi il a commencé par des courts métrages. Pour évoquer ce qu’il voit et le traduire ensuite en cinéma. C’est pour cela qu’il le fait, et qu’il continue à le faire, et qu’il continuera à le faire. Il veut observer et comprendre la société dans laquelle il vit, qu’il le fasse en représentant le « peuple égyptien » ou non, car l’Égypte est pleine de diversité, et de choses intéressantes à raconter.

Claire Diao : Je vous remercie. Anthony, avant de gagner le Grand Prix, vous réalisiez déjà des films. Alors pourquoi faites-vous du cinéma ?

Anthony Nti : Je suis né au Ghana et j’y ai vécu. J’ai déménagé en Europe, mais j’ai encore beaucoup de liens et je fais des allers et retours. J’ai toujours eu l’impression que l’avion est le seul endroit où je me sens en sécurité. « En sécurité » est un bien grand mot, mais c’est parce qu’au Ghana je suis ghanéen, enfin, vous savez, il y a des différences, et qu’en Belgique je ne suis pas complètement belge. Donc, pour moi, faire des films et raconter des histoires fait partie de ma culture ghanéenne. Ma grand-mère a raconté beaucoup d’histoires, ce qui est très culturel là d’où je viens. Or, ce qui est beau dans le cinéma, c’est qu’on peut communiquer avec le monde entier sans nécessairement parler la même langue. Et c’était pour moi, comme, « Wow, donc vous pouvez raconter une histoire ici et quelqu’un de l’autre côté du monde peut comprendre, et sympathiser, et vous suivre ? Ce genre de pouvoir pourrait être utilisé de manière intéressante pour montrer des choses ». Comme le disait Karabo, il y a différentes perspectives. J’avais envie de raconter des histoires qui pourraient toucher tout le monde, mais sous une nouvelle perspective. C’est ce que j’essaie de faire.

Que pensez-vous du format court ?

Karabo Lediga : D’où je viens, les possibilités sont limitées. Le format court permet de dire beaucoup de choses en très peu de temps. Ce n’est pas un format très bon marché, mais, en dépit de la difficulté d’être succinct et court, il permet de pointer ce qu’on veut dire et d’affirmer sa capacité en tant que cinéaste. Je suis allée à Clermont-Ferrand l’année dernière et j’ai été impressionnée par le nombre de films portant des choses émouvantes en si peu de temps. En outre, je pense que c’est un format accessible à beaucoup de gens, alors que le cinéma n’est pas souvent accessible. Il permet au monde entier de faire preuve de ses compétences, et ce que je vois à Clermont le confirme : il est vraiment puissant de savoir être court. Dans les discours, les gens qui ont le plus de souffle ne sont pas les plus percutants. Le court métrage va plus loin, si chaque seconde en est réfléchie, et je dois dire je respecte et m’incline devant le court pour toujours, surtout après avoir été à ce festival de Clermont qui consacre tant d’efforts et d’amour au court !

 

Trailer – What Did You Dream? from Karabo Lediga on Vimeo.

 

La traductrice de Morad Mostafa : Il s’est toujours intéressé aux courts métrages, et il pense aussi que les courts métrages sont plus intéressants ! Il n’est pas forcément nécessaire d’avoir un long métrage pour cerner son sujet. Un court métrage suffit et il va droit au but. Il a toujours été passionné par les courts métrages et il ne considère pas cela comme une étape particulière de la réalisation d’un long métrage : c’est une activité à part entière, distincte des longs métrages, qui ont leur propre langage.

Anthony Nti : Je considère les courts métrages comme des œuvres d’art audiovisuel au même titre que les clips vidéo ou les publicités. Pour un long, il faut partir de la même logique. Je vois donc les courts métrages comme un moyen de raconter une histoire pierre après pierre dans la perspective du long. Le court est aussi parfois utile pour montrer ce qu’on peut faire dans ce format. Si on devait tout de suite passer au long, ça ne suivrait pas ! Ce que je constate, c’est que la difficulté reste de savoir si on peut raconter l’histoire.

Quel était le budget de votre court métrage ?

Claire Diao : Pouvez-vous me dire quel était le budget de vos courts métrages, par exemple Da Yie ?

Anthony Nti : Le budget était beaucoup de riz, beaucoup de soupe. J’ai dû masser beaucoup de gens, c’était beaucoup de faveurs. J’ai travaillé au Pizza Hut pendant un an et j’ai gagné 12 000 €. C’est avec ça et d’autres choses que j’ai réalisé. C’est avec ça que nous l’avons fait, mais ce n’est pas la valeur du film, dans le sens où beaucoup de membres de la famille ont travaillé pour rien, juste parce qu’ils étaient de la famille. Et le caméraman a pris sa caméra et l’a fait par passion. Donc, le budget, c’était la passion, beaucoup de passion et 12 000 euros ! Ce qui, si vous connaissez la production, n’est pas beaucoup !

Claire Diao : Merci. Morad, et Henet Ward ? Quel était le budget ?

La traductrice de Morad Mostafa : Le film est autofinancé, pour ne parler que de l’argent. Parce qu’en fait, nous avons ici une façon de faire des films autrement que par le biais de fonds d’aide ou de sociétés de production. Morad voulait faire le film dès qu’il le pourrait. Nous l’avons donc autofinancé. Mais pour les accessoires, les costumes et tout le reste, ce sont les membres de l’équipe qui ont contribué. Ainsi que sa propre maison et la mienne. Tout le monde a fait quelque chose pour que le film se fasse. Il a donc été réalisé avec un très, très petit budget. Environ 2 000 €. Il ne s’agit là que de l’argent réellement versé, tout le reste est contribution. Il ne voulait pas attendre un an ou deux pour en trouver le financement. Il faut bien sûr adapter dès le départ le choix du sujet et la manière de le tourner. Il voudrait faire au moins un ou deux films par an : pas le temps d’attendre ! Il a réduit le coût en limitant l’équipe au minimum possible. Il a décidé de n’avoir que les personnes essentielles ayant un emploi réel sur le tournage. Cela rend les choses plus simples, moins chères, plus faciles et, eh bien, nous avons un film !

Karabo Lediga : Je pense qu’en euros, le budget est de l’ordre de 15 000 €. Je dois mentionner que j’avais un ami qui travaillait dans la finance : il s’est intéressé à mon travail et a voulu financer mon court métrage comme une carte de visite. J’aimerais donc le remercier, même s’il n’aime pas être mentionné par son nom. J’ai donc eu beaucoup de chance d’avoir accès à cet argent. Mais je dois dire, comme l’a dit Anthony, qu’une grande partie du coût du film provient de la charité de personnes vraiment talentueuses et de personnes vraiment gentilles. Mon directeur de la photographie est venu avec une équipe incroyable, qu’il a dû convaincre de venir travailler juste entre Noël et le Nouvel An parce que c’est à ce moment-là que les enfants, les acteurs, étaient disponibles. Sans oublier ma famille : j’ai tourné dans ma ville natale, dans le quartier où j’ai grandi, et ma mère a grandi, parce que je voulais que l’authenticité de l’histoire vienne de l’endroit où elle se déroulait. Une grande partie de la communauté m’a donné accès à de nombreux lieux, à des photocopieuses et à l’internet. Donc je ne saurai jamais vraiment combien le film a coûté, mais il a coûté beaucoup plus que les 15 000 €. Merci à tous ceux qui ont rendu cela possible !

Casting d’enfants

Claire Diao : Un point commun entre vos trois courts métrages (What Did You Dream ?, Da Yie, et Henet Ward) est un casting d’enfants. Pouvez-vous nous dire comment et où vous avez fait appel à ces enfants, et s’ils étaient des professionnels ou non ?

Karabo Lediga : J’ai eu un peu de mal pour le casting parce que je voulais des enfants ayant une certaine expérience du métier d’acteur, ou du moins qui avaient été exposés au métier, et qui de plus pouvaient parler l’anglais et une langue africaine, en particulier le tswana, qui est la langue dans laquelle se déroule le film, et que j’ai appris à parler en grandissant. C’est très difficile parce que plus nous avons accès à l’éducation et au monde, moins nous parlons nos langues locales. Mon casting allait donc être difficile parce que les enfants ne sont plus multilingues. Soit vous êtes bien placé et vous ne parlez que l’anglais, soit vous n’avez pas accès au monde et vous ne parlez pas du tout l’anglais. Mon frère avait fait un film qui s’appelait Matwetwe, pour lequel cela s’était plutôt bien passé. Nous l’avons tourné en huit jours en utilisant la même méthode. Il était allé au Théâtre national de la capitale, Pretoria, pour trouver des acteurs du cru. J’ai donc utilisé le même procédé avec le théâtre pour enfants. J’ai pris deux groupes d’enfants dont je pensais qu’ils pouvaient parler la langue, mais qui n’avaient pas la même expérience de l’art dramatique. Celui qui avait le plus d’expérience suivait les cours du théâtre depuis deux ans, mais n’avait jamais été filmé. J’ai donc travaillé avec les deux groupes et j’ai fini par choisir trois acteurs parmi les deux groupes. Ils n’avaient donc en général aucune expérience, mais nous avons travaillé très dur pour arriver au point où nous pourrions tourner le film en quatre jours.

Claire Diao : Morad ? Avec un film qui traite aussi des spécificités de certaines communautés par rapport à d’autres, comment avez-vous choisi l’enfant ?

La traductrice de Morad Mostafa : Il voulait faire un film sur un événement très spécial pour les femmes, à travers une petite fille soudanaise de sept ans. C’est un très jeune âge pour être à la fois une fille, une Soudanaise, vivre en Égypte et parler l’arabe ! Il fallait aussi qu’elle ressemble à sa mère et fasse le travail. Le casting n’était donc pas facile ! La mère travaillait comme peintre au henné, le travail d’Halima avant qu’elle ne joue pour le film. Lorsque nous avons trouvé Halima, elle avait une sœur à peu près du même âge, peut-être un peu plus âgée. Sa sœur est venue au casting et nous avons travaillé avec elle pendant un certain temps. Elle s’intéressait beaucoup à ce que nous faisions, contrairement à Halima !

 

 

Claire Diao : Et Anthony, comment avez-vous choisi les enfants ?

Anthony Nti : Quand nous écrivons des personnages, Chingiz et moi, nous nous accordons aisément sur les caractères à trouver et en faisons la liste, sans que cela soit non plus une obligation. Mon neveu connaissait une école primaire. J’y suis allé et nous avons discuté, avec la liste des caractères. Ils s’appelaient à l’origine Kwaku et Kofi, les noms des deux personnages. J’ai donné les caractéristiques à l’un des professeurs de l’école qui était aussi l’entraîneur des enfants. Dès la première audition, la première personne qui est arrivée était cette fille, qui s’appelait Matilda. Le professeur a dit qu’elle était enthousiaste, savait faire du rap, était une grande joueuse de football, et qu’elle était vive. Matilda est entrée et nous l’avons regardée en disant : « Ok, je crois que c’est ça ». La première. Et puis le troisième, c’était Prince. Il est arrivé, et voilà. Pour le casting, j’ai trouvé les enfants le premier jour de casting !

Claire Diao : Vous avez eu de la chance !

Anthony Nti : Oui, ça m’a semblé juste. Nous avons beaucoup répété parce que ce ne sont pas des professionnels. On a juste traîné ensemble. Nous sommes allés dans tous les lieux où nous allions tourner et ils connaissaient les lieux, où j’ai grandi. Donc c’était juste un voyage de loisirs, jusqu’au tournage.

Quel est votre meilleur ou pire souvenir de votre tournage ?

Anthony Nti : Prenons le pire. Da Yie commence avec un poulet. Nous avons écrit cette scène et mon film précédent, Kwaku, s’est terminé avec un poulet. Je voulais faire des choses plus folles avec le poulet, mais je ne savais pas comment. Nous avons donc laissé cette scène pour le dernier jour de tournage. J’ai regardé comment le poulet se déplace pour comprendre comment nous allions tourner. Donc, le dernier jour de tournage, nous avons commencé à tourner avec le poulet. Les 30 premières minutes se passaient bien, et puis il nous a échappé. Il nous a fallu presque deux heures pour l’attraper, c’était fou. Et le soleil se couchait, et c’était le dernier jour de tournage. Et puis il y avait cette dame, une couturière, qui nous a vus nous démener pour essayer d’attraper ce poulet. Elle est allée l’attraper. Elle a mis exactement cinq minutes et nous a dit : « Voilà. Prenez votre poulet et sortez d’ici. » Après ça, j’ai voulu qu’elle soit notre consultante en matière de poulets. Mais c’était le pire des souvenirs, courir après un poulet pendant deux heures pour essayer de finir le tournage !

Claire Diao : Karabo, quel a été votre pire souvenir sur votre tournage ?

Karabo Lediga : C’est de toujours perdre le soleil. Nous tournions en mode anamorphique. Cet objectif permet de saisir de magnifiques éruptions, et je voulais que la séquence de rêve ait cette sensation magique. Et nous tournions avec le Ronin, (caméra suspendue monitorée à distance que le caméraman ne fait que mouvoir sur le plateau), qui appartient à mon frère et à sa société. Ils ont acheté du matériel très abîmé, et il se casse toujours un peu. Si bien que le soleil se couchait et que nous n’avions pas le plan que je voulais. J’ai vraiment couru mais les nuages cachaient le soleil. C’était le dernier jour de tournage. Et puis, comme par magie, le soleil est apparu tandis que les nuages s’éloignaient, et nous avons eu ce moment magique avec ses éruptions. Cela a dû durer dix secondes, puis le soleil s’est éteint. C’était vraiment cool !

Et un bon moment ? J’ai écrit de longues scènes parce que je voulais pousser les acteurs, et je voulais me pousser moi-même. Au cinéma, dans le cinéma occidental, on dit que les scènes ne doivent pas être trop longues, ne pas être trop parlantes. Mais dans mon éducation et ma culture, on parle beaucoup. Qu’il s’agisse de la mort ou des mariages, ce sont de longues conversations. Je voulais jouer avec cela, mais les trois enfants n’avaient jamais joué au cinéma. Il fallait tourner la scène où ils piétinent les couvertures. Nous lavons en effet nos couvertures dans de petites baignoires en métal où l’on piétine et piétine. C’est le moment des ragots, pendant qu’on fait sortir la saleté de ces couvertures. J’étais très nerveuse. La scène était trop longue. Ce sont des enfants, ils ne peuvent pas rester longtemps sur le plateau. Quand on a dit action, ils ont dit le dialogue mot à mot. C’était magique. Pas beaucoup de mauvais moments donc, mais le soleil vous en donnera, même si vous n’en avez pas !

La traductrice de Morad Mostafa : Morad n’a pas de mauvais souvenirs. Désolé, les gars. Il s’était engagé à faire tout le film en un jour, et il l’a fait grâce à son expérience d’assistant-réalisateur. À la fin de la journée, le directeur de la photo était si fatigué qu’il ne pouvait plus tenir la caméra. Morad a tourné certaines prises de vue lui-même. Il a fait un film de 23 minutes en une journée. Nous avions beaucoup répété et les acteurs et les actrices ont été très bons. Ils lui ont rendu la tâche plus facile. Ils improvisaient sur le plateau, ils étaient comme, « Nous faisons partie de cet endroit.Il ne leur a pas donné beaucoup d’indications parce qu’ils étaient vraiment bons et faisaient équipe. Il se contentait donc de prendre les photos et de modifier quelques détails.

Quels genres et quelles histoires aimez-vous travailler ?

Claire Diao : Nous avons quelques questions de la part du public. Par exemple : En tant que cinéastes, quels genres et quelles histoires aimez-vous travailler ?

Anthony Nti : Je voulais d’abord dire deux choses. Alors, Morad, vous avez tourné tout le film en un jour ? C’est dingue ! Et Karabo, quand tu étais ici à Clermont et que j’ai vu le film, nous avons parlé de la scène avec le piétinement. Aujourd’hui encore, la scène me colle à la peau. Et que les enfants aient fait ça comme ça, c’est incroyable. J’apprends de nouvelles choses, c’est vraiment bien. Pour moi, je peux regarder à peu près tout, mais les films qui m’ont ému ou touché sont des films qui ont visuellement une voix et une nuance dans leur sujet. Ils parlaient donc de la société, mais ce n’était pas tout à fait évident. C’était des rencontres de divertissement qui essayaient de dire quelque chose sur la société, mais dans une très belle forme d’art. Des films comme Do the Right Thing, Touki Bouki, et Killer of Sheep. Ce sont des films qui ont un style visuel intéressant, mais le récit dit quelque chose sur la société. Ce n’est pas tout en noir et blanc, c’est gris, c’est drôle. C’est juste une tranche de vie, mais pas la réalité parce que c’est un film. J’aime quand il y a un petit quelque chose en plus, j’aime ça.

 

 

Karabo Lediga : Je suis d’accord avec Anthony, je pense que le court est difficile. Il met en lumière de très petits moments dans la vie et dans le monde. Cela peut être n’importe quelle partie de la société, n’importe quel pays, mais cela peut être l’horreur de quelqu’un qui ne peut pas dormir. Dans une riche banlieue d’Afrique du Sud ou dans les ghettos de Joburg. Mais la nuance, la subtilité et les petits moments comptent beaucoup pour moi. Ils sont tellement parlants quand on raconte une histoire. Peut-être que ce serait : « un jour dans la vie de ».

Que représente Clermont-Ferrand pour vous ?

Anthony Nti : Clermont représente beaucoup pour moi. Dans le sens où Clermont a été le tout premier festival du film auquel j’ai participé. C’était avec Kwaku. J’étais plus jeune, je venais de commencer l’école de cinéma, je ne comprenais pas ce qu’un festival signifiait. Je suis venu ici et j’ai vu des bancs remplis de gens qui venaient voir ce petit film, et en parler. J’ai vraiment eu des échanges avec les gens et le public. Certaines personnes vous demandent : « Alors, que s’est-il passé à la fin ? Clermont m’a fait ressentir ce que je fais, la narration, et le fait d’essayer de toucher les gens du monde entier, ça marche. C’est un endroit où vous pouvez le tester. Et puis, bien sûr, le fait que Da Yie gagne le Grand Prix, c’est tout simplement fou. Maintenant, je suis avec le jury. Je sens que je peux être avec Clermont pour toujours, cela m’a influencé en tant que cinéaste.

Claire Diao : Vous êtes donc un membre de la famille ?

Anthony Nti : Oui, j’ai l’impression d’être un membre de la famille.

Karabo Lediga : Pour moi, j’ai travaillé si longtemps à la télévision, alors en me lançant dans le cinéma avec la première de mon premier court métrage à Clermont, je suis tombé amoureuse du court métrage ! Je n’aurais pas pu l’imaginer, même en rêve. Même ce que j’avais vu sur Google ne me permettait pas d’imaginer cet écran géant montrant ce que j’avais fait avec les gens de mon pays, et des gens qui ont du respect et de l’amour pour le cinéma. Je pense que cela vous donne de l’énergie et des émotions, l’esprit pour continuer à faire des histoires pour le monde d’où vous venez. Je ne manquerai jamais de parler haut et fort de ce festival. La forme courte n’est pas considérée de cette façon dans le monde entier. Dans beaucoup de festivals de cinéma, le long métrage est privilégié.

Claire Diao : Morad, vous n’avez pas encore répondu à la question sur les histoires et les genres sur lesquels vous aimez travailler.

La traductrice de Morad Mostafa : Eh bien, il est d’accord avec Anthony et Karabo : il est difficile de décider d’un genre pour un film. Il commence par se concentrer sur un personnage, et ce personnage doit faire un voyage. Que ce soit sur une route ou dans une maison, il doit se déplacer d’un point à un autre. Il entre dans le film avec quelque chose et en sort avec une autre chose, une autre conclusion et une différence dans son personnage. De plus, les multi-intrigues sont, pour lui, quelque chose de très intéressant. C’est aussi quelque chose qui va avec le type de films qu’il aime regarder. Prendre les personnages que vous avez et montrer la tension subtile qui existe entre eux. Ce n’est pas toujours pour normaliser quelque chose entre eux. Il est toujours intéressé par des films où les choses explosent entre les personnages, et c’est un tournant dans leur vie. D’une manière très subtile, sans pointer du doigt quelque chose, il s’agit de ce qui se passe dans la société et qui a un impact sur eux.

Quel avenir pour le format court métrage avec la pandémie de COVID ?

Anthony Nti : Avec Karabo et Morad, nous sommes la génération des festivals en ligne ! C’est une nouvelle façon de voir les choses. Même si, bien sûr, la salle de cinéma devrait rester, espérons que cela revienne. Mais l’avantage d’être en ligne, c’est que même si vous ne pouvez pas être à tous les festivals tout le temps, maintenant le festival vient chez vous. C’est peut-être quelque chose que nous pourrons combiner à l’avenir. La vie, mais aussi avoir un peu de temps en ligne pour ceux qui ne peuvent peut-être pas se rendre au festival. C’est une époque intéressante.

La traductrice de Morad Mostafa : Tout d’abord, il ne croit pas que la pandémie ait eu un impact négatif sur les courts métrages, en tout cas pas autant que sur les longs métrages. La plupart des festivals ont annulé leurs sections de longs métrages, comme celui de Cannes, mais pas celles de courts métrages. Les festivals sont très importants.

 

Transcription de l’anglais par Madelyn Colvin, traduite par Saïd Naït-Kaci sous la supervision d’Olivier Barlet.

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