Cinéma du réel 2021 : pour une hospitalité manifeste

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Le festival Cinéma du réel (en ligne, 12-21 mars 2021) a proposé une programmation « Front(s) populaire(s) : à quoi servent les citoyens ? ». La soirée du 16 mars, intitulée « pour une hospitalité manifeste », groupait et mettait en débat des extraits ou films courts sur des gestes d’hospitalité envers les migrants.
La soirée était proposée par le PEROU (Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines) et Image de ville avec le concours de l’AARSE (Association des Auteurs et Réalisateurs du Sud-Est) en présence de l’enseignante et essayiste Marielle Macé, des cinéastes Muriel Cravatte, Jérémy Gravayat, Nicolas Klotz, Emmanuel Roy et Régis Sauder, du politologue Sébastien Thiéry et du critique Jean-Michel Frodon (PEROU) ainsi que de Luc Joulé (Image de ville, directeur artistique).

En 2020, Image de ville et le PEROU ont lancé un appel aux cinéastes visant à recueillir des films courts susceptibles de rendre compte de la puissance et de la portée de l’hospitalité que certains de nos contemporains offrent aux personnes migrantes aujourd’hui. Le premier objectif était d’avoir des images pour une procédure auprès de l’UNESCO pour inscrire l’acte d’hospitalité au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Il a cependant vite été clair que cela ouvrait à une collection de films « témoignant de ce qui se construit, s’invente, s’affirme, à la rencontre des personnes migrantes aujourd’hui en Europe », une « cinémathèque de l’hospitalité ».
Le PEROU cherche, indique Sébastien Thierry, « à reconnaître ce qui a de l’avenir et augmenter sa présence », un acte crucial pour les générations à venir car il s’agit de « réarmer nos possibilités d’actions ». Et dans l’immédiat, comme l’indique Luc Joulé, de « déconfiner les imaginaires » pour poser de nouveaux récits !
Le premier film présenté est de Sepideh Farsi : dans le camp autogéré de Pipka en Grèce, des femmes préparent à manger pour les sinistrés du camp voisin de Moria, qui a brûlé. Une d’elle, afghane ayant vécu en Iran, raconte son destin d’éternelle migrante. (5’56)

L’hospitalité : dans notre époque de précarité, il importe, souligne Marielle Macé, de « faire entendre ce mot et l’aider à faire partie de notre identité ». Dans le film de Sepideh Farsi, des réfugiés prennent soin d’autres réfugiés. « C’est la preuve d’un autre possible ». Plus que jamais, la responsabilité est de mise.
Isaki Lacuesta, cinéaste catalan (auquel le Centre Pompidou a consacré une rétrospective en 30 films en novembre 2018-janvier 2019 en correspondance avec le travail de la cinéaste japonaise Naomi Kawase) est le chef de file d’une nouvelle génération de cinéastes espagnols qui mêlent documentaire et fiction (La Légende du temps, Entre deux eaux, etc.). C’est le cas de ce film en forme de poème visuel et sonore où, fantomatiques et vivaces, les corps venus d’ailleurs sont présents dans l’espace et dans les ombres de notre quotidien. (5’54)

Quant au film d’Emmanuel Roy (1’59), il se déroule dans un atelier de théâtre à Beyrouth, animé par Evelise Mendes au théâtre Sham’s, sur l’apprentissage sans parole de la rencontre avec l’autre, et avec soi-même.

Le théâtre Sham’s de Beyrouth a été créé dans les années 70 pour permettre aux artistes libanais de rester au pays et donner voix aux différentes communautés. L’atelier en question rassemblait des Syriens et des Libanais sur des gestes d’hospitalité. Avec l’Association des Auteurs et Réalisateurs du Sud-Est, Emmanuel Roy entend s’engager à contrecarrer l’imaginaire de la peur. C’est un travail sur la durée, différent de l’approche médiatique, comme les « tribunes ouvertes à Noailles » (https://www.facebook.com/TribuneOuverteNoailles/) autour du drame du 5 novembre 2018 lorsque deux immeubles se sont effondrés en plein cœur de Marseille.

Nicolas Klotz a rappelé combien la réalisation avec Elisabeth Perceval de L’Héroïque lande en 2017 avait déplacé leur rapport au cinéma (que filmer ? comment ?), évoquant l’importance de projections dans des lieux nouveaux. Cela n’alla pas sans entraîner une réaction (bienvenue) de Jean-Michel Frodon pour qui une telle recherche ne disqualifie pas le cinéma pour autant.
Pour Jérémy Gravayat, « le cinéma doit être inquiet de ce qui se passe ». Il a parlé de son travail avec des citoyens qui réquisitionnent des logements pour accueillir des familles roumaines ou roms. Le festival montrait son film A lua platz, (https://www.cinemadureel.org/film/a-lua-platz/) qui documente ce combat.
Dans Le Match, Régis Sauder filme deux adolescents, un Noir et un Blanc, qui regardent et commentent ensemble un match de foot sur un écran du téléphone portable. (3’49)

Régis Sauder a en fait filmé son fils de 12 ans et un jeune de 20 ans qui habite avec eux. « Le cinéma est tellement compliqué, dit-il, qu’il faut revenir au geste premier du cinéma ».
Occitane Lacurie, elle, recompose sur un écran d’ordinateur des archives d’un lieu d’hospitalité aujourd’hui disparu, le City Plaza d’Athènes. (4’45)

Le City Plaza, un hôtel de sept étages dans le centre d’Athènes, était resté sept ans inoccupé avant d’être investi en 2016 par 400 migrants et leurs 180 enfants, qui le géraient de façon autonome. Il a été fermé en 2019 par le gouvernement grec actuel.

Dans La Villa (fiction, 2017), les personnages de Robert Guediguian recueillent deux enfants trouvés dans les bois. C’est magnifique d’humour et d’humanité. (extrait de 3’14)

Quant à Muriel Cravatte, elle a réalisé en 2020 un documentaire, Demain est si loin, sur les membres de collectifs d’accueil aux migrants de Briançon qui, au cours d’une fête en montagne, témoignent des engagements et des difficultés de l’hospitalité. (extrait de 4’40)

La répression s’étant organisée sur la route Vintimille-Nice, les migrants ont cherché plus au Nord une voie de passage de la montagne, par le col de Montgenèvre (1850 m). C’est froid et dangereux en hiver. Les habitants sont sidérés par les traques et chasses à l’homme exercées par les forces policières, lesquelles reconduisent les migrants à la frontière mais ceux-ci finissent par passer. « Il n’y a de murs qu’on outrepasse », écrivaient Glissant et Chamoiseau. En territoire français, les citoyens solidaires sont des aidants et non des passeurs. Les migrants devraient pouvoir faire valoir leur droit de demander l’asile. Les filmer « opère un va-et-vient entre l’individuel et le collectif, le fragment et le global », dit Muriel Cravatte. Elle a filmé mais ne savait si elle en ferait un film, et « le film est advenu ».
« Comment réaliser ces images ferments ? », s’interrogeait finalement Sébastien Thierry. Le documentaire n’est-il pas là pour prendre la mesure de ces gestes ? « C’est un droit au bonheur », s’écria Marielle Macé. Il est là pour protéger notre amour de la vie. Il s’agit « d’occuper notre place », lança Luc Joulé : sortir de l’assignation pour rendre compte de l’invention d’espaces d’hospitalité et réaliser des « fictions d’espérance ».
L’appel à films lancé par Image de ville et le PEROU est encore valable, et reste ouvert, comme l’a indiqué Jean-Michel Frodon, à reformulation (cf. la chaîne youtube Image de ville).

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