Où est passé le Kourouma d’antan ?

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Comparé à ses précédents textes, Les Soleils des indépendances (1968), Monné, Outrages et défis (1990), En attendant le vote des bêtes sauvages (1998), le dernier roman d’Ahmadou Kourouma apparaît comme un livre de rupture. Rupture au niveau du ton et par là-même du genre. Alors que les trois premiers romans étaient soutenus par un souffle épique, Allah n’est pas obligé est plus prosaïque. En quelque sorte un docu-roman, tant sa problématique colle à l’actualité : les enfants-soldats des guerres civiles. Il relate l’histoire de Biramana (le narrateur), orphelin ivoirien, qui part à la recherche de sa tante résidant en Sierra-Leone et se fait enrôler dans l’une des nombreuses milices du pays. A ses côtés, évolue Yacouba alias Tiécoura le Grigriman, multiplicateur de billets. Pourchassé par la police ivoirienne pour association avec des malfaiteurs, Yacouba s’est enfui en Sierra–Leone pour y refaire fortune en pleine guerre.
On le voit, tous les ingrédients du récit picaresque sont réunis. Mais à l’arrivée, force est de constater que Kourouma ne nous convainc guère. Car c’est plutôt à un traité sur l’histoire politique de la Sierra-Leone que l’on assiste, avec des exposés sur les itinéraires des différents protagonistes de ce conflit : Samuel Doe, Taylor, le Prince Johnson, Foday Sankoh, Ahmed Tejan Kabbah. La narration linéaire du récit fait davantage penser à un reportage journalistique qu’à un roman. Alors qu’il avait réussi à enchanter le lecteur dans Monné, outrages et défis en alternant plusieurs voix narratives, et qu’il était très convaincant dans En attendant le vote des bêtes sauvages par son jeu de miroir entre le griot narrateur et son répondeur, ce dernier livre déçoit. Pourtant, si le roman frise le reportage, il conserve une fraîcheur verbale et un goût de l’insolence propres à Kourouma qui ne laissent de fasciner.
Ce faisant, comme Emmanuel Dongala dans Les Petits garçons aussi naissent des étoiles (1998), ou Tierno Monemembo dans L’Aîné des orphelins, il aborde de front la problématique des enfants de la rue devenus enfants-soldats, cette plaie de l’Afrique post-coloniale. Il a le mérite de nous rappeler, comme il a su le faire depuis les Soleils des Indépendances que nous, Africains, sommes pour l’essentiel responsables de nos malheurs. Et qu’il serait trop facile de les attribuer à Allah ou même à l’Autre.

Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Le Seuil, Paris, 2000.///Article N° : 1514

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