Imaginaires coloniaux dans le cinéma portugais

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Dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022, Le festival L’Europe autour de l’Europe, propose du 19 au 30 mars 2022 une programmation exceptionnelle autour des IMAGINAIRES COLONIAUX forgés par le cinéma portugais. Vingt films qui depuis un siècle ont mis en scène et en images la longue histoire de “l’Empire” : les Découvertes, l’expansion coloniale, l’exploitation et la domination salazaristes et enfin la guerre contre les indépendantistes (1961-74). Une magnifique occasion de combler notre méconnaissance de ce pan de l’Histoire africaine !

Fantômes d’un Empire (2020) d’Ariel de Bigault

Impressionnante et passionnante somme, le long-métrage Fantômes d’un Empire (2020) d’Ariel de Bigault constitue la pièce maîtresse de cette riche programmation, qu’elle a également concoctée : l’auteure et réalisatrice y cite la plupart des films coloniaux ou anticoloniaux, et les rares réalisés après les Indépendances des pays lusophones qu’avait rendu possible la Révolution des œillets de 1974 contre le régime fasciste de Salazar. Se succéderont ainsi sept cinéastes de générations différentes : Margarida Cardoso, Pedro Costa, Miguel Gomes, João Botelho, Fernando Matos Silva, Ivo Ferreira et Hugo Vieira da Silva. Ils partent à la découverte de la mémoire de l’Empire, constitutif de l’identité portugaise.

Actes de la Guinée-Bissau (Actos dos Feitos da Guiné 1980) de Fernando Matos Silva,

Après une des scènes énigmatiques du magistral Tabu de Miguel Gomes qui émaillent le film, c’est avec Actes de la Guinée-Bissau (Actos dos Feitos da Guiné 1980) qu’Ariel de Bigault le débute pour évoquer, comme l’indique son réalisateur Fernando Matos Silva, « l’écrasement d’une culture » par l’association des missions d’évangélisation et de civilisation. Il introduit l’étonnant film de Manoel de Oliveira, NON ou la Vaine gloire de commander (NON ou a Vã Gloria de Mandar, 1990) que João Botelho décrit comme un film de défaites. Il puise dans Camões l’imaginaire d’une île où les désirs sexuels sont satisfaits et où le kitsch suggère une civilisation qui masque l’occupation et l’exploitation.

Un avant-poste du progrès (Posto Avançado do Progresso, 2016), d’Hugo Vieira da Silva

João Botelho a quant à lui réalisé Peregrinação (2017), « un grand livre de voyage » qui adapte l’épopée singulière de Fernão Mendes Pinto où le châtiment punit les conquérants voleurs et violeurs et qui fût mis de côté durant les 48 ans de fascisme. Voilà qui résonne avec la sortie du manichéisme que propose le passionnant Un avant-poste du progrès (Posto Avançado do Progresso, 2016), adapté du nouvelle éponyme de Joseph Conrad par Hugo Vieira da Silva (cf. critique n°14085), régulièrement évoqué. Burlesque, évitant toute psychologie, il installe un trouble sur la supériorité civilisatrice des deux craintifs du comptoir commercial portugais bordant le fleuve Congo. Loin de tout cliché, un échange entre Blancs et Noirs s’installe dans la découverte réciproque, même si chacun reste dans sa vision de l’autre.

C’est l’idée que reprend José Manuel Costa, directeur de la Cinémathèque portugaise : le cinéma colonial propose même inconsciemment la confrontation de deux regards, dominateur et dominé, ce dernier étant présent à l’écran même s’il ne peut parler. Cette présence noire, c’est le hors-champ des films de propagande coloniale sur « les joyeuses tropiques » comme ceux des réalisateurs français sous contrat Jean Leduc et JeanNoël PascalAngot.

Laissez-moi au moins grimper aux palmiers (Deixem-me ao Menos Subir às Palmeiras, 1973), de Joaquim Lopes Barbosa.

Lorsque les réalisateurs portugais ont voulu montrer la vraie réalité des colonisés, comme Manuel Faria de Almeida dans Catembe (1965), un documentaire fictionnel tourné au Mozambique, ils ont été censurés. Le ministère impose 103 coupes et en veut d’autres, jusqu’à un refus du réalisateur. C’est donc à l’insu des autorités que Joaquim Lopes Barbosa tourne son projet radical sur le travail des Noirs dans les colonies, Laissez-moi au moins grimper aux palmiers (Deixem-me ao Menos Subir às Palmeiras, 1973. Il sera cependant interdit par la censure.

Le Rivage des murmures (A Costa dos Murmúrios, 2004), de Margarida Cardoso

La réalité coloniale, c’est le racisme et l’apartheid, l’exclusion des Noirs. Avec Le Rivage des murmures (A Costa dos Murmúrios, 2004), Margarida Cardoso avec une grande sensibilité revient sur les silences qui entouraient son enfance au Mozambique où tout n’était que faux-semblants, désespérance et chimères (cf. critique n°4404). Les femmes y vivent en huis-clos et les hommes leur reportent dessus leurs histoires de guerre, à la fois acteurs et victimes de cette violence sans nom. Dans son documentaire lui aussi très personnel Natal 71 (2000), elle mêlait avec une grande finesse documents d’époques et souvenirs, voix personnelle et voix des autres, débutant par une citation d’Antonio Lobo Antunes : « Nous sommes des poissons en équilibre entre deux eaux, à la recherche d’un impossible compromis entre la révolte et la résignation ». (cf. critique 2452) Et dans le non moins sensible Yvone Kane (2014), autre fiction de Margarida Cardoso, c’est dans un territoire marqué par les cicatrices de l’histoire et hanté par les fantômes de la guerre où elle a vécu son enfance, que retourne Rita pour enquêter sur un mystère du passé : la vérité sur la mort d’Yvone Kane, ancienne guérillero et militante politique.

Lettres de la guerre (Cartas da Guerra, 2016), d’ Ivo Ferreira

A partir des Lettres de la guerre de Lobo Antunes (Cartas da Guerra, 2016), Ivo Ferreira met en scène une femme qui imagine la guerre coloniale à partir des lettres qu’elle reçoit. Comme le rappelle Fernando Matos Silva dans Actes de la Guinée-Bissau (1980), la plupart des soldats portugais ignoraient ce qu’était une guerre de libération et ne comprenaient donc pas ce qui se passait. Après le 25 avril 1974, « la guerre coloniale a été jetée à la poubelle du fascisme et personne ne voulait plus en parler ». C’est contre ce verrou que s’élève Ivo Ferreira en montrant le poids de la violence en chacun. Comme dans Yvone Kane, il faut voir le passé dans le présent et le présent dans le passé.

C’est tout à fait l’objectif de Fantômes d’un Empire mais aussi de toute cette programmation pour démasquer les mythes qui tentent de cacher l’exploitation coloniale et qui continuent de peupler les mémoires. Et bien sûr tout l’intérêt de cet événement à ne pas rater.

 

PROGRAMME

Les projections seront suivies de débats avec les réalisateurs Ivo FerreiraAriel de Bigault, le directeur de la Cinemateca Portuguesa – Museu do Cinema, José Manuel Costa, ainsi que Annouchka de Andrade, directrice artistique, Vasco Martins, de l’association Memória Viva, de Denis Leduc, fils du réalisateur Jean Leduc et de Raquel Schefer, chercheuse, cinéaste et enseignante à l’Université Sorbonne Nouvelle.

19 mars, 14h – Fondation Jérôme Seydoux-Pathé – Ouverture
en présence de José Manuel Costa, directeur de la Cinemateca Portuguesa – Museu do Cinema
Les premiers films muets
Macau – Cidade Progressiva e Monumental (Macao), Manuel Antunes Amor, 1923.
Angola – Exposição Provincial, Agrícola, Pecuária e Industrial (Angola – exposition provinciale, agricole et industrielle), auteur inconnu, 1923.
São Tomé Agricola e industrial (São Tomé agricole et industrielle), Augusto Seara, 1929
Festejos em Lourenço Marques pela passagem dos territórios do Niassa para a posse do Estado (Fête à Lourenço Marques), Fernandes Tomaz, 1929.
Guiné – Aspectos Industriais e Agricolas (Guinée-Bissau – Aspects Industriels et Agricoles), Augusto Seara, 1929.
Acção Colonizadora dos Portugueses (Action Colonisatrice des Portugais), António Antunes da Mata, 1929.
Guiné, Aldeia Indígena em Lisboa (Guinée, Village Indigène à Lisbonne), Agência Geral das Colônias, 1931.

Macau, Joia do Oriente (Macao, joyau oriental), Miguel Spiguel, 1956

19 mars 18h – Le Saint-André-des-Arts
Propagandes Coloniales 1 (1940-1956)
Gentes que Nós Civilizámos (Les peuples que nous avons civilisés), António Lopes Ribeiro, 1944.
Guiné, Berço do Império 1446-1946 (Guinée-Bissau, Berceau de l’Empire 1446-1946), António Lopes Ribeiro, 1946.
Beira, Felipe de Solms, 1950.
Macau, Joia do Oriente (Macao, joyau oriental), Miguel Spiguel, 1956.

20 mars 15h – Le Saint-André-des-Arts
en présence de la réalisatrice Ariel de Bigault
Fantômes d’un Empire / Fantasmas do Império, Ariel de Bigault, 2020.

21 mars 19h – Le Saint-André-des-Arts
en présence d’Annouchka de Andrade, directrice artistique,
Un avant-poste du progrès / Posto Avançado do Progresso, Hugo Vieira da Silva, 2016.

22 mars 19h – Le Saint-André-des-Arts
en présence de Vasco Martins, de l’association Memória Viva
Acto dos Feitos da Guiné (Actes de la Guinée-Bissau), Fernando Matos Silva, 1980.

23 mars 19h – Le Saint-André-des-Arts
en présence du réalisateur Ivo Ferreira
Angola, Decisão de Continuar (Angola, Décidés à rester), Vasco Hogan Teves, 1962.
Lettres de la guerre / Cartas da Guerra, Ivo Ferreira, 2016.

24 mars 16h – La Maison du Portugal
en présence de Denis Leduc, fils du réalisateur Jean Leduc
Propagandes Coloniales 2 (1971-73)
Beira, Porta Turistica de Moçambique (Beira Porte Touristique du Mozambique), Miguel Spiguel, 1973.
Le Portugal d’Outre-Mer dans le monde d’aujourd’hui, Jean Leduc, 1971.

24 mars 19h – Le Saint-André-des-Arts
Deixem Me au Menos Subir às Palmeiras (Laissez-moi au moins grimper aux palmiers), Joaquim Lopes Barbosa, 1973.

25 mars 19h – Le Saint-André-des-Arts
en présence de Raquel Schefer, chercheuse, cinéaste et enseignante à l’Université Sorbonne Nouvelle
Le Rivage des murmures / A Costa dos Murmúrios, Margarida Cardoso, 2004.

30 mars 19h30 – La Filmothèque du Quartier Latin
NON ou la Vaine Gloire de commander / NON ou a Va Gloria de Mandar, Manoel de Oliveira, 1990

 

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