Les Harkis, de Philippe Faucon

Lorsque les corps parlent

Print Friendly, PDF & Email

Si la guerre d’Algérie a largement été abordée au cinéma, la question des Harkis ne l’est que très peu. L’initiative de Philippe Faucon est à saluer, d’autant que comme toujours, il marque par la justesse de son traitement et la pertinence de son propos. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, le film sort le 12 octobre 2022 sur les écrans français.

Ce pourrait être un deuxième volet à La Trahison qui abordait déjà la question des « supplétifs » algériens dans l’armée française. C’est au Maroc dans la région d’Oujda, où est né Philippe Faucon, qu’il a tourné Les Harkis à l’automne 2021 avec des comédiens algériens. Il voulait revenir sur cette guerre d’Algérie qui l’obsède, ses parents en ayant été très marqués, son père étant militaire. Le scénario s’appuie sur le récit de Robert Lucas, Harkis, mes frères de combat, mais s’est élargi durant les séances d’écriture avec Yasmina Nini-Faucon et Samir Benyala. Les dialogues semblent au cordeau mais en fait, Philippe Faucon donne peu d’indications à ses comédiens, préférant faire appel à leur créativité et leur sensibilité. S’il préfère les plans fixes, larges ou gros plans, c’est pour faciliter le montage. Ils confèrent cependant au film une impressionnante retenue, renforcée par l’absence de musique (hormis celle d’Amine Bouhafa en début de film, qui pose le décor et annonce le tempo du film). Ni surcharge, ni pathos. Même les combats sont filmés en plans fixes, évitant toute dérive spectaculaire. Le temps de tournage limité impose en outre une concision qui donne au film une remarquable densité, sans effets ou émotion forcée. Elle vient aussi de la justesse du rapport des comédiens à leur personnage.

Copyright Pyramide Distribution

« Ils envoient nos hommes les premiers, parce qu’ils cherchent à épargner les leurs », dit la mère de Salah. Paysans réduits à s’engager pour faire vivre leur famille ou en réaction aux violences de certains éléments du F.L.N., remparts humains pour les Français de souche, les Harkis étaient mal formés et piégés par leur situation entre les deux camps. Quand il fut clair qu’ils étaient considérés comme trop nombreux à faire venir en France alors que s’engageait le rapatriement massif des Français, on chercha à les laisser sur place, sous couvert des illusoires promesses d’indulgence des accords d’Evian. La tête coupée d’un fils au début du film marque bien le risque qu’ils prenaient. 90 000 furent évacués, familles comprises, internés dans des camps jusqu’en 1976, mais ils furent selon les estimations 35 à 80 000 tués sur place en représailles après l’indépendance. C’est autour de cette crainte que s’articule le film, la radio rendant compte du retournement du Général de Gaulle et de l’avancée des négociations. La tension monte, la tragédie se prépare, et nous ressentons, malgré son absence de parti-pris explicite, la colère rentrée de Faucon devant l’injustice de leur traitement.

Si le récit s’articule entre quelques personnages, le lieutenant Pascal et certains des hommes de sa harka au destin singulier (Salah, Krimou et Kaddour), et que de multiples détails font que personne ne fait décor, le romanesque est mis de côté : c’est avant tout le groupe le sujet, un groupe silencieux et inquiet, chacun restant confronté à ses choix ou son destin. Tous sont piégés, le lieutenant Pascal compris, qui avait répercuté les promesses rassurantes de ses supérieurs. Il est clair que le film déplaira à ceux qui, des deux côté de la Méditerranée, ne veulent pas voir l’Histoire en face. Son refus du manichéisme et son choix de la complexité et d’en rendre compte de la façon la plus humaine possible fait cependant avancer la compréhension et la connaissance d’un conflit qui n’en finit pas de nourrir les rancoeurs.

Le film n’épargne personne : ni le FLN (assassinats), ni les Harkis eux-mêmes (violences vengeresses ou intéressées), ni surtout l’Etat français (mépris, tortures, ratissages et finalement abandon de nombre de Harkis à une mort probable). Faucon va à l’essentiel, avec l’épure comme méthode comme dans ses autres oeuvres. Il n’est dès lors pas étonnant que le film soit coproduit par les frères Dardenne : ce cinéma qui ne tourne pas autour du pot ne traite pas d’un sujet en soi mais se saisit d’un récit dans sa complexité et sans renier son contexte (indication des dates). La différence est qu’il n’est pas assujetti à un discours, qu’il est au contraire centré sur les fractures au sein de chaque groupe et montre combien chacun doit composer avec la place qu’il tient dans la constellation militaire et politique. Il n’y a là ni psychologie ni morale, seulement des hommes pris dans un engrenage et qui doivent se positionner sans trop savoir où ils mettent les pieds. C’est là que l’épure ouvre à l’émotion car Faucon saisit les expressions des visages, les gestes et les détails qui parlent davantage que les mots. Car ce cinéma des corps fait que l’oeil écoute.

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire