Aya, de Simon Coulibaly Gillard

Allégorie de la perte

Print Friendly, PDF & Email

Présenté en clôture de la sélection ACID au festival de Cannes de juillet 2021 (reporté en raison de la pandémie de covid 19), le premier long métrage du Belge Simon Coulibaly Gillard sort dans les salles françaises le 12 octobre 2022.

La bande de terre de Lahou entre fleuve, lagune et océan en Côte d’Ivoire dans la région des Grands-Ponts, est rongée par l’érosion côtière. Cela fait des années qu’on la considère comme perdue. Les derniers habitants déménagent sur le continent, les tombes du cimetière sont cassées pour que les corps soient déplacés, leurs objets soigneusement rangés… Simon Coulibaly Gillard avait déjà développé dans son moyen métrage Boli Bana sur les Peuhls du Burkina Faso un certain goût pour le fantasmatique. Il exploite avec Aya ce contexte de fin de monde pour suivre une jeune adolescente qui s’attache à sa terre et son mode de vie contre toute évidence. Elle vit avec sa mère, fume les poissons, s’occupe de son jeune frère et aime sortir avec un copain qui l’embrasse timidement dans les mangroves. Le soir, elle écoute la mer, approche le cimetière… L’approche quasi-documentaire du film est à la fois la limite et la force de ce passage à l’âge adulte, l’ancrage dans la réalité restreignant ses évocations tout en les rendant crédibles. C’est lorsqu’il se fait fictionnel, se basant sur l’hallucination des maisons qu’on déplace sur des pirogues à grand renfort de musique ou sur le travail des vagues et du vent contre ce qui reste encore de stable, que le film trouve sa dimension mythique.

« Pour revenir, il faut d’abord partir » : comment cette jeune femme déterminée va-t-elle devoir grandir et intégrer le nécessaire départ vers l’ailleurs ? L’épilogue se dispense de dialogues, entre nostalgie de l’origine et plongée dans les attraits de la modernité. Mais cette origine se dissout dans le grand délitement environnemental : à quelle mémoire va se raccrocher cette jeunesse sans même les traces des structures de son enfance ? Elles ne pourront être qu’imaginaires si l’art, notamment le cinéma, en conserve le souvenir. La réflexion d’Aya transcende donc la jeune adolescente pour penser le devenir de notre monde.

Cette recherche du mythe ne va cependant pas sans ambiguïté, le réalisateur centrant sa mise en scène sur le personnage d’Aya et notamment sa nuque, sa peau, son corps, lequel va évoluer drastiquement en fin de film. Entre la disparition de Lahou et la dérive du corps, il nous propose ainsi une allégorie de la perte de la pureté originelle. On sait les dangers des mythes de l’âge d’or qui n’a jamais existé, ni en Afrique, ni dans le monde.

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire