Un théâtre tunisien à construire

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Face à la désaffection du théâtre en Tunisie, une expérience originale : « L’Etoile du Nord », un espace théâtral et culturel privé dirigé par Noureddine El Ati, à qui notre correspondant à Tunis donne la parole.

« Etes-vous allé au théâtre récemment ? » Voilà une question que les amateurs de théâtre en Tunisie ne se posent presque plus. Une désaffection chronique des salles marque la réalité théâtrale et témoigne d’une rupture avérée avec le public. Le théâtre ne mobilise plus. Il perd son audience. Il dépérit. Ce secteur souffre, depuis un certain temps déjà, d’une production atrophiée, d’un mode de diffusion peu assuré et aléatoire et d’un système d’information et de promotion inefficace et insuffisant. Le manque de moyens constitue, certes, un facteur déterminant dans un domaine, largement tributaire, pour ne pas dire entièrement dépendant, de l’aide publique. La production théâtrale se trouve de fait alignée sur l’évolution des orientations, du rythme et des modalités d’attribution de soutiens financiers. L’incidence sur les choix et les options artistiques est dès lors évidente. Aussi, l’aide à la production et à la diffusion théâtrale est envisagée, le plus souvent, selon une conception intermittente de la vie culturelle. Elle correspond à des priorités conjoncturelles et orientées vers des événements cycliques et médiatiques, comme les festivals et les manifestations sectorielles, qui conditionnent la réalité artistique d’une façon générale.
Faute de continuité et de constance, l’activité théâtrale tarde à s’enraciner dans le paysage artistique et culturel tunisien et à se construire, à travers un cumul structuré d’expériences et d’acquis. L’alternance d’une production événementielle avec des longues périodes de repli n’est pas de nature, par ailleurs, à fidéliser le public et à consolider l’émergence d’une culture théâtrale. Un théâtre qui ne puise pas sa vitalité dans un échange permanent et réflexif avec le public perd l’une des sources qui alimentent sa légitimité et ses potentialités de création. Il s’étiole inévitablement.
Cependant il y a lieu d’espérer. Il subsiste l’engagement et la persévérance de certains professionnels qui oeuvrent pour un théâtre constructif et constitutif d’un projet culturel global. Leur conviction est que l’expression théâtrale ne peut s’épanouir que par le développement de la culture théâtrale à un large niveau. Le théâtre doit investir la cité et s’enraciner dans le quotidien culturel, pour évoluer au rythme des aspirations et des attentes du public.
A ce titre, certaines initiatives méritent d’être soulignées, comme l’ouverture récemment de « L’Etoile du Nord », un espace théâtral et culturel privé, comme on souhaiterait en avoir partout dans la capitale et ailleurs. En plus d’une activité théâtrale permanente, le cas est unique, le théâtre est associé, dans ce nouveau concept, à une dynamique pluriartistique. D’autres activités sont développées, en complémentarité avec les spectacles théâtraux, tel que la musique, la littérature et la poésie. Des rencontres et des débats sont aussi organisés, en marge des divers spectacles proposés. Parmi les autres aspects innovants, on note l’aménagement d’un espace-foyer, un cadre chaleureux et convivial, conçu comme un « café culturel » pour un accueil permanent du public. Cet espace ouvert, où se produisent des mini-concerts et autres activités, comporte un point d’information, une bibliothèque spécialisée dans le domaine théâtral et un service internet.
Noureddine El Ati, promoteur et gestionnaire de cet espace, est avant tout un homme de théâtre. son parcours est riche d’une expérience de plus de trente ans dans le domaine théâtral, dont vingt ans en Europe (France, Belgique). Comédien et metteur en scène, il crée en 1996 la compagnie « L’Etoile du nord ». Et après une activité qu’il qualifie de nomade, dans les MJC de la capitale, lance son projet de théâtre privé qu’il réalise, malgré les difficultés et les contraintes financières, en février 2000. Ce projet relève du défi, affirme-t-il, dans un contexte où les produits culturels ne sont jamais considérés comme une valeur sûre pour les investisseurs privés. Il faut une persévérance et une conviction inébranlables pour développer un partenariat et mobiliser les bonnes volontés.
« J’ai toujours pensé, indique Noureddine El Ati, contrairement à mes collègues, qui expliquent la désertion des spectacles théâtraux par l’hégémonie de la télévision, du cinéma, etc. que si les gens ne vont plus au théâtre, la faute appartient, en premier lieu, à nous autres, professionnels du théâtre, qui ne font pas assez pour les attirer… Il n’est pas normal que dans une ville comme Tunis qui compte près de deux millions d’habitants il n’y ait pas un seul théâtre public ou privé qui fonctionne en permanence. Que des jeunes compagnies soient obligées de louer la salle pour se produire ou que le principe de rentabilité prime dans la gestion des espaces théâtraux.
Quand on voit les salles de théâtre où rien n’est prévu pour l’accueil et l’information du public, qui ouvrent une demi-heure avant le spectacle et ferment aussitôt après, où il n’y a aucun espace pour s’informer, discuter, rencontrer les comédiens, ou prendre simplement un café et lire le journal, en attendant le spectacle, on ne s’étonne pas que les gens boudent ces lieux.
Il y a un public de théâtre en Tunisie, mais l’information et la promotion sont insuffisantes et mal organisées. Les gens ont besoin de connaître à l’avance les programmes pour s’organiser. Les médias ne suivent pas de manière efficace l’activité théâtrale et culturelle.
Les théâtres tunisiens ont une vocation généraliste et leur programmation est ouverte à tous les genres théâtraux. Je ne partage pas ce principe. Chaque lieu doit développer sa propre identité et une orientation spécifique. Il y a autant de publics que de genres théâtraux. Il faut qu’il y ait des repères clairs au niveau de la programmation et des espaces.
La production culturelle ne doit pas miser sur une rentabilité immédiate. C’est un projet qui doit être envisagé à long terme, comme l’éducation et la recherche. Quand les créateurs se mettent dans une perspective de gain rapide, ils ne prennent pas le temps de développer leur style et se mettent à imiter et à chercher des effets de mode. Nous avons, par exemple, Lamine Nehdi qui a réussi dans le genre one-man-show et tout le monde s’est précipité dans cette voie, mais sans succès.
Nous devons enrichir notre expérience en développant des contacts réguliers avec des créateurs africains et francophones. Il est possible de constituer un réseau de partenariat pour confronter nos expériences et nos connaissances, travailler sur des projets communs. Nous allons organiser en octobre prochain une rencontre d’auteurs africains pour travailler sur des textes et essayer d’aboutir à une création avec une mise en scène tuniso-africaine. Ce sont là des projets concrets que nous intégrons dans notre programme d’activités et qui peuvent donner une dimension enrichissante à notre travail ».

///Article N° : 1549

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Les images de l'article
réunion de travail © DR
cours de théâtre © DR





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