Goutte d’or, de Clément Cogitore

Surnaturel et croyance

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Présenté à la Semaine de la critique au dernier festival de Cannes, le dernier film de Clément Cogitore sort le 1er mars 2023 dans les salles françaises. Un chef d’oeuvre.

Dans les quartiers à forte population africaine de Paris, de petites publicités sont distribuées à la sortie du métro pour des magiciens et marabouts qui prétendent résoudre tous les problèmes. Ramsès est l’un d’eux, qui tient un cabinet de voyance à la Goutte d’or dans le 18e arrondissement, un quartier que Clément Cogitore connaît bien pour y avoir habité. Ramsès est un empathique escroc qui sait ce que les gens ont envie d’entendre, un habile manipulateur qui a trouvé le truc pour « deviner » les rêves et consoler les douleurs, sans pour autant passer par la religion, ce qui lui ouvre le « marché ». Son commerce est effectivement florissant, jusqu’à ce qu’une bande d’enfants venus des rues de Tanger ne le déséquilibre et le quartier avec lui.

Film noir autant que fantastique, Goutte d’or est fascinant à tous points de vue : de par la magie dont sait user Ramsès en étonnant médium (excellent Karim Leklou), mais aussi par l’ambiance délétère générée par l’intrusion des jeunes Marocains. Et comme dans tout ce que fait Cogitore (cinéma : Ni le ciel ni la terre, Braguino, photographie, installations d’art contemporain, mises en scène avec notamment Les Indes Galantes à l’Opéra de Paris, professeur aux Beaux-Arts), le surnaturel s’inscrit dans la fiction. Le mystère s’épaissit dans les nuits étranges et nébuleuses des clair-obscur filmés par Sylvain Verdet, car c’est encore et toujours l’exploration de la croyance qui l’intéresse.

Ramsès a de la prescience et cela lui joue des tours, alors même que son succès met ses concurrents en rage et que le film tourne au polar. On sent Cogitore passionné par les liens entre le réel et le mythe. C’est ce qu’il met en scène, pour nous égarer peu à peu, nous qui croyons si volontiers ce que le cinéaste nous raconte. Il en joue adroitement, entre l’ancrage de Ramsès dans l’énergie de ce quartier populaire et son trouble face à l’incertain. Il est la consolante voix des morts mais est lui-même confronté à l’irrationnel et à la mort. Et bascule…

« L’enfer est vide, ils sont tous ici », lâche son père (Ahmed Benaïssa, merveilleux acteur malheureusement disparu le 20 mai 2022). Car en filmant la tension et la beauté de la ville confinée entre vitalité et chantiers, Cogitore en dégage aussi l’instabilité. Il le fait de main de maître, si bien que Goutte d’or est un des films les plus dérangeants et donc marquants vus à Cannes en 2022.

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