entretien d’Alexandre Mensah avec Philippe Berthier

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Philippe Berthier, responsable de la maison de production et des studios d’enregistrement Mali K7, travaille avec la plupart des grands noms de la musique malienne moderne. Ali Farka Touré, la star du blues « made in Nyafunké », n’est autre que son associé. Mali K7 combat aux côtés des artistes les ravages du piratage généralisé (cf. Africultures 29 p.47) et a permis de révéler en Europe la musique des chasseurs du Mali.

Que représente la musique des chasseurs dans l’ensemble des activités de Mali K7?
Je ne suis pas un spécialiste de la musique des chasseurs mais il y a eu une période de ma vie durant laquelle j’ai fréquenté les fêtes de chasseurs. C’était avec un de mes amis de l’époque qui était le fondateur de l’ANACMA (Association Nationale des Chasseurs du Mali), Mamadou Diatigui Diarra. A l’époque, j’ai rencontré Sibiri Samaké qui en était à ses débuts, il y a plus de dix ans déjà. On avait convenu d’enregistrer avec lui une fête de chasseurs car on ne trouvait pas – et on ne trouve quasiment pas aujourd’hui – de cassettes enregistrées en public. C’est dommage parce la musique de chasseurs enregistrée en studio est une chose, mais c’est dans son élément naturel, pendant une fête avec l’ambiance et les gens, que ça rend réellement. Un ami à Radio France était venu de Paris avec des micros spéciaux pour l’extérieur. On a donc pu enregistrer l’album de Sibiri Samaké qui a donné quatre cassettes et qui est sorti en CD en Europe.
Quels sont les autres grands artistes chasseurs au Mali ?
Il y en a beaucoup. Un producteur malien qui s’appelle Siriman Diallo s’est spécialisé dans cette musique et ne fait que produire tous les grand chasseurs. Dans son magasin, on ne trouve que ça. Nous, on ne cherche pas à faire des interférences avec son travail. Il n’y en a qu’un avec lequel on ait fait quelque chose, c’est Bâla Guimba Diakité. On y a été encouragé par une dame qui travaillait pour une ONG et qui s’était intéressée à lui. Elle l’avait découvert chez lui, dans son village. A Mali K7, on pensait déjà à travailler dans l’esprit de conserver un patrimoine qui disparaît à la mort de personnalités traditionnelles. On constatait qu’il y avait peut-être quelques petites choses sur Bâla Guimba, quelque part dans les archives maliennes, mais qu’on manquait quand même d’éléments à la portée de tous. On s’est donc dit « pourquoi pas ? ». Avec une petite aide de la Coopération française, on a fait avec lui une histoire complète, ce qui correspond à trois heures d’enregistrement. Seule une demi-heure n’a pas été exploitée. On pensait réitérer avec Bâla Guimba, dans ce but de conservation. Hélas, maintenant il a vieilli et s’est arrêté de jouer. Il faut reconnaître qu’il a inspiré quantité de chanteurs maliens célèbres, comme Salif Keïta, Amy Koïta, Kandia Kouyaté, qui ont repris des textes de lui ou se sont inspirés de son œuvre.
Est-ce qu’au niveau de la musique et de la technique de chant, il y a quelque chose de remarquable ?
Disons qu’il a quand même une voix exceptionnelle. Et le personnage en lui-même est assez impressionnant. Il a vraiment une présence peu courante, une très forte personnalité.
Qu’en est-il des plus jeunes générations, de la relève ?
Je connais bien Sibiri Samaké qui, par rapport à Bâla Guimba, n’est encore qu’un « enfant » mais qui a déjà évolué. Il y a d’autres chasseurs que je connais par les cassettes ou que j’ai vus dans les fêtes de chasseurs, tels que Yoro Sidibé, Yaya Sangaré. Ce sont des gens qui ont aussi une certaine force de caractère et sont impressionnants. Maintenant je pense que le style de la musique des chasseurs est quelque chose qui reste. Sibiri peut utiliser quelque fois un ampli pour son donso ngòni, mais c’est exceptionnel. Le reste est tout à fait traditionnel, ce qui est une bonne chose d’ailleurs.
Quelle est la diffusion de la musique des chasseurs au Mali et à l’étranger ?
Je te disais tout à l’heure que le producteur au Mali, c’est Siriman Diallo. On sait qu’il y a beaucoup de cassettes pirates au Mali, énormément. Il y a des gens qui travaillent dans la légalité et d’autres qui travaillent dans l’illégalité. Siriman Diallo fait partie des gens qui travaillent dans la légalité. Il fabrique les cassettes et paye les droits d’auteur, donc ses artistes sont rémunérés sur le nombre de cassettes produites. Mali K7 ayant plus de connaissances à l’extérieur du pays, on a distribué Sibiri Samaké en Côte d’Ivoire où ça a bien marché. Actuellement, certaines cassettes de Siriman Diallo sont aussi distribuées en Côte d’Ivoire et commencent à l’être au Burkina. Avec lui, on est en train d’étudier la possibilité de sortir des CD de ses productions en Europe, avec une mise en valeur des textes. Ce qui est propre à cette musique, c’est que les cassettes se vendent longtemps, même si c’est toujours en petite quantité. C’est le cas pour Sibiri Samaké en Côte d’Ivoire, avec sa cassette sortie il y a dix ans. Siriman Diallo connaît le même phénomène. Il a des cassettes qui peuvent se vendre à dix mille exemplaires – ce qui est assez exceptionnel d’ailleurs – mais sur la durée. En Europe, Sibiri est sorti dans la collection « Musique du Monde », pour des gens qui sont amateurs de musiques traditionnelles. On a eu des articles de la presse spécialisée et généraliste, comme Le Monde ou L’Evénement du Jeudi. Mais c’est pareil, je ne sais pas si on a vendu mille CD, en tout cas on en vend régulièrement. Dans vingt ans, on en vendra toujours un peu. Le seul artiste qui ait tourné à l’étranger est Sibiri Samaké. A l’époque de la promotion de son album, il a fait une tournée en Europe, dont le festival Africolor et de grandes villes de province. Mais avec ce style particulier de musique, on ne nous le demande pas tous les jours. On cherche en ce moment à le relancer car il a mûri et il a des idées. Il a étoffé la musique avec deux donso ngòni, deux karignan et une autre percussion du même genre. On ne retrouve pas ça souvent. Il a su aussi se faire un petit plan de scène pour tourner en Europe. Mais pour vraiment faire découvrir la chose, il faudrait faire accompagner Sibiri et ses quatre musiciens par une dizaine de chasseurs armés de leurs fusils qui mettraient l’ambiance. De la musique de chasseurs sans coups de fusils, c’est un peu dommage.

///Article N° : 1629

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