La pharmacopée et la connaissance de la nature

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Si l’activité cynégétique du chasseur peut ralentir à cause de l’âge ou de la conjoncture environnementale, il n’en reste pas moins que ses talents de guérisseur et de devin restent très appréciés des populations urbaines et rurales. Si vous souhaitez consulter les grands d’entre eux, veuillez prendre place et attendre votre tour.

« Je n’ai presque pas vu de chasseur qui ne soit pas guérisseur. Tous ont quelques tours dans leur sac. On se demande pourquoi les pharmacologues n’approfondissent pas ça suffisamment. Les chasseurs connaissent des plantes qui sont des cicatrisants puissants, contre les dissentries, etc. Tant de plantes sont utilisées et recueillies à des moments donnés de l’année. Dans le Nord, chez nous, des mousses se développent. On ne les recueille qu’en une période précise de l’année, autrement elles ne serviraient à rien. Les chasseurs qui ont battu la brousse derrière leur maître ont tous étudiés les grandes familles de plantes importantes. Leurs connaissances sont étendues, je l’ai vérifié avec un chasseur de Kalassa, qui avait un bon maître et dont l’oncle était guérisseur. Je l’ai entraîné dans la brousse et j’ai pu m’en apercevoir par moi-même. J’ai fait cinq ans de botanique générale et systématique, je connais la classification des plantes. Je tachais de lui poser des questions candides et il y répondait avec une incroyable précision. Les chasseurs malinké ont leur botanique systématique qu’ils se transmettent simplement, sur le terrain. Car on retrouve partout les mêmes grandes familles de plantes : les mimosacées, les césalpinacées, les rosacées, les ombéliféracées, etc. Tout est problème de doses. Il vous faut un maître pour connaître les dosages précis et les procédés : réduire en poudre, bouillir, mâchonner, etc. C’est pourquoi il y a des ouvrages très dangereux chez nous. On en publie de plus en plus, mais on n’y donne jamais les doses. La première référence a été celui de Dominique Traoré, un homme merveilleux qui a écrit un pavé sur les plantes médicinales en Afrique de l’Ouest. C’était un de mes amis, je l’avais vu peu de temps avant sa mort pour lui dire que son ouvrage était très dangereux parce que les enseignants s’en servaient sans disposer des doses. Mais c’était un très grand guérisseur et enseignant ; il est à l’origine de la création de l’IFAN (Institut Français d’Afrique Noire) au Burkina. Du coup, ce genre d’ouvrages sont à utiliser avec de grandes précautions. Il y en a peu qui ont compris que sans références au systèmes de pensée traditionnelle, souvent on se plante. Il faut archiver avec les intéressés les diverses connaissances traditionnelles. Pas seulement celles des griots, mais aussi celles des grandes matrones, et puis celles des nobles généalogistes que nous appelons les bouroudjoutila, ce sont ceux qui sont les détenteurs du savoir dans les différents domaines ! Il faut aller les voir. Dans un cadre bien précis et officiel tel que les universités, les chasseurs, s’ils le veulent, pourraient être appelés comme enseignants, car, maîtres, beaucoup le sont déjà. On ne peut pas faire l’économie du savoir des chasseurs dans l’étude des civilisations de ces pays-là. Il faut savoir, comme le disait si bien Hampaté Bâ, qu' »un traditionaliste, par définition, est chaotique » mais qu’on en saisit toujours des raies de lumière. En médecine, un pays comme la Chine montre comment on peut tirer parti simultanément de la science moderne et des techniques traditionnelles détenus par les mandarins. »

///Article N° : 1636

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