La place des femmes dans les arts africains

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La femme était-elle exclue des arts plastiques ? L’est-elle encore ? Des créatrices existent. Elles sont encore peu nombreuses à être connues.

Libertés et interdits
Parler de féminisme et rôle de la femme en Afrique mène aux plus graves confusions.
Les situations évoluent très vite. Vers 1930, les autorités coloniales avaient pris des mesures pour assurer la liberté de la femme dans son consentement au mariage ou la liberté des veuves. Divorces en vagues et fuite des épouses ont montré que l’indépendance du sexe  » faible  » était acquise. La cellule élémentaire de la famille, le ménage, était menacée. Dans le domaine juridique, le droit patrilinéaire affirme les liens du côté paternel. Il est soutenu par l’Islam. Jadis, des ethnies mettaient toute la force de la coutume dans le matrilinéaire. L’homme dépendait de son oncle maternel et non de son père. L’autorité des reines des Akan était évidente. L’Histoire rappelle les légendes des mères fondant des peuples. Dans le domaine économique chacun sait que les commerçantes, de la Côte d’Ivoire au Nigeria, tiennent les marchés et la production des denrées essentielles. Dans le domaine politique, elles n’ont pas encore la place que les statistiques leur auraient réservée. Il y a pourtant quelques femmes dans les conseils des ministres.
Dans les arts, elles ont une place reconnue en littérature et dans les arts du spectacle. Musiciennes, chanteuses, danseuses, les griottes ont un rôle essentiel qui leur a probablement donné accès à la réalisation cinématographique, à la radio et la télévision.
En principe, pas d’exclusion. Pourtant, les sociétés anciennes étaient régies par des statuts. Dans diverses coutumes, un régime de caste interdisait aux femmes les métiers de forgeron ou de sculpteur. Potières, elles travaillaient l’argile. Mais cet artisanat est parfois élevé à la hauteur d’un art. Des pots sont ornés, modelés quelquefois comme des personnages, comme va le montrer l’exposition du musée Dapper Réceptacles. Une Sénégalaise, Syeni Comara, y a acquis un certain renom. Ses oeuvres, qui n’auraient pas déplu aux Surréalistes, ont été appréciées ; un livre lui a été consacré.
Une femme, dit-on chez les Guéré de Côte d’Ivoire, ne peut avoir à faire avec les masques mais chez leurs voisins. Donc, les associations féminines commandent aux sculpteurs des masques, leur donnent un nom et un pouvoir.
Autour des objets et de leur utilisation naît une collaboration des deux sexes. On cite des cas de femmes ou de filles de sculpteurs qui collaboraient avec maris ou frères. Ont-elles un rôle dans l’élaboration, dans la finition ? La connaissance précise serait utile pour savoir si elles participent à la conception ou seulement à l’exécution. Y a-t-il une sculpture féminine à côté de la sculpture masculine ?
La répartition des métiers est complexe. Les hommes sont tisserands et certains tissage sont des oeuvres d’art. La teinture est encore une occupation féminine, avec toute la complication des effets artistiques (nouages, réserves, impression). Le batik, innovation récente, est surtout l’apanage des hommes, comme les bogolans.
Abstractions
Dans la cuvette congolaise, les femmes fabriquent des tapas ornés de dessins abstraits. Est-ce l’abstraction qui est féminine ? Est-ce l’utilisation vestimentaire qui a réglé ce rôle aux femmes ? La question de l’aptitude à l’abstraction est importante. Les velours du Kasaï, dont les dessins sont très complexes, sont brodés par des femmes.
La broderie a semblé longtemps un art masculin. Les femmes y ont accès avec la machine à coudre et la broderie a pris un essor étonnant et une grande liberté. Des motifs floraux ou curvilignes remplacent les broderies traditionnelles qui étaient linéaires.
Les peintures murales ne sont pas très fréquentes. Mais c’est un art féminin encore, et tourné vers l’abstraction. Les jeunes Gurunsi peignent angles ou carrés, triangles ou damiers , en blanc, noir et ocre. Les motifs des femmes Ndebele sont très variés, abstraits et géométriques eux-aussi. Couleurs intenses, formes réduites au plan du mur, sans relief. Ce sont des transpositions abstraites de motifs architecturaux, rejetant tout effort de réalisme.
Art contemporain
L’importance des femmes est modeste. Dans l’art contemporain africain, N. Guez relève 198 femmes pour 2796 artistes au total. La répartition par Etat est-elle significative ? Sénégal et Côte d’Ivoire sont mal placés : 7 et 8 femmes pour 115 et 104 artistes. Le Nigeria, avec 15 pour 200, est semblable. Par contre, le Kenya (14/81), le Zimbabwe (13/102), la Namibie (22/64) et l’Afrique du Sud (40/203) ont des proportions plus élevées. La place de l’ex-Zaïre (1/133) est très mauvaise. Ces recensements ont des valeurs limitées, mais il faudrait chercher des explications : influence des cultures, influences de la colonisation, structure des marchés…
A travers la peinture occidentale, la représentation qui est donnée des femmes est fortement marquée par l’érotisme, avec toutes les nuances possibles, du voyeurisme de Courbet aux grâces élégantes d’Ingres.
L’art africain traditionnel et contemporain donne une impression toute différente. Le nu y est très rare. Iba Ndiaye a représenté le classique peintre et son modèle. Yakouba Jacob, le Saint-Louisien, a peint sur un paravent une montée de l’érotisme. Un autre tableau à la fois inquiétant et érotique représente un nu dans un cadre forestier qui évoque la destruction . Le Congolais (ex-Zaïre) Kapo Longo a rapproché un nu d’un squelette. Un  » voyeur  » a trouvé place chez Assane Ndoye et sur plusieurs fixés sous verre sénégalais de Gabou.
Chéri Samba aborde sans gêne avec un pinceau de vengeur de la morale les sujets les plus scabreux. Beaucoup de Zaïrois se sont attachés à la tentatrice Mammy Wata. Si bien que des journalistes ont cru pouvoir définir une école des Watistes ! Mammy Wata est un génie qui progresse. Elle a inspiré plusieurs films ivoiriens. La légende veut qu’après avoir fait la fortune de son amant Keïta Fodeba, sa jalousie l’ait perdu.
Dans l’art tribal, la maternité est un thème fréquent, plus complexe que l’on ne croit. La mère et l’enfant représentent l’avenir et la fécondité. Des couples émouvants, homme et femme se tenant par l’épaule, nous paraissent probablement à tort des invocations de l’amour. Ce sont plus probablement des allusions à l’androgénéité primitive fréquente dans les mythes d’origine.
Zephirin, Losseni et d’autres  » naïfs  » ivoiriens ont trouvé dans le grouillement d’Abidjan des sujets où le contraste entre le modernisme des gratte-ciels et la petitesse des cuisinières est écrasant. Les camions grumiers se précipitent vers le port, les ateliers de confection – industrie bien modeste pourtant – montrent les ouvrières perdues dans une forêt de machines à coudre, ou les marchés étalent et entassent objets, marchandes et clientes.
Les Ivoiriennes peintres ne sont pas très nombreuses. Mais l’une d’elles, Were Were Liking, est intéressante pour la diversité de ses dons. Elle dirige une compagnie théâtrale, utilise des marionnettes, regroupe des artistes autour d’elle comme un phalanstère. Peintre, elle a publié deux livres sur les marionnettes et les  » statues colon « .
Le Sénégal permettrait d’évoquer des femmes hors du commun. Stylistes, couturières de haute volée, décoratrices, brodeuses ou peintres. Peut-on parler de peinture féminine devant des oeuvres aussi diverses que les fixés de Germaine Anta Gaye, les recherches d’inclusions de Younousse Seye, les huiles d’Aissa Dionne ou les bébés joufflus de Diagne Chanel ?
A travers l’ouvrage de Bamba Ndombassi, peintre et sculpteur congolais (ex-Zaïre) (Editions Nathan), on voit se dessiner la figure de la femme telle que la voient les artistes. Les peintures portent des titres grandiloquents mais révélateurs : Pourquoi cette assiette est-elle toujours vide ? demande une femme de Ndoki, Vie sociale ou Solidarité africaine disent des marchandes de poisson de Kamba Luesa. Conde Bila intitulant un tableau Education maternelle rejoint le Ndoki de Telle mère, telle fille.
La femme personnifie les liens sociaux. Ndamvu, en peignant Volupté et Les Amants, évoque les femmes sous un aspect moins austère. Mais inquiétude ou mépris devant la femme réapparaît avec la sculpture de Tamba Femme idéale, torse acéphale composé de volumes imbriqués plutôt que réunis. Ntabala, dont le commentateur souligne que  » son nur n’a rien de sexuel ni d’érotique «  peint une Femme instable, acéphale également. Quant aux Zaïrois, leur représentation féminine est très moralisante.
Il reste que les femmes ont conquis dans l’art africain une place intéressante. A travers la peinture occidentale, d’Embrosia Gentilischi et de Vigée Lebrun à Marie Laurencin ou Sonia Delaunay, la diversité est immense. Les Africaines peu nombreuses encore atteindront-elles cette diversité et créeront-elles un art différent de celui des hommes ?

///Article N° : 172

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